Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

dimanche 11 mai 2014

Hommage à Jean-Yves Socard, assassiné le 5 mai au Yémen




Un homme est mort lundi dernier assassiné par balles, à Sanaa, capitale du Yemen. Cet homme, un citoyen français, a été mentionné dans nos journaux télévisés mais très brièvement et peu d’entre eux ont indiqué qu’il était un ancien soldat des forces spéciales.

Jean-Yves Socard était un ancien parachutiste du 3e RPIMa de Carcassonne. Il avait rejoint le « 3 » après avoir effectué son service national à 18 ans au sein du « 6 » à Mont de Marsan. Dès le départ, Jean-Yves Socard était un « volontaire ». Équipier au sein des groupements commandos parachutistes (GCP), unité d’élite de la 11e division aéroportée, il a servi le drapeau français durant 22 ans.

Jean-Yves Socard accomplira le chemin ascendant qui va du premier saut de quelques centaines de mètres aux sauts à haute altitude (8 à 10 000 mètres) des chuteurs opérationnels, l’élite des parachutistes.

« Le premier saut, c’est un rendez-vous que le jeune soldat a avec lui-même. Il va se trouver confronté avec sa propre vérité. Son choix est libre ». (1) Volontaire, volontaire Jean-Yves l’a été toute sa vie de soldat. Il avait la foi, celle qui déplace les montagnes, celle qui brave tous les obstacles. Celle qui, dans la grisaille quotidienne, permet de se dépasser. Celle qui permet de servir coûte que coûte la Patrie et la liberté

En 1983, il est déployé à Beyrouth en tant qu’appelé « VSL » (Volontaire Service Long). Après le terrible attentat contre le Drakkar (2) le 23 octobre où 58 parachutistes français trouvèrent la mort, le très jeune Jean-Yves Socard, para de 18 ans, est de garde à l’ambassade de France. Malgré le contrôle des rues, un véhicule fonce vers l’ambassade. Jean-Yves est armé d’un FSA 49/56 avec lance-grenade. Il tire à plusieurs reprises sur le véhicule et blesse des occupants. Son sang-froid, avec une arme quelque peu dépassée, force l’admiration de ses camarades. Pour cette action de bravoure personnelle lors d’une tentative d’attentat, il recevra la Croix de la valeur militaire.

Le Drakkar, juste après l’attentat. 
Source TB


Après le Liban, Jean-Yves Socard effectuera de nombreuses opérations extérieures et missions outre-mer : Bosnie, Tchad, RCA, Congo (RDC et Brazzaville), Gabon, Irak, Kosovo, La Réunion, Nouvelle Calédonie.

Il participe à l’opération Daguet à partir de janvier 1991 au sein des CRAPS (3). Il sera grièvement blessé lors de la prise du Fort d’Al Salman. Pour ce fait d’arme, il recevra la Croix de guerre. Encore convalescent, il est volontaire pour participer à l’opération Silopi au Kurdistan. La mission est alors de créer, avec des militaires américains, italiens, britanniques et espagnols, un couloir humanitaire jusqu’à la frontière turque entre la ville kurde de Zakho (sur la route 6) et la ville turque de Silopi (Route 24) où est stationné le QG américain. En trois mois, cette opération d’assistance permit à 750 000 réfugiés kurdes de revenir vers leur pays natal pour y retrouver une vie « normale ».

Après 22 années passées dans les forces spéciales, Jean-Yves Socard continue d’être fidèle au style de vie qu’il a choisi et travaille pour plusieurs sociétés de sécurité privées. Ses missions très variées se déroulent principalement en Afrique (RCA, République Démocratique du Congo, Guinée, Mali, Soudan).


Jean-Yves Socard (au premier plan) 
lors d’une chute opérationnelle en 1988 à partir d’un C-160 Transall. 
Source TB


Sportif accompli, ayant une passion pour la « chute » mais également pour la randonnée en montagne, Jean-Yves Socard était attiré par cette « verticalité » qu’il entendait ressentir physiquement mais aussi spirituellement. Jean-Yves aurait pu se retrouver dans cette magnifique chanson de Jacques Brel, cherchant toute sa vie de soldat « l’inaccessible étoile ». Parlant plusieurs langues, il était également porté sur la lecture de textes sacrés sur l’hindouisme ainsi que sur l’Ancien et le Nouveau Testament. Dans ce cheminement intérieur, il retrouvait cet univers principiel de la quête qui ne peut pas être uniquement guerrière mais que seuls les guerriers, depuis des siècles, entreprennent pour devenir des hommes complets à travers la pratique d’une forme d’ascèse, de sacerdoce militaire. Depuis le temps des chevaliers, ces hommes suivent une éthique aux quatre points cardinaux : Honneur, Vérité, Courage, Loyauté. Dans cet œcoumène viril, peu sont admis et beaucoup renoncent…

Jean-Yves Socard souhaitait « DURER », même après sa carrière militaire. Sa reconversion professionnelle dans des sociétés privées de sécurité et de protection allait de soi car les missions à l’étranger lui permettaient de conserver un style de vie qui lui était aussi vital que l’air qu’il respirait.

Pour ETRE, il faut avant tout DEVENIR car rien ne s’acquiert sans effort, comme l’écrivait Hélie de Saint Marc : « Il faut savoir que rien n’est sûr, que rien n’est facile, que rien n’est donné, que rien n’est gratuit. Tout se conquiert, tout se mérite. Si rien n’est sacrifié, rien n’est obtenu ». 

A la fin du film d’Edward Zwick « Le dernier samouraï » le jeune empereur du Japon, demande à l’officier américain qui avait combattu auprès du samouraï rebelle Katsumoto comment ce dernier était mort dans la bataille contre l’armée japonaise. Ce dernier lui répond alors simplement « Je vais vous raconter comment il a vécu ». Car là, est la plus grande leçon de vie que nous pouvons laisser aux jeunes générations, de plus en plus fatalistes et individualistes. Beaucoup de jeunes Français, apprendraient beaucoup sur la vie d’un homme comme celle de Jean-Yves Socard, lors des Journées Défense et Citoyenneté (JDC), qui personnifia cette phrase toute simple mais tellement éducative de René Quinton qui participa à la Grande Guerre : « L’héroïsme est de servir ».

Ironie du destin ? Jean-Yves a débuté sa vie de soldat à proximité de l’ambassade France au Liban et l’a quitté à proximité de l’ambassade de France au Yémen. Saint Michel l’a accueilli à la lumière de son épée, il avait peut-être besoin de lui pour d’autres célestes missions…

A l’heure où j’écris ces quelques phrases, je ne peux les isoler de la mort au Mali le 8 mai dernier du sergent Marcel Kalafut, également parachutiste, au 2e REP. D’un côté Jean-Yves, Français mort pour le drapeau européen (4) et de l’autre Marcel Kalafut, Européen mort pour le drapeau français… Tous deux étaient des « volontaires ». Paix à leur âme. « La guerre est finie. Les guerriers marchent toujours ». (5)

Stéphane Gaudin


1. Gilles Perrault, « Les parachutistes », Editions Fayard, 2006.

2. Le 18 octobre, un attentat fut perpétré contre l’ambassade des Etats-Unis par un véhicule bourré de 900 kg d’explosifs qui fit 63 victimes (dont 17 américains) et 120 blessés.

3. Commandos de recherche et d’appui dans la profondeur (chuteurs opérationnels).

4. Jean-Yves assurait la protection de la délégation de l’Union européenne au Yémen.

5. In Les Réprouvés, Ernst von Salomon, Editions Bartillat.