Le Moyen-Orient, région traversée par les grands empires depuis l’Antiquité et où convergent les destinées du monde, a vu naître Daech, fils d’Al-Qaïda et de la CIA et petit-fils du wahhabisme. Cette entité qui paraît surgir du néant offre un spectacle apocalyptique dont l’humanité ne voit pas les coulisses.
Pour comprendre la démence sanguinaire de Daech, nous devons remonter aux origines du wahhabisme, cette doctrine que l’islamologue Jean-Michel Vernochet a identifiée comme étant un véritable « contre-islam » ayant pour vocation de détruire la religion musulmane de l’intérieur. Les massacres de masse, les destructions, la rage meurtrière de ces hordes téléguidées depuis Riyad, Doha et Washington et assistées par Tel Aviv, contre la Libye, la Syrie et l’Irak, ont donc une cause et une finalité autant politiques qu’eschatologiques.
C’est au père du wahhabisme qu’il faut d’abord s’intéresser pour comprendre l’entité à laquelle le monde fait face aujourd’hui. Le prédicateur Mohamed ibn Abd al-Wahhab (1703-1792) fut en son temps accusé d’être un innovateur, un égaré, un athée et un faux prophète, ceci par les plus grands savants et docteurs contemporains de l’imposteur, autant sunnites que chiites. Ils lui dénièrent le statut de savant mujtahid – l’aptitude exégétique -, ayant constaté l’insuffisance de sa maîtrise des sciences islamiques.
Or, la doctrine instituée par Abd al-Wahhab est simple, elle se résume à l’excommunication et au meurtre de tous les musulmans, sunnites et chiites, tombant sous l’accusation arbitraire d’idolâtrie, autrement dit de mécréance.
Néanmoins, Abd al-Wahhab seul n’aurait jamais pu élever sa doctrine de bédouin au-delà d’une secte éphémère sans l’aide de la tribu des Séoud avec qui il fit alliance pour conquérir l’Arabie devenue à présent la propriété personnelle des Séoud, ceci après l’institution du wahhabisme comme doctrine officielle de leur royaume. Un royaume qui n’aurait jamais vu le jour en 1932 sans le soutien actif des Britanniques durant et après la Première Guerre mondiale.
Le wahhabisme n’aurait pas, non plus, connu son essor actuel sans l’aide des États-Unis qui, en 1945, ont passé un pacte maléfique avec les Séoud : « Le pétrole contre une indéfectible protection armée. » Cet or noir qui, pompé par les majors anglo-américaines, a financé l’expansion du wahhabisme à travers le monde, notamment par des canaux prestigieux tels une chaire universitaire à Harvard ou des médias d’influence planétaire tels Al-Jazira. Le wahhabisme n’a pu développer son pouvoir de nuisance que grâce au soutien et à la bénédiction du monde anglo-protestant.
Au reste, le wahhabisme, doctrine pauvre, à l’origine destinée à des bédouins incultes, ne put accéder aux élites urbaines sans connaître une transformation adaptative. C’est ainsi qu’apparaît, dans la seconde moitié du XIXe siècle, le réformisme islamique : le pendant libéral du wahhabisme qui va, en 1928, donner naissance aux Frères musulmans.
Nous avons là un wahhabisme « de gauche » utile à diluer l’islam traditionnel, dans une modernité délétère. Le réformisme islamique forme ainsi, avec le wahhabisme, deux faces d’une même pièce se complétant l’une et l’autre, soit une hérésie à deux visages suivant la dialectique infernale existant entre le capitalisme ultra et le communisme totalitaire.
Il n’est pas étonnant, alors, de voir aujourd’hui se bousculer les héritiers du courant réformiste à l’instar du Turc Erdoğan, pour apporter le poison sous forme de remède à cette maladie mortelle qui a frappé l’islam et qu’ils ont tant de mal à appeler par son nom : le wahhabisme. Le réformisme islamique à la façon des Frères musulmans et le wahhabisme séoudien et qatari sont des frères siamois… dont l’opposition apparente constitue, en vérité, cette synthèse dévastatrice que l’on voit à l’œuvre en Syrie, en Irak, au Yémen et dans les banlieues de l’Occident.
Youssef Hindi