Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 27 février 2015

Le MI5 sur la sellette pour avoir laissé filer «Jihadi John »


Le djihadiste britannique Mohammed Emwazi était suivi par les services de renseignement depuis six ans quand il est parti en Syrie. Ils avaient tenté en vain de le recruter.

Mohammed Emwazi, 26 ans, identifié jeudi comme le djihadiste londonien surnommé «Jihadi John» apparu sur sept vidéos de décapitations d'otages par l'État islamique, était connu des services de renseignement britannique. Ceux-ci avaient fait le rapprochement depuis plusieurs mois avec un islamiste radicalisé qu'ils connaissaient depuis des années.

C'est en 2007 que l'étudiant en informatique commence à attirer l'attention. Dans les quartiers de l'Ouest de Londres, il fréquente un réseau d'une douzaine de personnes connu pour ses liens avec les milices Chebab, filiale d'al-Qaida en Somalie. Trois membres de ce groupe ont été tués depuis, l'un vit au Soudan après avoir été privé de sa nationalité britannique, un autre est interdit de sortie du territoire, plusieurs sont en prison.

Interrogé par des agents du MI5 en 2009

En route pour la Tanzanie avec deux amis en 2009, Mohammed Emwazi est arrêté par les garde-frontières à son arrivée, soupçonné de chercher à se rendre en Somalie, et passe 24 heures en détention à Dar es-Salaam, avant d'être renvoyé par un avion de la KLM. Il est interrogé par des officiers du MI5 à son arrivée à Amsterdam, puis en Grande-Bretagne.

Les agents du renseignement intérieur cherchent alors à plusieurs reprises à le recruter. «Vous allez avoir beaucoup de problèmes, vous allez être connu, vous allez être suivi», aurait-on tenté de lui faire comprendre, selon un e-mail écrit par Emwazi à l'association Cage, dirigée par un ancien détenu de Guantanamo, pour se plaindre de ces pressions. Le MI5 aurait approché sa fiancée au Koweit, ce qui aurait entraîné l'annulation du projet de mariage.

Le jeune homme s'installe au Koweit en 2010, mais est empêché d'y retourner lorsque son visa est annulé après un séjour à Londres. Il est à nouveau interrogé par les forces de l'ordre. Il dépose alors une plainte à la police des polices britannique pour intimidation et harcèlement de la part des services antiterroristes.

«Impossible qu'il connaisse mon prénom»

Quelques mois avant d'entrer en contact avec le journaliste du Daily mail, Emwazi affirme avoir été brutalement interrogé à l'aéroport d'Heathrow, à Londres. Il souhaitait alors se rendre dans son pays natal, le Koweït. Un agent britannique l'aurait jeté contre un mur, un agent britannique lui aurait tiré la barbe et l'aurait étranglé. Il déposera plus tard une plainte auprès de la police des polices anglaise.

Dans un autre mail, il raconte ce qu'il suppose être une rencontre avec un agent britannique. Alors qu'il a mis son ordinateur portable en vente sur Internet, un homme se disant intéressé le contacte. Emzawi explique ne s'être identifié sur l'annonce que par un surnom, sans avoir indiqué à un seul moment sa réelle identité. Ils se donnent rendez-vous près du domicile du futur djihadiste, près du métro Maida Vale, à Londres. La rencontre est très brève et l'homme lui achète directement l'ordinateur, sans essayer de voir s'il fonctionne. «Nous nous sommes serrés la main», raconte-t-il. C'est alors que l'acheteur lui dit: «C'est un plaisir de faire des affaires avec vous Mohammed». «Je ne donne jamais mon prénom, il était impossible qu'il le connaisse.»

«Un mort-vivant»

Il ajoute, parlant des services secrets: «Parfois je me sens comme un mort-vivant. Je n'ai pas peur qu'ils me tuent. J'ai plutôt peur de prendre un jour autant de pilules que je pourrai afin de pouvoir dormir pour toujours!! Je veux seulement échapper à ces gens!!!»

Au total, les services britanniques ont été en contact une douzaine de fois avec «Jihadi John». En 2013, sous un nom d'emprunt, il avait tout de même pu rejoindre la Syrie.

Les familles de victimes réclament vengeance

C'est sous un nom d'emprunt, Mohammed al-Ayan, qu'il réussit, en 2013, à partir en Syrie via la Turquie. Le MI5 risque d'être une nouvelle fois accusé d'avoir laissé filer un suspect connu. Cela avait été déjà le cas de Michael Adebolajo, l'un des assassins du soldat Lee Rigby tué à l'arme blanche dans une rue de Londres en 2013.

Les victimes des otages tués en Syrie par Mohammed Emwazi et ses complices de Daech ont exprimé leur satisfaction, espérant que son identification puisse conduire à son arrestation. Mais pour Bethany Haines, fille de l'humanitaire britannique David Haines, le soulagement ne viendra que lorsqu'il recevra «une balle entre les yeux».

Florentin Collomp