Tandis qu’ISIS, un groupe qu’on pense être composé de seulement quelques milliers de membres, dirigés par un obscur chef de file, vient de battre des forces de plusieurs fois sa taille et de s’emparer d’un grand morceau de l’Irak, RT essaie de comprendre qui est ISIS et comment il a pu obtenir ses terrifiants triomphes.
Alors, c’est quoi ISIS ? Et est-ce même ISIS ou ISIL ?
Le groupe extrémiste le plus fanatique du monde n’a acquis que tout récemment son nom actuel, après que l’« État Islamique en Irak et Al-Sham » (ISIS), non reconnu, ait été proclamé en avril de l’an dernier. Al-Sham a été traduit de l’arabe par «Levant », d’où ISIL. Il était auparavant connu sous le nom de Jama’at al-Tawhid wal-Jihad, c’est-à-dire « Al-Qaïda dans l’État Islamique d’Irak »
Les fréquents changements d’appellation ne sont pas superficiels, mais le résultat direct de circonstances péremptoires, qui ont permis à ISIS de prospérer rapidement. Visant initialement la domination de l’Irak, il a pu être maintenu sous contrôle pendant la période de calme relatif qui a succédé au conflit sectaire déclenché par l’invasion US de 2003 et le redéclenchement des hostilités qui a suivi le retrait américain de 2011.
Depuis lors, il est devenu un acteur de tout premier plan, bénéficiant d’un stimulant crucial de plus, quand la guerre civile en Syrie a été transformée en conflit sectaire, grâce à des millions de dollars de subventions et des milliers de recrues arrivées de tous les coins du globe.
Cette image téléchargée le 14 juin 2014 sur le site web Welayat Salahuddin dit montrer des militants de l’EIIL/ISIS/ISIL progressant sur une route non connue de la province de Salaheddin.
En ce moment, les bastions tenus par ISIS vont de Raqqa, au nord-est de la Syrie, jusqu’aux abords de Bagdad, couvrant un territoire de plus de 500 kms, même si le groupe ne contrôle pas la totalité des routes et des places-fortes qui le jalonnent.
La rapidité à laquelle le groupe islamiste se rapproche de Bagdad peut être comparée – si elle ne l’excède pas – à celle de l’invasion de 2003. Pourtant, contrairement aux USA et à leurs alliés, ISIS ne dispose pas de la capacité de lancer des attaques destructrices aéroportées, quoique le groupe, au cours de ses dernières offensives, ait réussi à accroître significativement sa puissance militaire en capturant des douzaines de véhicules blindés made in USA et toute sorte d’autre armement lourd abandonné par l’armée irakienne en déroute.
Mais ISIS fait partie d’Al-Qaïda, donc lui ressemble, non ?
Non. ISIS est bien pire. Aux yeux des Occidentaux, Al-Qaïda a été, depuis le 11-Septembre, la pierre de touche du terrorisme, mais ISIS s’en différencie philosophiquement, organisationellement et même officiellement, puisqu’il revendique sa totale autonomie. On pourrait même dire que les deux organisations, bien que toutes deux d’obédience sunnite, sont aujourd’hui davantage des rivales que des alliées.
Alors qu’Al-Qaïda, sous ses formes les plus connues, est une organisation terroriste, avec des cellules dormantes, des camps d’entraînement et des attaques terroristes à son actif, ISIS, actuellement, est plutôt une milice et un territoire hors-la-loi, avec une infrastructure propre, plus semblable à Boko Haram et à d’autres fiefs locaux qu’on a vu éclore dans les états africains hors-la-loi ou faillis.
Cette image, téléchargée sur le site djihadiste Welayat Salahuddin dit montrer des militants de l’EIIL/ISIS/ISIL en train d’exécuter des douzaines de membres des forces de sécurité irakiennes, capturées dans un endroit inconnu de la province de Salaheddin
Al Qaïda, s’étant rendu compte qu’ils étaient contre-productifs, s’est appliqué à éviter les actes de brutalité aveugles depuis la mort de Ben Laden, mais ISIS s’y complaît, brandissant une attitude religieuse d’une intransigeance qui l’apparente au nihilisme.
