Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mardi 8 octobre 2013

LE PROJET PB HISTORY


Le projet de la CIA pour tenter de justifier le renversement du gouvernement du Guatemala en 1954 auprès de la communauté internationale.

Ce programme succédait au projet PBSUCCESS, qui visait le renversement du gouvernement du Guatemala, qui verra son but atteint le 27 juin 1954 avec la démission du président Arbenz (1).

Vis-à-vis de la communauté internationale, la chute du président Guatemaltèque et de son gouvernement par un coup d'état, avait été vu comme une action opérée avec l'appui des Etats-Unis. Alors que l'invasion du pays par les forces paramilitaires de Castillo Armas n'avaient pas encore commencée, le gouvernement du Guatemala avait parlé d'un projet d'invasion et accusé publiquement le gouvernement des Etats-Unis d'appuyer les rebels, et même divulgué des détails substentiels de l'opération PBSUCCESS de la CIA. Pour les Américains, il était donc nécessaire de trouver une riposte quelconque, afin de se défendre contre les critiques et accusations qui pourraient provenir des pays étrangers à l'encontre de la politique étrangère des Etats-Unis.

Ce qui était devenu le triomphe de la CIA (le succès de PBSUCCESS) pouvait produire des effets indésirables à long terme pour les Etats-Unis (un sentiment anti-Américain); pour les gouvernements non communistes (une sympathie nouvelle pour le communisme) et sans compter dans l'opinion publique (un vote communiste en augmentation dans les élections locales).

Officiellement, PBHISTORY était un projet consacré à la collecte et l'exploitation des documents communistes Guatémaltèque, qui seraient récupérés à la suite de la réussite du coup d'état (opération de contre-espionnage). Mais en fait, c'était bien une entreprise mise en place pour minimiser le rôle de la CIA et l'implication du gouvernement Américain aux yeux du public et de la communauté internationale, dans l'espoir de justifier l'aide clandestinne Américaine. 

Dans l'histoire des projets secrets de la CIA pour arriver au renversement du gouvernement du Guatemala en 1954 (Projet PBFORTUNE et Projet PBSUCCESS), le projet PBHISTORY est souvent assez négligé et n'est raconté que brièvement par un cour paragraphe. Il faut dire qu'il durera qu'un temps assez court. Du 4 juillet au 17 août pour la collecte des documents et jusqu'au 28 septembre 1954, pour le tri, le classement et leur étude. Ce serait négliger les informations qu'il contient, et leur importance dans la suite de la lutte anti-communiste Américaine durant toute la Guerre Froide.

En effet, l'opération révèlera aussi certains rouages dans la direction et l'instrumentalisation des régimes en place, les différentes techniques de la "guerre psychologique" telle qu'elle avait été pratiquée par les agences gouvernementales Américaines, et la nature des relations interministérielles de ce qui était principalement, mais pas exclusivement, une opération de la CIA. Et sur les relations de la CIA et de sa collaboration avec les comités d'enquête du Congrès et les dangers pour l'Agence de renseignement par rapport aux enquêtes des parlementaires qui luttent pour faire toute la lumière sur des opérations clandestinnes (ce que l'on nomme "blowback", c'est-à-dire l'exposition des sources du renseignement et de ses méthodes)

C'est aussi grâce à PBHISTORY que les Américains auront pour la première fois connaissance d'un sympathsant communiste qui deviendra célèbre dans le monde entier dans les années qui suivront. Ce sympathisant se nommait Ernesto Guevara, surnommé plus tard le "Che".


Les réctions négatives de la communauté internationale.

