« Nous assistons à une énorme partie géopolitique dans laquelle l'objectif est la destruction de la Russie en tant qu'opposante géopolitique aux Etats-Unis ou à l'oligarchie financière mondiale [.] La réalisation de ce projet va de pair avec le concept de domination mondiale menée par les Etats-Unis. »
- Vladimir Yakounine, ancien haut diplomate russe
« L'Histoire montre que partout où les Etats-Unis font de l'ingérence, le chaos et la misère s'ensuivent. »
Après 13 années d'actes de violence qui ont réduit de larges pans de l'Asie Centrale et du Moyen-Orient à l'anarchie et à la ruine, le pouvoir destructeur de l'armée américaine a finalement trouvé à qui parler dans une petite péninsule du Sud-Est de l'Ukraine, qui sert de base opérationnelle principale à la flotte russe de la Mer Noire.
La Crimée est la porte par laquelle Washington doit passer pour pouvoir étendre ses bases avancées dans toute l'Eurasie, prendre le contrôle des couloirs vitaux de pipelines et de ressources, et s'établir en tant que puissance dominatrice militaro-économique dans ce nouveau siècle. Malheureusement pour Washington, Moscou n'a aucune intention de se retirer de la Crimée ou de renoncer à contrôler son poste militaire avancé crucial de Sébastopol. Cela signifie que la Crimée - qui a été envahie par les Cimmériens, les Bulgares, les Grecs, les Scythes, les Goths, les Huns, les Khazars, les Ottomans, les Turcs, les Mongols et les Allemands - pourrait connaître une nouvelle conflagration dans les mois à venir. Une telle situation pourrait déclencher une Troisième Guerre mondiale, faire s'effondre la structure mondiale de sécurité existante et établir un nouvel ordre mondial, qui serait toutefois différent de celui imaginé par les mythomanes du Council on Foreign Relations et autres groupes de réflexion d'extrême-droite qui guident la politique étrangère américaine et qui sont responsables de la crise actuelle.
La façon dont Washington se conduira dans ce nouveau conflit nous dira si les auteurs de la Guerre contre la Terreur - ce bobard des relations publiques qui a servi à cacher les objectifs visant à émasculer les libertés civiles et à établir un gouvernement mondial unique - étaient réellement sérieux quant à la réactualisation de leur vision d'un Nouvel Ordre Mondial ou si c'était simplement une chimère collective de PDG de grandes entreprises et de banquiers désouvrés. En Crimée, l'empire est confronté à un véritable adversaire, et non à un groupe disparate de djihadistes en tongs brandissant des kalachnikovs. C'est l'Armée russe ; ils savent comment se défendre et sont préparés pour le faire. La balle est désormais dans le camp d'Obama. C'est à lui et à ses conseillers tordus du « Grand Echiquier » de décider jusqu'où ils veulent pousser cette affaire. Veulent-ils intensifier la rhétorique et accroître de façon irréversible les sanctions jusqu'à ce que les coups soient échangés ? Veulent-ils tout risquer sur un coup de dé téméraire ou passer au Plan B ? Telle est la question. Quoi que les responsables politiques américains décident, une chose est sûre : Moscou ne cèdera pas. Les Russes sont déjà dos au mur. Soit dit en passant, ils savent qu'un psychopathe assasin rôde en liberté, et ils sont prêts à faire tout ce qui est nécessaire pour protéger leur peuple. Si Washington décide de franchir cette ligne et de provoquer le combat, alors il y aura des problèmes. C'est aussi simple que cela.
John McCain, le faucon de toujours, pense qu'Obama devrait jeter son gant et montrer à Poutine qui est le chef. Dans une interview accordée au magazine Time, McCain a déclaré : « C'est une partie d'échecs qui rappelle la Guerre Froide et nous devons en avoir conscience et agir en conséquence [.] Il nous faut prendre certaines mesures qui convaincraient Poutine que les actions qu'il est en train de mener aurait un coût élevé ».
« Un coût élevé » a dit McCain, mais élevé pour qui ?
Ce que McCain ne réalise pas est que ce n'est pas l'Afghanistan et qu'Obama n'a pas affaire au docile fantoche de Karzaï. Lancer des sanctions contre Moscou aura des conséquences importantes, du genre qui causeraient beaucoup de dommages aux intérêts américains. Avons-nous mentionné que le « plus gros projet pétrolier non-américain d'ExxonMobil est une collaboration avec le pétrolier russe Rosneft dans l'Arctique, où des milliards de dollars d'investissements sont en jeu ? » Et que se passera-t-il si Poutine décide qu'il n'est plus dans les intérêts de Moscou d'honorer les contrats qu'il a passé avec des entreprises américaines ? A votre avis, quelle sera la réaction des actionnaires à cette nouvelle ? Et ce n'est qu'un seul exemple. Il y en a bien d'autres.
