Bernard Laroche était innocent, affirme enfin le juge, qui ressent "un immense sentiment de culpabilité". Mais quid de Christine, la mère de l'enfant ?
16 octobre 1984 : le corps du petit Grégory est retrouvé dans la Vologne. Le 5 novembre, le juge Jean-Michel Lambert "inculpe", c'est le terme utilisé à l'époque, Bernard Laroche, le cousin du père de l'enfant. Les preuves sont inexistantes, les indices sont maigres. Le 4 février 1985, le juge Lambert libère Laroche. Qui est abattu par Jean-Marie Villemin le 29 mars.
Le "petit juge" revient une fois de plus sur la traumatisante affaire Grégory, qui, dit-il au micro de France Inter, a "bouleversé [sa] personnalité". Dans un livre à paraître aux éditions du Cherche-Midi, De combien d'injustices suis-je coupable ? il révèle pour la première fois sa certitude : Laroche était innocent. "Si on reconstitue l'emploi du temps qui aurait fait de lui l'assassin, on réalise que ça ne tient pas. Je m'apprêtais à rendre un non-lieu quelques semaines après l'avoir libéré. Son assassinat ne m'en a pas laissé le temps."
Emploi du temps
C'est ce à quoi s'emploie le premier chapitre de l'ouvrage. Selon la version retenue par l'accusation - le ministère public s'était opposé à la libération de Bernard Laroche -, ce dernier récupère le 16 octobre sa belle-soeur à la sortie de son collège. Il est environ 17 heures. Sur la banquette arrière du véhicule, Sébastien, son fils, âgé de 4 ans. Laroche serait alors monté sur les hauteurs de la commune, puis sorti du véhicule pour aller chercher à pied Grégory, qui jouait en contrebas devant la maison. Laroche serait ensuite remonté dans la voiture, accompagné de l'enfant. Arrivé dans la ville de Docelles, où il se gare, "il descend avec Grégory, s'éloigne, et revient seul", raconte alors le juge. Il fait quelques courses, reprend la voiture, puis retourne à Bruyères où il touche son tiercé gagnant.
Pour le magistrat, ce scénario soulève "quelques questions". Comment Laroche aurait-il pu savoir que le petit Grégory jouait seul, devant sa maison aux volets clos, précisément à cette heure-là ? Quand aurait-il écrit la lettre revendiquant le crime ? "Et d'où aurait-il passé [...] à 17 h 32, le coup de fil à Michel, son grand copain, et par ailleurs un oncle de Grégory, pour revendiquer le crime, en déguisant sa voix ?" Le tout dans un créneau d'à peine plus d'une heure. Jean-Michel Lambert l'affirme : "Tout a concouru à fabriquer un coupable."
Pression
Interviewé ce vendredi, le juge a donc avoué vis-à-vis de cet homme victime de ses errements "un immense sentiment de culpabilité". Mais il se trouve aussi des circonstances atténuantes : "Si on se situe dans le contexte de l'époque, avec notamment la pression médiatique - j'y ai beaucoup réfléchi depuis -, ça interdit de travailler dans la sérénité." Il rappelle aussi qu'il a fait libérer Laroche contre l'avis du ministère public, ne faisant que "son devoir". Une libération qui a aussi permis à Jean-Marie Villemin, fou de douleur, de tuer celui qui était encore inculpé du meurtre de son enfant.
Le juge Lambert au micro de France Inter
Car au-delà de l'affaire Grégory, De combien d'injustices suis-je coupable ? est une réflexion sur l'injustice de la justice : quatre cent quarante-sept erreurs judiciaires ont été reconnues pour la seule année 2011, explique vendredi matin le juge à France Inter, soit quatre cent quarante-sept personnes incarcérées à tort et indemnisées par la cour d'appel. Un seuil "incompressible", dit le juge avec effroi, qui semble ne pas se remettre que, malgré les réformes, des innocents sont encore massivement envoyés en détention. C'était bien pourtant le cas de Christine Villemin.
Marie-Sandrine Sgherri
Marc Leplongeon