Il garde le contrôle des régions dont il s’est emparé en y semant une traînée sans fin de flagellations, de mutilations, de décapitations et de crucifixions. Ses cibles peuvent être très sélectionnées ou prises au hasard, mais aucune n’est épargnée : opposants chiites, rivaux sunnites, soldats prisonniers ou femmes « immorales », tout y passe.
Chose peu surprenante, bien que le premier chef de l’ISIS, feu Abu Musab, ait juré fidélité à Al Qaïda au début des années 2000, les deux organisations sont maintenant brouillées.
ISIS se rapproche de Bagdad, tandis que les villes tombent comme des dominos. Vidéo RT (en anglais).
Le point de rupture déterminant a été la lutte fratricide qui a opposé ISIS au groupe Al-Nusra, soutenu par Al-Qaïda, en Syrie. La demande d’Al Qaïda de se partager les sphères d’influence a été refusée net par Abou Bakr, le leader d’ISIS, qui a passé quatre ans dans les geôles US, d’où il a été relâché en 2009.*
Les relations entre les deux groupes étant devenues de plus en plus grinçantes, Al Qaïda a désavoué ISIS au début de cette année, à quoi ISIS a répliqué en qualifiant Al Qaïda de « traître » et de « plaisanterie ».
Avec l’ascension d’ISIS, beaucoup disent que c’est maintenant le chef d’Al-Qaïda, Ayman Al-Zawahiri, qui devrait faire allégeance au quadra (43 ans) Abou Bakr.
Comment le groupe ISIS est-il financé ?
ISIS fonctionne pour moitié comme une entreprise commerciale de type mafieux et pour moitié comme une institution religieuse caritative internationale, qui se cherche de riches donateurs dans les états du Golfe et un peu partout dans le monde.
Le groupe ne manque assurément pas d’opportunisme pour commercialiser ses activités militaires. En 2012, ISIS – ou ISI comme il s’appelait alors – s’est emparé des champs pétroliers syriens et a engrangé de faciles bénéfices en vendant le pétrole à prix discount à quiconque voulait en acheter. Il a aussi fait le commerce des matières premières pillées dans les régions dont il s’était rendu maître et a même tâté du trafic d’œuvres d’arts en vendant les antiquités nationales syriennes arrachées aux monuments qu’il contrôlait.
#ISIS annual report “al-Naba” – Report – includes infographic of 2013 attacks 4″stakeholders » #Iraq pic.twitter.com/VeHtsZQnMQ MT @WilliamsJon
Il n’a pas toujours besoin, d’ailleurs, de se lancer dans des opérations aussi élaborées. Ainsi, son plus grand succès a été le pillage de la chambre forte du gouvernement (c’est-à-dire le trésor public) à Mossoul, qui contenait, a-t-on estimé, 425 millions de dollars US. Si on y ajoute le butin pillé au cours de ses récentes avancées, le trésor de guerre de l’ISIL dépasse à présent les 2 millions de dollars.
Mais tout aussi important est la subvention qu’ISIS reçoit de ses bailleurs de fonds « inconnus » – mais faciles à identifier – de la péninsule Arabique. En sa qualité de défenseur le plus important du wahhabisme de style saoudien,, ISIS bénéficie, selon les officiels irakiens, d’un afflux régulier de fonds ainsi que du soutien de gens politiquement engagés, qui opèrent à l’abri des frontières de l’Arabie saoudite et duQatar, sous la protection des USA.
Comme cela se passe pour n’importe quelle entreprise qui a le vent en poupe, il est plus que probable que la récente publicité dont il jouit et sa réputation en plein essor, par l’effet d’un « cercle vertueux », vaille à ISIS de plus en plus de fonds lui permettant de se livrer à des actes de destruction de plus en plus impressionnants, qui ne manqueront pas de ravir ses généreux donateurs.
Comment ISIS s’est-il débrouillé pour s’emparer d’autant de territoire ?
Le 10 juin, moins de mille militants d’ISIS, se déplaçant dans des pick-ups bâchés, a occupé, au nord de l’Irak, la ville de Mossoul, qui compte 1,8 million d’habitants.
La ville était supposée être placée sous la protection d’une force militaire de 30.000 hommes entraînés par les USA et stationnés dans la région.. Cette force était équipée d’un armement US des plus sophistiqués, c’est-à-dire d’une partie de l’équipement et des armes fournies à Bagdad par Washington, dont le coût a été évalué à des milliards de dollars. US.