Toute confrontation avec la Russie aura pour conséquence des attaques asymétriques contre le dollar, le marché obligataire et l'approvisionnement en pétrole. Peut-être les Etats-Unis peuvent-ils vaincre les forces russes en Crimée. Peut-être pourraient-ils couler leur flotte et mettre leurs troupes en déroute, mais il y aurait un prix très élevé à payer et personne ne sera satisfait du résultat. Voici l'extrait d'un article de Testosterone Pit qui résume bien la situation :
« Sergueï Glazyev, le conseiller le plus intransigeant de Poutine, a esquissé la stratégie de représailles : Se débarrasser des dollars, vendre les Bons du Trésor américain, encourager les sociétés russes à ne pas rembourser leurs dettes libellées en dollars et créer un système monétaire alternatif avec les BRICS et les producteurs d'hydrocarbures comme le Venezuela et l'Iran [.]
« L'allié de Poutine et son ami de confiance, le président de Rosneft Igor Sechin [.] a suggéré qu'il était "recommandé de créer une bourse de valeurs internationale pour les pays participants, où les transactions pourraient être enregistrées en utilisant les monnaies régionales. » (Now On, No Compromises Are Possible For Russia [A partir de maintenant, aucun compromis n'est possible pour la Russie], Testosterone Pit)
A mesure que les Etats-Unis continuent d'abuser de leur pouvoir, ces changements deviennent de plus en plus nécessaires. Les gouvernements étrangers doivent former de nouvelles alliances afin d'abandonner le système actuel - le « système dollar » - et établir une plus grande parité entre les Etats-nations, ces mêmes Etats-nations que Washington détruit un à un pour établir sa vision macabre de l'utopie mondiale des affaires. La seule façon de faire dérailler ce projet est d'exposer la faiblesse aveuglante de ce système lui-même, c'est-à-dire l'utilisation d'une devise internationale qui est adossée à une dette gouvernementale de 15.000 milliards de dollars, à une dette de la Réserve Fédérale de 4.000 milliards de dollars, et de milliers de milliards de dollars supplémentaires d'obligations fédérales non remboursées et non remboursables.
Quelles que soient les mesures prises par Moscou pour mettre un terme au système actuel et remplacer la devise de réserve mondiale par une monnaie qui représente une jolie réserve de valeurs, elles devraient être applaudies. L'attitude irréfléchie et meurtrière de Washington dans le monde entier rend les Etats-Unis particulièrement impropres pour être le régisseur de fait du système financier mondial ou pour bénéficier d'une valorisation artificielle de leur monnaie, qui permet aux Etats-Unis de jouer le rôle de banquier avec le reste du monde. Le dollar est la fondation sur laquelle reposent les trois piliers de la force impériale : politique, économique et militaire. Supprimez cette fondation et tout l'édifice s'écroule. Ayant abusé de ce pouvoir, en tuant et en estropiant des millions de personnes sur toute la planète, le monde a besoin d'une transition vers une autre façon bienveillante de perpétrer ses transactions d'affaires, de préférence une devise qui n'est pas adossée au sang et à la misère de victimes innocentes. Paul Volcker a résumé les sentiments de nombreux détracteurs du dollar, en 2010, en disant :
« Le sentiment croissant dans une bonne partie du monde est que nous avons perdu à la fois la force économique relative et, ce qui est plus important, un modèle cohérent de gouvernance réussie pouvant être copié par le reste du monde. A la place, nous sommes confrontés à des marchés financiers cassés, à la sous-performance de notre économie et à un climat politique turbulent. »
L'Amérique est irréversiblement cassée et Washington est un marécage d'immoralité. Le monde a besoin d'un changement de régime, de nouveaux dirigeants, d'une nouvelle direction et d'un système différent.
