Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

jeudi 31 octobre 2013

Les renseignements suisses collaborent avec les Etats-Unis, mais cela n'est pas un scoop !


Le document secret publié par le quotidien espagnol El Mundo classe les pays en quatre niveaux de coopération. La Suisse figure dans le deuxième niveau ("B"), où figurent 19 autres pays, tous européens, tel que l'Allemagne, la France, l'Espagne ou encore l'Italie à l'exception du Japon et de la Corée du Sud.



Pour la NSA, la Suisse est un "allié fiable"

A ce niveau de coopération, la NSA doit "soigneusement évaluer toute coopération avec ces pays", selon le document qui avance différents critères. Ces Etats "ne doivent pas avoir de programmes d'attaques informatiques contre les Etats-Unis ou leurs intérêts (...), doivent être des alliés fiables et doivent être en mesure de protéger des informations classifiées fournies par les Etats-Unis", poursuit le document.

Ce dernier décrit aussi les types d'opérations et d'informations qui sont partagées entre les Etats-Unis et ces pays.

Les Anglo-Saxons les plus proches

Du côté du plus haut niveau de coopération, le niveau A, figurent l'Australie, la Grande-Bretagne, le Canada et la Nouvelle-Zélande.

Ces révélations surviennent au lendemain des accusations du patron de la NSA, qui affirme que ce sont les services de renseignement européens qui auraient collecté des données téléphoniques en Europe. Lire: Les services secrets français et espagnols auraient aidé la NSA

Tant la mondialisation des enjeux, par exemple le terrorisme, que l'évolution technologique, rendent cette collaboration nécessaire. Il s'agit dès lors pour la Suisse d'assurer la protection de ses données.

«Il est techniquement impossible d'écouter une conversation téléphonique sans écouter les milliers d'autres qui se sont déroulées sur la même ligne, au même moment», explique à l'ats un expert suisse des renseignements désirant demeurer anonyme. Il poursuit: «Une collaboration est donc nécessaire à travers le monde au moment de 'recoller les morceaux'».

La collaboration n'est pas obligatoire, selon cet expert. «Mais si les Etats-Unis fournissent un certain nombre de renseignements à la Suisse, il est normal qu'un jour, cette dernière soit appelée à donner, elle aussi, des informations. C'est du donnant-donnant».

Selon les experts contactés par l'ats, la Suisse collabore donc avec des services de renseignements des Etats-Unis. Mercredi, le président de la Confédération Ueli Maurer niait toute collaboration avec la NSA.

Le document confidentiel, mais non daté, d'Edward Snowden, publié par le journal espagnol «El Mundo», cite d'ailleurs la Suisse dans une liste de pays qualifiés par la National Security Agency (NSA) de «Focused Cooperation».

Selon Albert A. Stahel, directeur de l'Institut d'études stratégiques de Wädenswil, la classification «Focused Cooperation» signifie que la collaboration est potentiellement relative au terrorisme ou au crime organisé. M. Stahel considère par ailleurs que le document évoqué par «El Mundo» est crédible.

Changement de cibles

Le rôle de plaque tournante de la Suisse dans le monde du renseignement n'est pas nouveau. Alexandre Vautravers, professeur de Relations internationales, rappelle l'existence de rencontres entre représentants des services de sécurité et de renseignements européens depuis l'entre-deux-guerres. «De par son emplacement géographique, la Suisse a un rôle important dans ce domaine depuis la 1re Guerre mondiale», complète-t-il.

La Suisse est donc un pays observé - comme l'a répété M. Maurer - et observateur parmi d'autres. Depuis la fin de la guerre froide, les cibles d'écoute sont davantage des personnes ayant un rôle international, par exemple des terroristes, que des pays, explique l'expert anonyme.

Alexandre Vautravers est en revanche d'avis que «le terrorisme n'est pas une culture hors-sol, qu'il bénéficie fréquemment de la complicité de certains Etats».

