Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 13 février 2015

Une interview de la compagne de Coulibaly dans le magazine de l'État islamique


Antisémitisme, apologie du terrorisme et glorification d'Amedy Coulibaly sont également au sommaire de cet outil de propagande de Daech

La une du deuxième numéro de Dâr-al-Islam, le magazine de l'État islamique en français ,est éloquente, et fait directement référence aux attentats de Paris: on y voit la silhouette d'un militaire français, devant la Tour Eiffel, avec cette mention on ne peut plus explicite: «Qu'Allah maudisse la France». 



À l'intérieur de ces quinze pages de propagande, on trouve une interview exclusive de la compagne d'Amedy Coulibaly, Hayat Boumeddiene, qui a fui la France pour la Syrie. Impossible pour le moment d'authentifier l'interview (il n'y a aucune photo), mais le scénario semble crédible, étant donné qu'elle avait gagné la Syrie le jeudi 8 janvier, soit la veille de l'attaque perpétrée par Coulibaly à l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes.

Une interview d'Hayat Boumeddiene, veuve d'Amedy Coulibaly

Dans cette interview, menée selon les codes journalistiques occidentaux, l'épouse d' «Aboû Basîr ‘Abdoullâh al-Ifriqî», nom de guerre d'Amedy Coulibay, se réjouit d'avoir gagné «la terre du califat» où elle peut enfin «vivre sur une terre régie par la loi d'Allah». La jeune femme confirme l'allégeance complète de son mari à l'État islamique: «[lorsque le Califat a été proclamé] il s'est énormément réjoui et a tout de suite rendu véridique le Calife ainsi que le la califat.» «Ses yeux brillaient à chaque fois qu'il visionnait les vidéos de l'État islamique et il disait: “Il ne faut pas me montrer ça” car cela lui donnait envie de partir immédiatement», affirme la jeune femme. Des déclarations à prendre avec précaution, sachant qu'il s'agit d'un magazine de propagande et que Daech a tout intérêt à récupérer l'attentat terroriste de Coulibaly.

La police française soupçonne Hayat Boumeddiene d'avoir accompagné Amedy Coulibaly «dans la préparation d'actes terroristes». Elle a été également en contact fréquent avec la compagne de Chérif Kouachi, l'auteur avec son frère de la fusillade au siège de Charlie Hebdo.

Instrumentalisée ou sincère, le jeune femme enjoint ses frères et sœurs musulmans à lire le Coran dans le texte sans passer par «la compréhension de l'imam ou bien du savant»: une manière d'appeler les musulmans de France à contourner les institutions musulmanes pour avoir un rapport direct et littéral au texte sacré.

Glorification de Coulibaly et apologie de l'antisémitisme 

Pour Mathieu Slama, communicant spécialiste de la propagande de l'État islamique, ce nouveau numéro du magazine propagande marque un tournant. «Le premier numéro appelait les musulmans français à émigrer pour les territoires de l'État islamique, celui-là les appelle clairement à attaquer les mécréants en France, sourates du Coran à l'appui», souligne-t-il.

En effet, si le premier numéro du magazine paru en décembre était entièrement consacré à Daech et à son extension, ce second numéro vise uniquement la France et consacre tout un dossier à Amedy Coulibaly, désigné comme un «exemple à suivre». Le terroriste s'était réclamé d'une allégeance à l'Etat islamique, contrairement aux frères Kouachi qui eux s'était revendiqués d'al-Qaida au Yémen.

Dans cette apologie du terrorisme, les juifs sont désignés comme cibles privilégiées. Les propagandistes de Daech mettent en avant les terroristes Merah et Coulibaly, parce qu'ils ont visé des victimes juives. «Manuel Valls déclare que les juifs de France sont l'avant-garde de la République, ils doivent donc mourir en premier dans la guerre qui oppose l'islam et le Califat à la France», écrivent-ils.

Un discours qui cible les jeunes de banlieue

Pour le communicant, l'antisémitisme, teinté de complotisme (allusions multiples aux francs-maçons) est mis en avant pour séduire un public de banlieue, sensible à ce genre de discours, largement développé notamment par Alain Soral et Dieudonné. Ainsi, Manuel Valls y est désigné comme un «ministre sioniste enjuivé par sa femme», ce qui n'est pas sans rappeler la rhétorique soralienne.

Mais cette propagande ne vise pas uniquement les juifs, mais aussi les «mauvais musulmans»: une photo montre deux musulmans tenant une pancarte «Je suis Charlie» avec cette légende: «apostats ayant pris pour allié les ennemis d'Allah», tandis qu'une photo du policier tué par les frères Kouachi est accompagnée de cette sentence: «soldat du tâghoût [Satan, NDLR] français humilié et effrayé».

Autre ressort utilisé par les propagandistes: la mise en avant d'une supposée décadence de la France décrite comme un «pays faible, en pleine crise économique et morale dont le peuple est abruti par les divertissements, où la presse people est plus lue que la presse politique.»


Le magazine est produit par le «centre médiatique Al-Hayat», branche française de la communication de l'État islamique, qui produit également de nombreuses vidéos sur Internet. 

Eugénie Bastié