Moins d'une semaine après la chute de Arbenz, les réactions des pays occidentaux et non-alignés continuaient à être adverses. L'achat secret par Arbenz d'armes en provenance de Tchécoslovaquie, et leur arrivée au Guatemala à la mi-mai, révèlé par Washington, dans le but de le représenter comme pro-communiste et soutenu par le bloc de l'Est, avait paru être une bonne solution pour la CIA. Mais le contenu de la couverture médiatique internationale a changée rapidement et radicalement, influencée majoritairement par le nombre important de journaux communistes. Soudain, aux yeux du monde entier, Jacobo Arbenz est devenu un courageux "réformateur agraire" prêt à s'opposer à la main-mise de la United Fruit Company sur l'économie locale. Dans le même temps, Castillo Armas était représenté comme un mercenaire à la solde des Américains, menant une agression contre un gouvernement démocratiquement élu, qui déplaisait à Washington. 

Même si des arguments de ce genre étaient réfutés par des gouvernements pro-américain comme le parti travailliste au Royaume-Uni et le parti social démocrate en Suède, la CIA a commencée à prendre le problème au sérieux. Nulle problème n'était plus aigu pour les Etats-Unis que le sentiment nationaliste anti-Américain en Amérique latine. Des étudiants Mexicains avaient déposés une gerbe drapée de noir à la porte de l'Ambassade Américaine où il était écrit "à la mémoire de la politique de bon voisinage". Venant de toute l'île de La Havane, des centaines de jeunes hommes avaient fait la queue devant l'ambassade du Guatemala pour s'enrôler dans l'armée Guatémaltèque. Comme le notait l'Hebdomadaire de la CIA du 9 juillet, "La révolution de Castillo Armas au Guatemala a été presque unanimement attribuée par le reste de l'Amérique Latine à l'intervention de Washington agissant par l'intermédiaire des gouvernements du Honduras et du Nicaragua". Et de nombreux représentants du gouvernement laissaient entendre que Washington s'était laissé aller à un anti-communisme excessif, influencé par les intérêts de la United Fruit Company. 

La réaction mondiale était si défavorable, devenant même fortement hostile aux Etats-Unis, que la CIA devait répondre à son tour par un "puissant Wurlitzer" (terme inventé par Frank Wisner - responsable de PBSUCCESS et utilisé par l'Agence pour désigner tous les moyens d'informations). 

"La lutte contre la réaction mondiale défavorable est une question de haute priorité", avait observée une psychologue militaire dans une note des opérations du personnel début juillet, et qu'il était maitenant "nécessaire d'entreprendre par tous les moyens à notre disposition une campagne mondiale pour présenter la réalité des faits aussi rapidement et efficacement que possible". Par la suite la CIA fera le maximum pour effacer toutes traces de PBSUCCESS, tout en mettant en place de nouvelles initiatives.


Le début du travail de l'opération PBHISTORY.

Le travail a commencé le 4 juillet 1954, avec l'arrivée au Guatemala de deux agents de la CIA et deux du "Office of Information and Reaserch", "Bureau de la Recherche du Renseignement du Département d'Etat" (OIR). Un officier, Lothar Metzl, venait du service de contre-espionnage de la CIA. C'était un Autrichien qui avait émigré aux Etats-Unis après l'Anschluss, et il semblait être un agent susceptible d'être un des principaux experts de l'Agence concernant le communisme international. Il avait réalisé une étude de l'Internationale Communiste et divers autres rapports au niveau national (comme par exemple "Les organisations du Parti communiste"). Lcapacité de Metzl à détecter toutes les nuances de la politique du parti communiste ou de sa doctrine était jugée unique par, et pour le gouvernement des Etats-Unis.

Castillo Armas était arrivé dans la ville de Guatemala City seulement la veille. Les objectifs initiaux visés étaient le parti communiste du Guatemala (PGT), les documents de l'ancien président Arbenz, du chef des forces armées le colonel Carlos Enrique Diaz, des organisations publiques, et des services de la police. Les quatre agents ne trouvèrent pas grand chose. Aucune garde n'avait été postée au siège du PGT, et les bureaux avaient déjà été pillées par l'Armée Guatémaltèque. Ceux des bureaux gouvernementaux étaient restés intacts, mais éparpillés n'importe où, et les documents de la police s'étaient retrouvés dans jetés dans les rues. Malgré plusieurs jours de recherche, l'équipe ne parvint pas à trouver des documents relatifs à l'envoi d'armes Tchèque qui étaient arrivées à la mi-mai. Tout comme ils ne trouvèrent aucun documents confirmant un contrôle Soviétique du parti communiste au Guatemala. Washington voulait la preuve d'un lien concret entre Guatemala City et Moscou, et non simplement la présomption d'une affinité idéologique. Les agents supposèrent que les communistes avaient eu suffisamment de temps pour détruire ou enlever les documents les plus sensibles.