Dans notre dernier article, nous avons essayé d'attirer l'attention sur le rôle que les grandes compagnies pétrolières ont joué dans la crise actuelle. L'auteur Nafeez Ahmed s'étend sur ce thème dans un article « qu'il faut lire à tout prix » et qui a été publié dans l'édition du Guardian, lundi dernier. Voici un bref extrait de l'article d'Ahmed, intitulé « Ukraine crisis is about Great Power oil, gas pipeline rivalry » [La crise en Ukraine est une question de grandes puissances pétrolières et de rivalité en matière de pipelines » :
« L'Ukraine est de plus en plus perçue comme étant située à un endroit critique dans la bataille qui se fait jour pour dominer les couloirs de transport de l'énergie, reliant les réserves de pétrole et de gaz naturel du bassin de la Caspienne aux marchés européens [.] Une compétition de grande envergure est déjà apparue dans la construction de pipelines. Il reste à voir si l'Ukraine fournira des itinéraires alternatifs pour aider à diversifier l'accès [à ces réserves], ce que préfère l'Ouest, ou si "elle se retrouvera forcée de jouer le rôle d'un subalterne de la Russie". » (Guardian)
Les géants pétroliers occidentaux avaient du « retard à rattraper » depuis plus dix ans, avec Poutine qui faisait échec et mat à chacune de leur manouvres. Il se trouve que l'habile ancien élève du KGB s'est avéré meilleur en affaires que tous ses concurrents, en les piégeant à leur propre jeu, se servant de l'économie de marché pour étendre son réseau de pipelines dans toute l'Asie Centrale et en Europe. Voilà de quoi exactement est faite la crise actuelle. Les grosses compagnies pétrolières se sont avérées être les « perdantes » dans cette guerre pour les ressources et elles veulent maintenant que l'Oncle Sam montre un peu de muscle pour qu'elles puissent revenir dans la partie. Cela s'appelle une « déconvenue », qui se rapporte aux jérémiades de ceux qui prennent une raclée. Ecoutons à nouveau Ahmed :
« Certes, les violentes émeutes ont été déclenchées par la frustration que le rejet par Yanoukovitch de l'accord avec l'UE a engendrée, (à la faveur d'une soudaine proposition de Poutine de réduire la facture de gaz ukrainienne de 30% et d'une aide de 15 milliards de dollars) dans un climat de prix de l'énergie qui flambent, tout comme les autres factures (notamment alimentaires) des Ukrainiens, lié aux infortunes nationales en matière de gaz de l'Ukraine [.] La brutalité policière pour réprimer ce qui a commencé comme des manifestations pacifiques a été la goutte qui a fait déborder le vase [.] » (Guardian)
Autrement dit, Yanoukovitch a rejeté une offre de Chevron que l'UE et Washington poussaient, et a préféré l'accord plus favorable de la Russie. Selon Ahmed, cela a mis en colère les grosses huiles qui ont décidé d'inciter aux émeutes. (« La soudaine proposition de Poutine de réduire la facture de gaz ukrainienne de 30% et d'une aide de 15 milliards de dollars a provoqué les manifestations [.] »)
Comme nous l'avons dit précédemment, c'est juste une question de déconvenue
Donc, permettez-moi, chers lecteurs, de dire ceci : Est-ce la première fois que vous entendez un analyste respecté dire que le pétrole était derrière les émeutes, le coup d'Etat et la confrontation avec Moscou ?
J'en donnerai ma main à couper. Quelles que soient les tentacules que Wall Street a enroulés autour de la Maison Blanche, du Capitole et du pouvoir judiciaire américain, les grosses compagnies pétrolières sont aux commandes. Les Apôtres des combustibles fossiles constituent le club le plus ancien et le plus puissant de Washington et « Ce qu'ils disent est parole d'évangile ». Ainsi que Ahmed l'a si bien formulé :
« La raréfaction des ressources et la compétition pour dominer les couloirs de l'énergie en Eurasie sont derrière le militarisme russe et l'interférence américaine [.] L'Ukraine a la mauvaise fortune de se retrouver au milieu de cette lutte en accélération visant à dominer les couloirs de l'énergie en Eurasie dans les dernières décennies de l'âge des combustibles fossiles ».
Vous avez dit « Guerre pour les ressources » ?
Ainsi que nous le faisions remarquer dans un article précédent, le cerveau du Nouvel Ordre Mondial, Zbigniew Brzezinski, a dépeint ce conflit avec la Russie ainsi : « couper l'accès des Occidentaux à la Mer Caspienne et à l'Asie Centrale ». Pour une raison inconnue, les compagnies pétrolière monstrueuses de l'Amérique pensent que les ressources qui reposent sous le sol de la Russie leur appartiennent. La question est de savoir si leurs agents pousseront Obama à mettre les troupes américaines en danger pour faire respecter cette revendication. Si elles le font, il y aura la guerre.
Mike Whitney