Devant l'urgence, la France n'avait pas le choix. Mais sécuriser ce pays immense et assurer une transition politique relève de la gageure.
Suspecté d'appartenir à la Séléka, cet homme a été appréhendé puis protégé de la foule par les forces françaises à Bangui. © JKérôme Delay/AP/Sipa
A l'heure où les premiers soldats français sont tombés pour la France, fallait-il intervenir en République centrafricaine ? Incontestablement oui, car il y avait urgence si on voulait éviter une guerre civile dans cette ancienne colonie française qui n'a jamais été normalement gérée depuis l'indépendance et dans laquelle la France a toujours eu ses pions sans se soucier de la politique qu'ils menaient (Bokassa, David Dacko ramené au pouvoir de Paris dans les soutes d'un avion français, soutien à Bozizé en dépit d'élections contestées...).
Les massacres, commencés il y a plusieurs mois, devenaient interconfessionnels. Ils ont fait plus de 400 morts en quelques jours la semaine passée, dans la seule ville de Bangui. Nul ne connaît encore le nombre des victimes dans le reste du pays.
Hollande n'avait guère le choix
Si on ne peut comparer la Centrafrique de 2013 au Rwanda de 1994, même si les Américains ont parlé de risques "prégénocidaires", rien n'aurait été pire pour François Hollande que de se retrouver dans la situation des Nations unies et des Occidentaux, dont la France, lorsqu'ils ont quitté le Rwanda au début du génocide rwandais. Sans oublier qu'une guerre menant au chaos en RCA risquait de déborder rapidement sur le sud du Tchad (zone pétrolière), le Cameroun, le Soudan, le Congo-Brazzaville. Ce n'est pas être le "gendarme de l'Afrique" que de constater ce fait dans une région où la France a, plus que d'autres, des liens qui persistent.
François Hollande n'avait guère le choix. Pourtant l'intervention française risque d'être difficile et la mort, dans Bangui, la nuit passée de deux soldats français en est la première preuve. Aussi le président français, qui va s'arrêter à Bangui au retour de Johannesburg et espère ramener un ordre durable en RCA en quelques mois afin d'y organiser des élections, risque de faire preuve d'optimisme. La mission est quasiment impossible.
Désarmer la Séléka
Désarmer les ex-rebelles de la Séléka devenus les soldats du "président" Michel Djotodia, pour être une mission délicate, ne devrait pas être le plus difficile. Djotodia, qui s'est autoproclamé président de la transition jusqu'en 2016, craint que Paris ne veuille - à juste titre - hâter son départ à travers l'organisation des élections. Il se dit donc prêt à collaborer avec les Français. Dès dimanche soir, il a demandé à ses hommes de rentrer dans les casernes.
Il a été entendu par certains. D'autres ex-rebelles ont caché leurs armes et abandonné leur treillis pour se fondre dans la population lorsque les Français ont déclaré qu'ils arrêteraient tout porteur d'uniforme qui ne serait pas un Africain de la Misca (Mission internationale de soutien à la Centrafrique) ou un soldat de l'opération Sangaris.
Mais comment 1 600 soldats français aidés par 3 000 Africains mal équipés (leur nombre devrait monter à 6 000) vont-ils réussir à sécuriser Bangui et les grosses agglomérations de cet immense pays ? Sans parler de la brousse où les massacres sont récurrents entre éleveurs (musulmans) et paysans sédentaires (chrétiens).
Que faire des milices chrétiennes ?
Dans l'ensemble de la RCA, les ex-rebelles de la Séléka seraient autour de 20 000 hommes, un nombre important même si on estime que leur noyau dur ne dépasse pas 2 500. En fait, ces miliciens de la Séléka sont issus d'une coalition de groupes originaires du nord du pays (musulmans) renforcés par des Tchadiens, des Soudanais, des brigands et des coupeurs de route. À l'exception de ceux qui ont été intégrés par Djotodia dans son armée, ils ne répondent pas à un chef. Et pourront reprendre les armes dès que la France aura tourné le dos.
Autre difficulté : les Sélékas ne sont pas les seuls groupes en armes. François Bozizé, le président renversé en mars par Djotodia, a lui créé les milices anti-balakas, chrétiennes. Sélékas et anti-balakas rivalisent dans la violence et la terreur.
Que vont faire les Français ? Désarmer les anti-balakas ? C'est indispensable, mais ce ne sera pas aisé, car ces milices chrétiennes se savent soutenues par la population chrétienne à 80 %. Chaque groupe considère que la milice de sa religion le protège. C'est ainsi que des musulmans à Bangui ont été pris à partie hier par la population qui les accuse d'être membres des Séléka du seul fait de leur religion. Des miliciens de la Séléka qui ont caché leurs armes risquent de les ressortir. De leur côté, les chrétiens sont terrorisés des massacres contre leur communauté de ces derniers jours.
La revanche du Nord
Le problème est politique. Un problème de gouvernance d'un immense pays peu peuplé (moins de 5 millions d'habitants) qui est probablement, en Afrique francophone, celui dont le taux d'analphabétisme est le plus élevé. Trop pauvre, trop sous-développé, il n'a jamais connu un pouvoir digne de ce nom.
Le nord de la RCA, musulman, potentiellement riche (diamants, café, bois) n'a jamais vraiment été géré par Bangui. Il manque d'écoles, d'hôpitaux... Avec Michel Djotodia (il s'est lancé en politique il y a une vingtaine d'années), c'est la première fois qu'un homme du Nord est au pouvoir. Il porte un prénom chrétien, Michel, que lui a donné un de ses instituteurs chrétiens. Mais en famille on l'appelait Déya. C'est l'alliance (séléka en sango) de différents groupes ethniques du Nord qui lui a permis de s'installer au pouvoir par la force. Il n'entend pas le perdre et les musulmans du Nord voient en lui le président qui assure leur revanche. Le problème de la Centrafrique risque de s'avérer plus compliqué à régler que celui du Mali.