Les documents sur le communisme.

Malgré tout, un grand nombre de dossiers fût trouvés (environ 150.000 pages de documents sans compter les fichiers-gouvernementaux) et seront jugés exploitables. C'était la plus importante prise de documents laissés par un parti communiste. L'équipe espérait que les archives pourraient apporter des réponses sur l'influence communiste et l'infiltration du régime Arbenz, d'avoir une description de la structure des appareils communistes dans le pays, comme les syndicats, les organisations paysannes, ou les syndicats d'étudiants et groupes de jeunes.

Après deux semaines passées au Guatemala, les deux agents de la CIA présentèrent un inventaire préliminaire à Washington le 20 juillet. A la suite de la réunion, la décision sera prise d'accélérer l'exploitation des documents saisis. Frank Wisner a également demandé à Tracy Barnes, chef d'état-major politique de l'Agence (spécialiste en "guerre psychologique"), de préparer un rapport que le directeur de la CIA Allen W. Dulles pourrait présenter au Conseil National de Sécurité sur le Guatemala pour le président Dwight D. Eisenhower. Barnes fit imprimer un fasicule contenant vingt-trois documents reproduits, incluant des photos de la bibliothèque de Arbenz, contenant des ouvrages de la littérature marxiste, de communistes Chinois sur la réforme agraire; des pages de l'exemplaire de Mme Arbenz de la biographie de Staline; des documents révélant que Arbenz avait essayé d'acheter des armes en provenance d'Italie; et des lettres et câbles divers montraient une fort sympathie de l'ancien président pour le communisme. Il s'y trouvait aussi des documents du gouvernement Arbenz, avec certaines communications qui montraient que les président avait début juin, rejeté l'offre de se débarrasser des Communistes de son gouvernement en échange que l'armée Guatémaltèque combatte farouchement les forces paramilitaires de Castillo Armas. Le rapport n'a pas impressionné le président Eisenhower. C'était, il faut bien le dire, assez peu pour justifier le renversement d'un gouvernement étranger. Surtout que l'Ambassadeur des Etats-Unis John Peurifoy, avait déjà écrit dans un câble du Département d'Etat après sa première longue rencontre avec Arbenz en décembre 1953, et il le répètera plus tard en public avec son témoignage devant le Congrès, "que si le président n'est pas un communiste il va certainement faire comme si il en était un, jusqu'à y venir à la longue".


La restructuration de l'équipe de PBHISTORY.

Le 4 août, il a été convenu que la nouvelle équipe de PBHISTORY - qui n'était composée au départ que de quatre agents seulement - se composerait désormais de douze officiers, dont trois du Département d'Etat, un de l'US Information Agency (USIA), et huit de la CIA. Le chef de l'équipe PBHISTORY, était un agent de la CIA qui utilisait le pseudonyme de "Francis T. Mylkes" pour couvrir ses échanges avec le Département d'Etat. L'adjoint de "Mylkes" se nommait David Atlee Phillips, qui avait travaillé comme rédacteur d'un journal au Chili, parlait couramment l'Espagnol et avait été sous contrat avec la CIA pendant PBSUCCESS. Sous le pseudonyme de "Paul D. Langevin", Phillips avait été chef de liaison et le conseiller de l'Agence de la radio "La Voz de la Liberacion", l'un des outils de la guerre psychologique avec l'opération SHERWOOD. Le groupe PBHISTORY adoptera comme nom de couverture celui de "Social Research Group" ("Grupo de Estudios Sociales" en Espagnol). Comme cela avait déjà été le cas pendant PBSUCCESS, la CIA voulait pouvoir conserver officiellement ses distances dans ses relations avec Castillo Armas.

