Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

dimanche 15 juin 2014

La Pologne dirige les opérations militaires en Ukraine


Alors que Derek Chollet, le secrétaire adjoint à la Défense des États-Unis s’est installé à Kiev pour y coordonner la répression militaire, il apparaît que les opérations y sont dirigées par la Pologne. La circulation d’une photographie sur Internet ne laisse plus aucun doute sur la responsabilité de Varsovie.

Leader étudiant de la révolte anti-soviétique de Bydgoszcz, Radosław Sikorski s’enfuit en 1981 au Royaume-Uni où il termine ses études, puis poursuit une carrière de journaliste. En 1987 il devient sujet de la Couronne britannique, mais abandonnera ultérieurement cette nationalité pour entrer au gouvernement polonais. De 1988 à 1992, il devient conseiller du magnat néo-conservateur Rupert Murdoch. En 1992, il entre au gouvernement et négocie l’adhésion à l’Otan. De 2002 à 2005, il est chercheur aux États-Unis à American Enterprise Institute et directeur de la New Atlantic Initiative. Il est marié à la journaliste états-unienne Anne Applebaum.



Les preuves de la participation active de la Pologne au conflit ukrainien s’accumulent tandis que la guerre continue d’embraser les régions du sud-est de l’(ex-)Ukraine. Jusqu’à présent, l’intervention de Varsovie s’est faite indirectement. Elle n’en est pas moins porteuse de mort et de destruction même si aucune unité militaire polonaise n’a été déployée sur le terrain. La Pologne n’a pas seulement apporté son concours à l’entraînement des terroristes de l’Euromaidan en prélude au déclenchement du chaos orchestré en Ukraine, elle a envoyé sur place des convois de mercenaires pour réprimer brutalement ceux qui s’opposent au coup d’État et se dressent contre la junte de Kiev. On voit maintenant circuler des photos qui mettent en évidence l’implication de la Pologne dans la spirale démente des évènements qui ensanglantent l’Ukraine.

La semaine dernière, Jerzy Dziewulski, le conseiller-sécurité de l’ancien président polonais Aleksander Kwaśniewski [1], a été photographié à Slaviansk en compagnie d’Oleksandr Tourtchynov, le président intérimaire de l’Ukraine [2]. Dziewulski est un expert notoire du contre-terrorisme. Il a été entraîné aux États-Unis, en Israël, en France et en Allemagne. Il possède, et dirige, sa propre entreprise de sécurité privée [3]. Le ministre des Affaires étrangères de la Pologne, Radosław Sikorski, a beau déclarer ne rien savoir de la présence de mercenaires polonais en Ukraine, se bornant à indiquer qu’il transmettra au bureau du procureur les informations circulant à ce propos, la photo montrant Dziewulski en compagnie de Tourtchynov prouve qu’il ment. La vérité, c’est que Sikorski et Dziewulski se sont vu confier la prise en charge des décisions stratégiques et tactiques de la politique d’ingérence de Varsovie dans le conflit ukrainien. Ils agissent de concert et l’un ne va plus sans l’autre.

Photo prise début juin près de Slaviansk. On reconnaît à gauche Jerzy Dziewulski, et au centre le président intérimaire Oleksandr Tourtchynov en train de commander les opérations de répression militaire. 



C’est juste avant l’opération punitive déclenchée en avril par la junte de Kiev qu’ont commencé à filtrer des informations sur les équipes de mercenaires opérant à l’intérieur des frontières de l’(ex-)Ukraine. Mais les preuves de l’envoi par Varsovie de contingents de mercenaires polonais en Ukraine n’ont fait surface que très récemment [4]. Radosław Sikorski s’est empressé de contester la véracité des révélations diffusées fin mai, alors même que le ministre délégué des Affaires étrangères de la Russie soulignait, de son côté, que des mercenaires étrangers, en particulier des Polonais, étaient engagés sur le terrain et participaient aux opérations. De façon tout aussi désinvolte, Sikorski a déclaré ne pas accorder le moindre crédit à l’annonce de la capture de ces mercenaires et de leurs officiers d’encadrement polonais. Pour le ministère des Affaires étrangères, ces informations sont mensongères et malveillantes, c’est de la « pure propagande ». On s’étonnera d’autant moins des propos de Sikorski qu‘à peine une semaine plus tôt, il dénonçait l’illégalité du principe même du mercenariat. Il ne faut donc pas s’attendre à ce qu’il confirme l’existence de ces mercenaires polonais. Maintenant que circule, sur le réseau internet, la photo de Dziewulski en tenue de combat avec casque, treillis, et pistolet en bandoulière, en compagnie de Tourtchynov, il est devenu impossible de nier la présence de forces polonaises dans la zone des combats.

