Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

samedi 28 décembre 2013

Le service de protection des témoins souffle sa 1ère bougie


Depuis une année, le service national de protection des témoins est en service en Suisse. L'occasion de dresser un bilan avec Andreas Leuzinger, responsable de ce service à l’Office fédéral de la police (fedpol).

Protéger, soutenir, voire établir une fausse identité dans les cas extrêmes: le service national de protection des témoins existe depuis un an en Suisse. Sans eux, des trafiquants d’êtres humains, des terroristes ou des organisations criminelles ne pourraient pas être jugés.

«Cela représente un pas énorme», explique Andreas Leuzinger, responsable de la protection des témoins à l’Office fédéral de la police (fedpol). «Ces personnes vivent une crise: elles se font menacer, doivent témoigner devant la justice et, dans le même temps, penser à leur avenir.»

Les procès échoueraient sans leurs déclarations. Les cas dans lesquels ces témoins sont impliqués ne concernent pas forcément des affaires de meurtre ou d’homicide volontaire. Il peut s’agir de contrainte prouvée. Par exemple, lorsque des adolescents pourraient être enrôlés de force pour la guerre sainte, le djihad.

Djihad 

«Le programme de protection des témoins entre en ligne de compte lorsqu’un intérêt public particulier existe», souligne Adrian Lobsiger, directeur suppléant de fedpol. Comme dans le cas mentionné plus haut du djihad.

La protection des témoins s’articule en trois phases. Celle de crise tout d’abord, lors de laquelle un témoin doit être tenu à l’écart d’une situation menaçante et être soustrait à l’influence de ses comparses. Vient ensuite l’étape de stabilisation, qui concerne le moment du témoignage et la participation du témoin pendant la procédure pénale.

Bâtir une nouvelle vie 

Le programme s’achève avec la phase d’intégration, qui consiste à bâtir une nouvelle vie pour ces personnes si les menaces demeurent. Selon les circonstances, il s’agit d’établir une nouvelle identité et une histoire de vie qui peut être racontée de façon crédible aux collègues de travail ou au futur partenaire.

Il faut en outre changer de logement, se réorienter professionnellement et se construire un nouveau cercle d’amis. Ces femmes, hommes, voire familles entières doivent complètement abandonner leur «ancienne vie», afin de s’en recréer une nouvelle. «Cela représente bien plus qu’un passeport avec un nouveau nom», résume Andreas Leuzinger.

Lors de cette première année d’activité du service national de protection des témoins, seules les deux phases initiales ont eu lieu. «Il est encore trop tôt pour la phase d’intégration», explique Andreas Leuzinger.

Selon des estimations effectuées pendant les 24 mois de préparation, fedpol devrait prendre en charge à moyen terme entre 10 et 15 cas par année, ajoute Adrian Lobsiger. Cette protection devrait coûter près de deux millions de francs, d’après les estimations faites.

Signal aux adversaires 

«Les criminels qui font pression pour dissuader les témoins de s’exprimer devant la justice doivent savoir» que ces derniers sont désormais protégés, poursuit-il. L’Etat doit rappeler qu’il détient le monopole de la violence, et qu’il se donne les moyens, notamment financiers, de le conserver. La recherche de la vérité prime. Il s’agit de le signaler aux adversaires.

Les victimes également doivent savoir que leur défense n’est pas bradée. «Le bruit doit se répandre au sein du milieu, parmi les trafiquants d’êtres humains en particulier», déclare Andreas Leuzinger. Plus le programme prendra de cas en charge, plus il se fera connaître auprès des criminels et les tiendra en respect.

Le service national de protection des témoins consacre près des deux tiers de son travail à la protection. Un dernier tiers consiste en des consultations et des prestations dispensées pour les cantons et les ministères publics.

Médias sociaux 

Ce dernier volet concerne les témoins qui n’ont pas besoin d’un programme complet, mais de recommandations pour se protéger eux-mêmes. Par exemple, sur la manière de se déplacer la nuit à l’extérieur ou le comportement à adopter sur les réseaux sociaux. On leur indique également une ou des personnes de contact en cas d’urgence.