L'équipe de PBHISTORY sera complétée par des hommes d'affaires et des experts des universités. Dans le même temps, l'Agence a tenu à avoir un soutien sans faille du nouveau dirigeant, Castillo Armas. Il avait toujours était convenu que les Guatémaltèques conserveraient la propriété de toutes les archives. Mais la CIA espérait qu'une bonne coopération lui permettrait de réunir et d'accéder à un maximum de dossiers. La première chose a surtout été d'instruire les Guatémaltèques sur la façon de mettre en place un système de dépôt et de classement de dossiers très professionnel, sur lequel pourrait s'appuyer un nouveau service de renseignement, afin d'identifier et surveiller les communistes identifiés. 


La création d'un service anti-communistes au Guatemala, pour servir de façade au travai de la CIA.

Sous l'insistance (et avec le financement) de la CIA, le 20 juillet, Castillo Armas a signé un décret pour la création d'une telle agence d'exécution, devant rendre des comptes seulement à la junte au pouvoir, dont le rôle serait d'enquêter et de démanteler les réseaux communistes. Le Comité National pour la Défense du pays contre le communisme (Comite de Defensa Nacional Contra el Comunismo en Espagnol) ainsi créé, n'était pas une force de police, mais un nouveau service de renseignement avec des prérogatives et fonctions de police. En théorie, il avait autorité sur toutes les forces militaires et les la police et pouvait ordonner l'arrestation de toute personne soupçonnée d'être communiste.
L'équipe PBHISTORY se devait d'aider ce noyau d'un nouveau service de sécurité intérieure en l'aidant à créer un dépôt centralisé d'informations sur les membres du PGT, ses organisations et leurs sympathisans. Les officiers Américains se mirent à instruire le personnel du Comite sur le dépistage, la classification, l'indexation et la synthèse des documents. Par la suite, quand ils pourraient incorporer de nouvelles informations quand le système serait devenu utilisable, ils leur enseigneraient les bases du contrôle du courrier, l'exploitation des données, leur abstraction pour les document cryptés, et leur référencement. Ensuite seulement la CIA pourrait par le Comité (ou un service le remplacant) mener les enquêtes pour avoir une vision complète du communisme au Guatemala, et s'assurer que le pays était purgé de toute influence communiste. Dans l'intervalle, le travail de PBHISTORY serait de développer un nouveau service de "contre-subversion". Bien que cela était financé par des fonds de la CIA, Castillo Armas et l'Agence ont reconnus que ce financement pourrait devenir très embarrassant si il était connu. Le nouveau gouvernement Guatémaltèque devait fournir les fonds de fonctionnement dès que possible.


Le rassemblement, le tri et le classement des documents.

Le travail de tri des centaines de milliers de documents se fit avec l'aide de vingt-cinq fonctionnaires du nouveau Comite. Les agents Américains avaient une entrée privée, avec un accès sur les bureaux où les documents étaient transportés et triés. Pour préserver l'apparence d'une société Guatémaltèque, étant donné que l'activité de la "Social Research Group" se faisait ouvertement. Tous les documents devaient être d'abord indexés, une tâche énorme, mais nécessaire, avant un classement. Et à la fin de septembre, les archives se composaient de 15.800 cartes de renseignement nominatives, et 34 documents de la PGT, le Parti communiste officiel du Guatemala, qui reçu bien-sûr la plus grande priorité. Toute lettre dactylographiée ou note manuscrite avait été préservée et généralement, trois ou quatre exemplaires imprimés étaient retenus. Cette procédure faisait que environ 50% du volume des archives récupérées était incinéré. Il y avait la nécessité de reproduire les documents, puisque tous les originaux devaient rester au Guatemala. Les catégories des documents qui pouvaient intéresser les agences américaines étaient nombreux, et ils augmenteront quand le FBI entendra parler du project. 