Jerzy Dziewulski


Il est utile de consulter le curriculum vitae de Dziewulski pour comprendre à quel point cette photo est révélatrice des turpitudes du gouvernement polonais, surpris en pleine forfaiture au beau milieu de ses manigances. Comme l’indique son site internet, Dziewulski est un expert de l’antiterrorisme et c’est lui qui a créé la Commission des Services spéciaux polonais (les Forces spéciales). Il a été formé à l’utilisation des mines explosives, aux techniques de mise en œuvre des explosifs de toutes natures, et à la pratique du tir embusqué. Il a suivi des stages de formation pratique en Israël, aux États-Unis, en Allemagne et en France, passant même par le département d’État et le Bureau des alcools, du tabac, des armes à feu et des explosifs (l’ATF : Bureau of Alcohol, Tobacco & firearms) durant son séjour en Amérique. Il se vante d’être le meilleur expert au monde en matière de sécurité, y compris pour le recours à des entreprises spécialisées (lire : des sociétés assurant la formation et la mise à disposition de mercenaires), et pour l’organisation et la mise en œuvre de plans de sécurité personnalisés (lire : la conduite d’actions offensives par des groupes de mercenaires). Vu les liens très étroits qu’il a entretenus avec Aleksander Kwaśniewski (l’ancien président polonais), il est très vraisemblablement un rouage important de l’appareil complexe des services de la sécurité nationale de l’État polonais. Partant de là, on ne voit pas comment le ministre des Affaires étrangères, Radosław Sikorski, pourrait ignorer tout de l’implication directe, dans le conflit qui s’envenime de jour en jour chez son voisin ukrainien, d’un personnage aussi proche des plus hautes autorités du gouvernement, par ailleurs titulaire de tels états de service.

Ce qui ressort de tout cela, c’est que Sikorski et Dziewulski ont pris le contrôle de la politique étrangère de la Pologne chez son voisin ukrainien. Ce sont eux qui conduisent conjointement, et sur deux fronts, l’offensive en cours contre les populations du Donbass. Sikorski, qui manœuvre pour succéder à la baronne Catherine Ashton comme Haut-Représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, a pratiquement éclipsé le Premier ministre lui-même. 69 % des Européens avouent ne pas connaître Donald Tusk, le chef du gouvernement polonais. Sikorski veut incarner la haute stratégie mise en œuvre par la Pologne pour faire prévaloir ses intérêts dans les territoires de l’ancienne République des Deux Nations. C’est à l’ambition de faire revivre cet empire perdu que le chef des services de sécurité ukrainiens de l’administration de l’ère Ianoukovytch attribue la participation de la Pologne au coup d’État de février dernier. Pour sa part, Dziewulski n’occupe pas le devant de la scène. Jusqu’à la publication de la photo évoquée plus haut, ses agissements à l’est des frontières de la Pologne étaient, pour l’essentiel, restés dans l’ombre. Avec les forces qu’il contrôle, il assure la mise en œuvre, sur le terrain, de la stratégie définie par Sikorski, en opérant les choix tactiques appropriés. Le champ des compétences qu’il a développées antérieurement donne à penser qu’il pourrait bien être celui qui supervise l’action des légions de mercenaires écumant le Donbass (et donc le responsable direct de tous les crimes de guerre qui y sont perpétrés). Après tout, il est peu probable que Tourtchynov perde son temps à se faire photographier en compagnie d’un personnage de troisième ordre (ce que n’est pas Dziewulski), à proximité des lignes de front de l’offensive qu’il a déclenchée. Ensemble, Sikorski et Dziewulski constituent le cerveau et les bras de la machine de guerre que Varsovie déploie au delà de sa frontière orientale dans l’espoir de reconstituer la défunte République des Deux Nations, oublieuse du fait qu’elle-même n’est guère, en Ukraine, que le « Turc de service » des États-Unis et de l’Otan [5].

Andrew Korybko

[1] Aleksander Kwaśniewski a été élu à la présidence de la république polonaise le 9 octobre 1995, battant Lech Walesa, le président sortant. Il s’est vu confier un deuxième mandat par les électeurs le 8 octobre 2000. C’est durant son premier mandat qu’’est intervenue, en 1999, l’adhésion de la Pologne à l’Otan. C’est en 2004, au cours de son deuxième mandat, que Varsovie est devenue membre de l’Union Européenne.
[2] Oleksandr Tourtchynov est par ailleurs l’ancien chef des services secrets ukrainiens.
[3] Voir son site internet Jerzy Dziewulski.
[4] La mise en garde de Moscou : “Moscow warns Kiev against using military, mercenaries in southeastern Ukraine”, RT, 8 avril 2014 ; Notre article : « Ukraine : la Pologne avait formé les putschistes deux mois à l’avance », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire ; Et la réponse officielle du ministre : « Poland denies training mercenaries for Maidan protests — foreign minister », Itar-Tass, 10 juin 2014
[5] « La Pologne, nouvelle tête de pont d’un plan de déstabilisation de l’Otan », par Andrew Korybko, Traduction Gérard Jeannesson, Oriental Review, Réseau Voltaire, 26 février 2014.