Cet aspect devrait gagner en importance dans les prochaines années, prévoit Andreas Leuzinger. Car de nombreux cantons et ministères publics connaissent encore trop peu l’existence de ce programme de protection.

Le comportement des témoins jouera lui aussi un rôle. «Après un an, nous ne pouvons pas encore dire si les témoins tiendront bon sur le long terme». Car la fin du procès ne signifie pas la fin des menaces. Les témoins peuvent par la suite être victimes d’actes de vengeance. Un cas est considéré comme clos «lorsqu’il n’y a plus de danger».

Le service de protection estime qu’il devra prendre en charge les personnes concernées entre cinq et six ans avant qu’elles soient autonomes. Andreas Leuzinger fait remarquer que, jusqu’ici, les témoins sont très coopératifs et motivés, et parviennent rapidement à s’intégrer dans leur nouvelle vie.

La traite des êtres humains en ligne de mire 

Le programme de protection des témoins s’est révélé nécessaire pour permettre à la Suisse d’adhérer à la Convention européenne contre la traite des êtres humains. La décision de prendre une personne dans le programme de protection des témoins est du ressort du directeur de l’Office fédéral de la police (fedpol). 

La protection des témoins garantit la sécurité du témoin en dehors du procès. Même pendant l’enquête, les déclarations du témoin peuvent être «anonymisées», de sorte que le délinquant ne puisse pas le reconnaître. Mais la procédure n’est pas aisée - et il n’est pas sûr à tous les coups que les délinquants ne soient pas en mesure d’identifier le témoin. 

C’est à ce moment que la justice peut opter pour une protection des témoins plus musclée. En déménageant ou en changeant d’identité, les personnes sont davantage en sécurité: elles osent ainsi dénoncer des crimes, même si elles sont menacées par des criminels et craignent pour leur vie. 

Celui qui se trouve dans un programme de protection des témoins s’exprime sous sa véritable identité devant le procureur ainsi qu’au tribunal. Mais après le procès, il repart dans sa «nouvelle vie», créée de toute pièce par le service national de la protection des témoins. 

La décision de prendre une personne dans ce programme incombe au directeur de fedpol. Il se prononce après avoir reçu une demande du service national de protection des témoins, elle-même basée sur une requête d’un Ministère public cantonal ou de la Confédération. 

Les pièges des réseaux sociaux et de la géolocalisation 

Les réseaux sociaux représentent un défi particulier pour la protection des témoins. Des photos postées sur Facebook ou Twitter peuvent fournir des indices sur la nouvelle identité ou le nouveau lieu d’habitation. Les smartphones aussi sont dangereux, car ils permettent d’obtenir des informations sur son utilisateur. 

Les témoins sont briefés pour apprendre à se déplacer dans l’espace virtuel sans laisser de trace. On leur recommande par exemple de ne pas publier de photos qui montrent le visage en entier et de les publier en taille réduite. Les métadonnées qui permettent une localisation ainsi que l’heure de connexion sont aussi à supprimer. 

Les personnes provenant d’autres cultures doivent parfois apprendre ce qui est un comportement «normal» en Suisse, afin de ne pas être repérées. Certaines personnes sont trop «visibles» pour être protégées en Suisse. Pour celles-ci, seul un placement à l’étranger est envisageable - ce que permet la loi sur la protection des témoins. 

Afin que la nouvelle identité soit la plus crédible possible, le service de protection des témoins procure aux personnes particulièrement menacées de nouvelles pièces d’identité. Il peut aussi modifier ou désactiver des bases de données publiques et privées. 

Le service de protection des témoins peut servir aussi de lien vers l’ancienne vie. Il assure, par exemple, que les revendications juridiques du témoin suivent leur cours. Il organise également des rencontres avec des membres de la famille restés à l’extérieur du programme.