En conséquence, l'Agence a préféré tout faire transférer sur micro-film. Trois machines à photostats de reproduction seront livrées à la "Social Research Group". Début septembre, après un sérieux tri et travail d'analyse, le pourcentage de documents véritablement "Top Secret" était confirmé comme étant extrêmement faible. Il était clair que les fonctionnaires du gouvernement Arbenz et les hauts dirigeants communistes avaient, soit détruit, soit emporté avec eux les documents les plus sensibles; ou bien de tels documents n'existaient pas. Et un membre de la junte au pouvoir avait refusé d'autoriser le Comite à faire des arrestations et des perquisitions aux domiciles de particuliers, où des documents auraient pu être cachés. Carlos Castillo Armas dira finalement au chef de l'équipe PBHISTORY qu'il savait que les services de renseignement de l'armée avait personnellement détruits les dossiers dans leur intégralité. Le traitement des documents s'est donc arrêté le 28 septembre 1954.

Des estimations prudentes indiquent que PBHISTORY aurait traité au final plus de 500.000 documents (sans compter les documents en double), un nombre considérable et plus élevé que prévu. Sur ce total 2095 documents seront considérés d'une importance suffisante pour être micro-filmés; 50.000 documents d'importance secondaire ont été microfilmés; 750 photographies ont été faites immédiatement (pour une exploitation prochaine par les médias locaux et internationaux), et un petit nombre de documents originaux a été mis de côté en raison de futurs études techniques. Les doubles de tous ces documents, conservés, ont été répartis entre les organismes qui participaient directement à PBHISTORY, comme le Département d'Etat ou le FBI.


L'exploitation et la transmission des documents aux différents organismes.

Avant même le début du traitement, les documents saisis allaient être l'objet de toutes les convoitises. Et le dilemme était le suivant: exploiter les documents uniquement dans le but d'avoir des renseignements, ou aussi utiliser les renseignements à des fins d'information et de propagande. La CIA était plus intéressée par les données qui lui permettraient d'agir contre le communisme, non seulement au Guatemala, mais dans tout l'hémisphère. Le plus grand intérêt du Département d'Etat résidait dans l'utilisation des dossiers, afin de se représenter le modèle et la croissance de l'influence communiste au Guatemala depuis la révolution de 1944, qui avait renversé la dictature de Jorge Ubico. La US Information Agency (USIA) avait elle-aussi un intérêt pour les documents, presque identique à celui du Département d'Etat, mis à part sur l'information qui pourrait être publiée pour informer l'opinion internationale. L'idée était que le chef de PBHISTORY, "Francis Mylkes", ne favoriserait ni les besoins d'informations de la CIA ni la propagande du Département d'Etat, mais trouverait un équilibre entre les deux. En tous cas, quand le gouvernement Américain a accepté la perticipation de l'USIA, la CIA a voulu garder un droit de veto. Elle a insisté pour garder un contrôle exclusif sur les relations avec le gouvernement Guatémaltèque en ce qui concernait les documents saisis, et si il y avait des dossiers qui pouvaient être utilisées pour les opérations clandestines de la CIA, l'Agence se réservait le droit d'en interdire un usage public, que se soit par l'état ou l'USIA.


Les éléments du projet KUGOWN seront parmi les premiers à être diffusés.

