Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

dimanche 18 mai 2014

Boko Haram, l'ennemi commun


On connaissait le président français en chef de guerre au Mali puis en Centrafrique. Mais pas encore en grand débroussailleur de dossiers insolubles entre Africains francophones et anglophones. C'est pourtant la tâche à laquelle il s'attelle en recevant à l'Élysée, à la demande du président nigérian Goodluck Jonathan, les chefs d'État du Cameroun, du Niger, du Tchad et du Bénin, plus des représentants américain, britannique et de l'Union européenne.

Est-ce seulement un show, comme l'affirment les sceptiques, pour un président français qui n'a guère de succès en politique intérieure et pour son homologue nigérian, président falot et impopulaire qui voit sa réélection de 2015 de plus en plus compromise ? Pas seulement.

Le rapprochement entre la France et le Nigeria date d'une bonne année. Il avait en fait été entrepris dès les années 1990, lorsque Paris avait réalisé qu'il n'était pas possible d'ignorer ce géant économique de l'Afrique au coeur du pré carré africain. En janvier dernier, lorsque François Hollande s'est rendu à Abuja en visite officielle, Goodluck Jonathan lui a demandé son aide pour faire face à la menace croissante de Boko Haram. Le président français a répondu positivement.

Territoire conquis

Que peut-il faire ? Paris a envoyé la semaine passée, comme les Américains et les Britanniques, des agents de renseignements dans le nord du Nigeria pour tenter de localiser les 200 infortunées lycéennes aux griffes de Boko Haram depuis un grand mois. Mais Paris a d'autres atouts pour réussir ce court sommet de l'Élysée qui durera le temps d'un déjeuner et d'une réunion de deux heures trente : c'est sa capacité à mettre ensemble et à faire se parler les chefs d'État francophones et anglophones de la région pour qu'ils bâtissent ensemble une stratégie contre Boko Haram.

Les hommes de cette secte mi-mafieuse mi-djihadiste conduite par un illuminé franchissent sans encombre les frontières poreuses du nord du Cameroun, du sud du Niger et du sud du Tchad. Ils s'y conduisent en territoire conquis. Les relations sont bonnes entre le Niger et le Nigeria. Les deux pays ont signé récemment un accord permettant à leurs armées d'utiliser un droit de suite sur le territoire de l'autre contre Boko Haram. Un accord similaire devrait être conclu prochainement entre le Nigeria et le Tchad.

Tout autres sont les relations entre Abuja et Yaoundé. Or le nord du Cameroun sert quasiment de base arrière à Boko Haram. C'est dans cette région que le groupe islamiste avait enlevé en 2013 la famille Moulin-Fournier puis le père Georges Vandenbeusch avant de les emmener au Nigeria.

La péninsule de Bakassi

Or, un vieux contentieux, celui de la péninsule de Bakassi située à la frontière des deux pays, empoisonne les relations entre les deux pays. Les chefs d'État ne se parlent pas. Ce dossier de Bakassi avait failli susciter une guerre entre eux au début des années 1980 et avait été le premier dossier "chaud" africain traité par François Mitterrand quelques semaines après son arrivée au pouvoir en 1981. Il avait, sans tambour ni trompette, envoyé quelques hommes au secours du Cameroun. Officiellement, ce contentieux est réglé depuis une dizaine d'années. Bakassi est revenue au Cameroun, mais la réconciliation des coeurs n'a pas suivi.

Et le Nigeria accuse les autorités de Yaoundé de rester passifs face aux agissements de Boko Haram sur son sol. En fait, le Cameroun, où musulmans, chrétiens catholiques, protestants et animistes vivent en bonne intelligence, craint, en se lançant dans une lutte ouverte contre Boko Haram, d'ouvrir une boîte de Pandore qui pourrait le déstabiliser. L'objectif de François Hollande est donc de réconcilier ou au moins d'obtenir que les présidents camerounais et nigérian, Paul Biya et Goodluck Jonathan, acceptent de faire coopérer leurs services de renseignements et leurs militaires dans la traque de Boko Haram. Va-t-il y réussir ?

On peut le supposer. Les chefs d'État africains sont de plus en plus inquiets de voir Boko Haram étendre ses rets au coeur de l'Afrique. Le nord musulman et totalement déstabilisé de la Centrafrique (c'est aussi une des raisons de l'intervention française dans ce pays) et le sud du Soudan en guerre pourraient être des morceaux de choix pour que Boko Haram s'y installe et y recrute. Le Tchad voisin serait inévitablement contaminé, des liens pourraient se nouer avec des jeunes sans emploi des populations locales. On sait déjà que si Boko Haram n'a pas de liens organiques avec Aqmi au nord du Mali, la secte nigériane a envoyé en 2011 des hommes se former au maniement des armes dans les camps maliens. Une partie de l'armement de Boko Haram provient des armes prises (ou vendues) par les soldats nigérians, d'autres sont venues de Libye via les groupes du nord du Sahel. Les djihadistes de tous les pays se donnent la main.

Mireille Duteil