Image captée sur un site djihadiste montrant des combattants de l’EIIL, le 11 juin, en Irak. | HO/AFP
Les Etats-Unis vont-ils se réengager en Irak ? Deux ans et demi après avoir annoncé en fanfare le départ des troupes américaines, Barack Obama n'a exclu « aucune option », jeudi 12 juin, pour répondre à l'avancée des djihadistes en direction de Bagdad. Le président américain, qui ne cesse de proclamer que la page des guerres est tournée, s'est une nouvelle fois retrouvé brusquement confronté aux conséquences de la politique de son prédécesseur.
L'avancée des forces de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) a plongé M. Obama dans un nouveau dilemme sur la conduite à tenir face à une situation d'urgence où il est difficile de distinguer les « bons ». Mais, s'il n'a pas voulu intervenir en Syrie dans ce qui est devenu une guerre par procuration entre chiites et sunnites, M. Obama semble avoir décidé d'une attitude différente face à la menace de désintégration de l'Irak. Voudrait-il s'en désintéresser, d'ailleurs, que la hausse des prix du pétrole le ramènerait aux réalités.
Intervenant dans le bureau Ovale, en marge d'une rencontre avec le premier ministre australien, Tony Abbott, le président américain a été interrogé sur la demande du premier ministre irakien, Nouri Al-Maliki, d'un soutien aérien aux troupes irakiennes en débandade après la chute de Mossoul, la deuxième ville du pays. « Je n'exclus rien, a-t-il répondu. L'Irak va avoir besoin de plus d'aide de la part des Etats-Unis et de la communauté internationale. Notre équipe de sécurité nationale étudie toutes les options. » M. Obama a souligné qu'il y a « un enjeu » pour les Etats-Unis à « assurer que ces djihadistes ne s'installent pas de façon permanente en Irak, ou en Syrie d'ailleurs ». Une demande précédente de M. Maliki avait essuyé un refus de la Maison Blanche.
DÉLUGE DE CRITIQUES DES RÉPUBLICAINS
Un peu plus tard, le Pentagone a confirmé que rien n'était exclu, en effet, sauf l'envoi de troupes au sol. Les huit années de guerre ont fait plus de 4 400 morts américains pour un coût de 800 milliards de dollars (590 milliards d'euros). Personne n'imaginerait revoir des soldats américains à Fallouja ou à Tikrit, sauf dans une mission de guidage de drones. Le vice-président Joe Biden, qui est chargé de la gestion des relations avec le gouvernement chiite de Bagdad, a appelé Nouri Al-Maliki pour lui faire savoir que les Etats-Unis sont « prêts à accélérer et intensifier leur soutien ». Lorsqu'il était candidat à la Maison Blanche, M. Biden avait été critiqué pour avoir suggéré la partition de l'Irak en décembre 2006. Depuis la prise de Kirkouk par les Kurdes, dans le nord du pays, l'idée est réapparue dans les médias américains.
Les républicains ont fait pleuvoir un déluge de critiques sur Barack Obama, à qui il a été rappelé sa déclaration du 14 décembre 2011, façon mission accomplie : les Etats-Unis laissent derrière eux un Irak « souverain, stable et autosuffisant ». Depuis dix ans, l'Irak est le nœud de divergences irréconciliables entre ceux qui étaient favorables à l'invasion et veulent, in fine, « gagner », quel que soit le temps nécessaire, et ceux qui estiment que les Etats-Unis ont assez donné. Ceux-là trouvent que M. Maliki, en refusant de partager le pouvoir avec les sunnites, a creusé sa propre tombe. « Pourquoi faudrait-il encore sauver Maliki ? », a interrogé un ancien officier sur CNN.
Les « faucons » reprochent surtout à M. Obama de n'avoir pas réussi à négocier un accord de sécurité qui aurait permis à un contingent de quelque 10 000 Américains de rester sur place, après le retrait du 18 décembre 2011, pour assurer des missions antiterroristes comme celle qui aurait pu faire échec, pensent-ils, à l'opération actuelle de l'EIIL. Mais M. Obama avait pris acte du refus du chef du gouvernement irakien de garantir l'immunité des forces américaines et il avait déclaré la présence des Etats-Unis en Irak terminée. « A l'heure qu'il est, Maliki doit regretter cette erreur », a dit John Negroponte, ancien ambassadeur à Bagdad.
« QUE FAIT LE PRÉSIDENT ? IL FAIT LA SIESTE »
Cinglant, le speaker du Congrès, John Boehner, après avoir affirmé que la menace était prévisible et ce « depuis des mois », a lancé : « Maintenant, les djihadistes sont à 150 km de Bagdad. Et que fait le président ? Il fait la sieste. »
John McCain a pris la parole au Sénat. « Si j'ai l'air en colère, a-t-il précisé, c'est parce que je suis en colère. Ce que nous avons construit est en train de s'effondrer. » Le vieux sénateur républicain, héros de la guerre du Vietnam, est l'un ce ceux qui avaient plaidé très tôt pour le surge (l'envoi de renforts) de 2006, et pour qu'on laisse le temps aux renforts de faire effet. Il a appelé Barack Obama à remplacer toute son équipe de sécurité nationale, y compris le chef d'état-major des armées, et à rappeler le général David Petraeus. « L'EIIL s'est emparé de 492 millions de dollars à la banque centrale de Mossoul, a-t-il fulminé. C'est devenu la plus riche organisation terroriste de l'Histoire. »
Les « faucons » sont persuadés que tout cela aurait pu être évité, avec une petite force résiduelle mais que Barack Obama a choisi le retrait complet pour des raisons électorales. John McCain a « supplié » son ancien rival de revoir sa décision sur le retrait d'Afghanistan. « Les Afghans n'ont pas de capacités aériennes. S'il vous plaît, conservez une petite force en Afghanistan ! » Les spécialistes de politique étrangère a reproché au président d'avoir, par son inaction en Syrie, créé un vide qui a profité à l'EIIL. Certains experts ont plaidé pour des frappes aériennes contre les troupes qui avanceraient sur Bagdad, à la manière de l'opération franco-américaine qui avait permis de sanctuariser Benghazi, en Libye. Mais les démocrates se sont montrés plus circonspects.
Chef de file démocrate à la Chambre des représentants, Nancy Pelosi s'est déclarée opposée à des bombardements. « Et quoi, après ?, s'est-elle interrogée. C'est la politique erronée qui nous a menés sur ce chemin il y a onze ans. »
Combats dans la province de Diyala
Des affrontements avaient lieu vendredi 13 juin entre l’armée irakienne et des insurgés qui tentaient de se diriger vers Bakouba, la capitale de la province de Diyala, voisine de celle de Bagdad. Le vice-gouverneur de Diyala Fourat Al-Tamimi a indiqué de son côté que les forces kurdes des Peshmergas avaient le contrôle des secteurs de Saadiyah et Jalawla, au nord-est de Bakouba, après le retrait de l’armée.
Craignant un assaut djihadiste contre Kirkouk, dans le nord de l’Irak, les forces kurdes en ont profité pour prendre le contrôle total de cette ville pétrolière que se disputent depuis des années la région autonome du Kurdistan et le gouvernement central, ainsi que d’autres zones disputées.