Profitant de règles plutôt souples et d'une certaine opacité, au moins huit sociétés suisses se sont spécialisées dans l'exportation de système d'espionnage et de surveillance, y compris vers des régimes totalitaires. Un ancien employé du secteur témoigne.
Espionner vos conversations téléphoniques, votre ordinateur, décrypter vos messages ou vos emails, les techniques de surveillance sont aujourd'hui développées par près d'une centaine de sociétés dans le monde. Un secteur juteux qui pèserait à lui seul plus de 5 milliards de francs par an, d'après l'ONG Privacy International.
Alors que plusieurs entreprises implantées en Suisse, filiales ou intermédiaires de grands groupes internationaux, travaillent activement à se faire une place sur ce marché mondial de la cybersurveillance (lire: Les Etats autoritaires peuvent acheter leurs logiciels espions en Suisse), la rédaction de Nouvo a rassemblé des informations inédites sur ces sociétés qui ont fait des logiciels d'intrusion ou des virus informatiques leur commerce en territoire helvétique.
Après Gamma en septembre dernier, Nouvo révèle notamment l’existence d’Amesys à Lausanne et de Blue Coat à Fribourg. Deux entreprises désignées "Sociétés ennemies d'Internet" par Reporters sans frontières, qui viennent gonfler les rangs des six sociétés spécialisées en cybersurveillance déjà répertoriées en Suisse.
Carte des sociétés à la pointe de la cybersurveillance en Suisse:
Les liens avec les pays désignés représentent, soit des contacts d'affaires ou des contrats en cours ou passés.
Ces sociétés sont notamment amenées à collaborer avec des régimes répressifs ou des dictatures. Afin d'éclairer le fonctionnement de ces entreprises, Nouvo a recueilli le témoignage exclusif de l'ancien employé d'une de ces sociétés qui n'hésitent pas à proposer leusr produits à des Etats autoritaires.
Ex-salarié de la société bernoise Dreamlab, Felix Merz raconte comment il a fait fausse route en tentant de vendre des logiciels espions au Turkmenistan et au Sultanat d'Oman.
Aujourd'hui, Felix Merz s’est retiré du secteur et ne veut plus en entendre parler. Mais il reste convaincu que les exportations de logiciels espions doivent être encadrées par des règles précises, au même titre que les exportations d'armes par exemple.
Découvrez le témoignage exclusif de Felix Merz:
Contrôle opaque des exportations
Le marché de la cybersurveillance fleurit en Suisse grâce à une particularité nationale.
Le contrôle des exportations de logiciels d'intrusion y est assuré par le Secrétariat d'Etat à l'Economie (SECO). Si une entreprise sollicite le SECO pour une autorisation d'exportation, cette demande n'est pas rendue publique. En cas de refus ou d'acceptation, cette décision reste également confidentielle.
Les entreprises bénéficient ainsi d'un climat relativement propice au développement d'activités qui n'apprécient guère les projecteurs.
C'est notamment le cas de la société britannique Gamma qui, via sa filiale bernoise Gamma Sales AG, tente d'échapper à l'intense pression qu'elle subit dans son pays de la part des organisations de défense des droits de l'homme.
D'après les informations de la rédaction de Nouvo, actuellement, près de 15 demandes d'autorisation d'exportation sont en cours de traitement à Berne.
Régulation en vue?
Au niveau politique, plusieurs acteurs tentent de contrer le développement de ce business en Suisse.
En octobre 2013, le conseiller national verts zurichois Balthasar Glaettli a déposé une motion au Parlement pour stopper l’exportation des logiciels espions depuis notre pays. Il dénonce sur ce point l'hypocrisie helvétique en matière d'espionnage: d'un côté les critiques fusent à propos des scandales de surveillance aux Etats-Unis, de l'autre, ce commerce profite d'un manque de contrôle des autorités suisses, explique-t-il.
Enfin, l'ONG Privacy International a également lancé une campagne auprès de la Confédération visant à bloquer les demandes et renforcer les contrôles pour ce type d'exportations.
Mélanie Ohayon
Yann Dieuaide