Cette image, mise en ligne par le compte Twitter djihadiste Al-Baraka, dit montrer des militants d’EIIL/ISIS/ISIL lors d’un affrontement avec des soldats irakiens, dans un endroit non révélé de la frontière irako-syrienne dans la province de Sinjar (nord-ouest de l’Irak).
Et pourtant, Mossoul est tombée, apparemment sans opposer de résistance. Les militaires irakiens se sont enfuis en masse, abandonnant leurs uniformes et leur précieux armement derrière eux. Les militants d’ISIS ont paradé dans les Humvees et les tanks de fabrication américaine, dont certains ont été aussitôt acheminés vers la Syrie, pour y être utilisés contre les forces gouvernementales syriennes**. Ils ont même annoncé avoir capturé un hélicoptère Black Hawk.
On a allégué le mauvais moral et le manque de cohésion au sein de l’armée irakienne pour expliquer la perte humiliante de Mossoul et de plusieurs autres villes, y compris celle – stratégique – de Tal Afar, proche de la frontière syrienne, et la ville de naissance de Saddam Hussein, Tikrit.
On a aussi fait état, pour expliquer cette véritable avalanche de victoires de l’ISIS, de la prétendue vague irrésistible de soutien des populations sunnites locales, qui avaient naguère soutenu le régime sunnite (ah, bon ?! NdT) de Saddam Hussein, renversé par l’invasion US.
On a invoqué encore des facteurs sectaires, comme aussi la manière dont le gouvernement du Premier ministre Nouri al-Maliki aurait traité les conflits religieux et serait ainsi responsable de l’impopularité de l’armée dans les régions actuellement occupées par l’ISIS. On fait observer que remplacer des commandants sunnites par des chiites dans certains endroits n’a pas dû aider et que la manière dont l’ISIS a gagné le soutien des tribus locales par la négociation montre combien le gouvernement central est peu apprécié dans le nord rural de l’Irak.
Qu’on ne s’y trompe pas : ISIS n’est pas une bande de voyous mal formés. Outre ses années d’expérience sur le champ de bataille syrien, le groupe peut se targuer de ses camps d’entraînement, qui lui fournissent régulièrement des combattants bien préparés, auxquels il faut ajouter les flopées de mercenaires professionnels qui lui sont envoyés d’outremer.
Le porte-parole d’ISIS, Cheikh Abou Mohammed Al-Adnani, a expliqué les succès actuels du groupe par la volonté de Dieu. Disant que « l’État (islamique) n’a pas vaincu par le nombre, ni l’équipement, ni les armes, ni la richesse, il a vaincu par la seule générosité d’Allah, à travers son credo » (déclaration récente postée sur Youtube).
On, ne peut savoir jusqu’à quand la politique brutale et répressive d’ISIS lui garantira, sur le terrain, le soutien des populations irakiennes, qu’il essaie de se concilier par la propagande religieuse et en lui vendant le rêve d’un immense califat supranational.
Il est ironique de constater que le noyau dur de l’islamisme intégriste, qui va utiliser l’équipement fourni par Washington à Bagdad pour soutenir l’insurrection promue par l’Occident en Syrie, s’en servira en même temps pour affronter l’Occident en Irak, où les militants réclament d’ores et déjà le plus grand des champs de pétrole.
Ayant dépensé des milliards en Irak et dans la « guerre contre le terrorisme » pour servir leurs propres intérêts dans la région, les USA et leurs alliés sont peu disposés à admettre que l’invasion dévastatrice de 2003 a déclenché la plus sanglante des violences sectaires qu’ait connu l’Irak en cinq ans, violence si commodément ignorée par la « communauté internationale ». Récemment, l’ex-Premier ministre britannique Tony Blair a choisi d’en faire porter le blâme par « un mauvais système politique assorti d’un abus de religion », qui seraient, selon lui, à l’origine de tous les problèmes du Moyen –Orient.
*Abou Bakr était connu comme un dangereux fanatique du vivant de Saddam Hussein, bien avant l’invasion de 2003. Il n’est pas imaginable que l’ayant capturé et gardé quatre ans au frais, les États-uniens aient pu le relâcher par erreur ou naïveté ! (NdT)
** « Je compreeeends ! », dit la vache en voyant le fromage. (NdT)