Prendre conscience du danger

Cette globalisation des échanges de renseignements, liée aux développements technologiques, représente-t-elle un danger pour la Suisse? Stéphane Koch, spécialiste en sécurité de l'information, estime que les politiciens helvétiques n'ont pas suffisamment conscience du problème, et que les experts en la matière ne sont pas assez nombreux.

M. Vautravers considère qu'il faut surtout se donner les moyens de protéger les données: «Les moyens techniques existent: la Suisse est un des leaders dans le domaine de la cryptologie et de la sécurité informatique.» Il rappelle un principe enseigné à l'armée: «Se taire, mettre sous clé et camoufler».

Selon lui, «toutes les techniques de protection des données existent, mais la base est une prise de conscience - tout comme fermer son domicile à clé, ou ne pas égarer ses clés par exemple... Il faut éduquer ses employés à une véritable culture de la sécurité».

Bonnes vieilles méthodes

Selon l'expert anonyme, il est en théorie possible de tout décrypter: «La NSA a la plus grande concentration de mathématiciens au monde, mais celui qui veut vraiment échapper aux services de renseignements y parvient. Il suffit de penser aux talibans, qui recourent notamment aux pigeons voyageurs.»

«Cela dit, ni vous ni moi ne sommes susceptibles d'intéresser ces services», relativise-t-il. Avant de conclure en rappelant que «le temps où il suffisait de placer deux pinces crocodiles sur la ligne téléphonique de la personne espionnée est révolu...».

La NSA espionne des clients de Google et Yahoo!

Le programme baptisé «MUSCULAR», et opéré avec l'homologue britannique de la NSA, le Government communications headquarters (Etat-major des communications du gouvernement, GCHQ), permet aux deux agences de renseignement de récupérer des données depuis les fibres optiques utilisées par les géants d'internet, selon des documents cités par le «Post» obtenus auprès de l'ex-consultant de la NSA Edward Snowden.

Selon le quotidien, qui a également interrogé des responsables, le programme est un pendant secret au programme PRISM, qui permet à la NSA d'obtenir des données à l'aide d'injonctions de justice adressées aux sociétés technologiques. Selon un document évoqué par le journal et daté du 30 janvier 2013, quelque 181 millions d'éléments avaient à cette date été collectés au cours des 30 jours précédents --allant de métadonnées sur des emails, à des éléments de texte ou des documents audio ou vidéo.

Espionnées en dehors des Etats-Unis

Ces interceptions mises en oeuvre par la NSA auraient lieu en dehors des Etats-Unis, grâce à un fournisseur d'accès télécoms dont le nom n'est pas révélé, semblent suggérer les documents évoqués par le «Post». Un graphique laisse ainsi penser que l'interception aurait lieu entre les sites internet eux-mêmes et les serveurs délocalisés de Google. Agir en dehors des Etats-Unis permettrait à la NSA d'avoir plus de latitude que dans le pays, où des décisions de justice seraient nécessaires pour ces actions, selon le quotidien.

Contactés par l'AFP, la NSA, Google et Yahoo! n'avaient pas réagi dans l'immédiat. Selon le «Post», Yahoo! et Google ont assuré n'avoir jamais autorisé un tel accès aux données concernant leurs utilisateurs. Le chef de la NSA, le général Keith Alexander, interrogé sur les allégations du «Washington Post» lors d'une conférence à Washington, a assuré ne pas être au courant de leur publication, tout en déclarant qu'elles lui semblaient incorrectes. «A ma connaissance, une telle activité n'a jamais eu lieu», a-t-il assuré.

«En juin, il y avait déjà eu cette allégation selon laquelle la NSA s'introduisait dans les serveurs de Yahoo! et Google, mais c'est faux», a-t-il ajouté. La NSA a accès à des données «sur ordre de justice» et «ne s'introduirait pas de force dans des centres de stockage de données», a-t-il aussi déclaré.