KUGOWN était le nom de code désignant un vaste programme de guerre psychologique qui avait été élaboré pendant PBSUCCESS. Les objectifs de KUGOWN avait été le régime Arbenz, suivi par le Guatemala dans son ensemble, ses voisins d'Amérique Centrale, ensuite le reste de l'hémisphère, puis les pays non-alignés et ceux de de l'Alliance occidentale. L'exploitation des éléments de KUGOWN a commencé dès la mi-Août, lorsque suffisamment de documents avaient été traités pour que l'équipe de PBHISTORY puisse tenir sa première conférence de presse. L'équipe PBHISTORY voulait que le Comité National pour la Défense du pays contre le communisme puisse faire des déclarations à la presse et publier des rapports dès que possible, afin de créer un profil public, de peur que le Comite puisse être perçu par les médias comme secret, puissant, donc une organisation potentiellement dangereuse. La rapidité était également d'une grande importance, pour répondre au plus vite à la mauvaise publicité qu'avait eu l'opération du coup d'état pour les Etats-Unis. La procédure voulait que les agents de PBHISTORY selectionnent périodiquement les documents à diffuser publiquement. Un flux régulier de documents a ainsi été diffusé. Le Comite a aussi produit (avec le concours de la CIA) un film documentaire de six minutes, intitulé "Despues Descubrimos La Verdad" ("Plus tard, nous découvrons la vérité") qui sera montré dans toutes les salles de cinéma de Guatemala City. Afin que la population croit que le gouvernement Arbenz, contrairement aux dénégations, avait été dominé et contrôlé par les communistes.


La découverte d'un inconnu nommé Ernesto Guevara.

C'est dans les documents relatifs au projet KUGOWN, contenant des biographies individuelles, que la CIA aura pour la première vent d'un médecin de 25 ans nommé Ernesto Guevara, qui avait demandé l'asile à l'ambassade d'Argentine. Plus tard, le dossier de Che Guevara deviendra l'un des plus épais dossier de l'Agence sur une seule et unique personne. L'exploitation des documents KUGOWN et KUFIRE donneront quelques pistes opérationnelles pour la CIA, mais aucune n'a été poursuivie par une enquête jusqu'à son terme. Les documents saisis, d'un point de vue purement opérationnel (pouvant déboucher sur des actions concrètes), étaient d'une valeur primaire. Avec certains communistes encore officiellement à quelques postes du gouvernement, le but était d'exploiter les documents en vue d'une exposition publique. Les rapports indiquaient que des communistes connus qui avaient initialement demandés l'asile dans des ambassades étrangères, avaient déjà repris leurs activités militantes sous des noms d'emprunts dans leur nouveau pays d'accueil.


Les répercutions de la propagande médiatique à travers le monde.

L'impact des documents saisis au niveau international sera plutôt minime. En partie parce que peu de documents Top-Secrets avaient été trouvés. En dehors de l'agence Reuters qui diffusera le communiqué de presse du Comité, les autres agences ne se montreront pas interessées. Un communiqué de presse en anglais et en espagnol avait été écrit, décrivant les activités du Comite avec des photographies de documents trouvés par PBHISTORY. Ce dossier de presse a été posté à partir du Guatemala à quatre-vingt des principaux journaux d'Amérique Latine, d'Amérique du Nord et de l'Europe de l'Ouest. Lorsque cela était possible, le dossier était modifié pour le rendre plus inciminant et inciter à sa publication. Le communiqué envoyé au Chili, par exemple, a été complété par une description de tous les liens découverts entre les communistes du Chili et du Guatemala. L'équipe de PBHISTORY avait également préparé plusieurs versions de documents pour répondre à la visite des correspondants et des représentants locaux des journaux étrangers. Par ailleurs, deux Guatémaltèques, ancien ambassadeurs et populaires chroniqueurs de journaux, ont visité le Chili, le Brésil et l'Uruguay, où, avec un bon nombre de documents PBHISTORY et le film-documentaire, ils tiendront des conférences de presse et distriburont le dossier de presse. Mais l'absence de réactions des médias internationaux a si vexé l'équipe PBHISTORY, qu'elle pensera à un stratagème dramatique pour attirer l'attention. Disant que des plans étaient établis pour une attaque sur le siège du Comite au Guatemala. Attaque évidemment fausse. Les membres du Comite auraient prétendus que des communistes avaient essayé de détruire les documents saisis parce qu'ils étaient génants. Les Agents de PBHISTORY pensaient qu'un tel stratagème aurait attiré l'attention internationale qu'ils recherchaient. Mais l'idée a finalement été abandonnée quand ils ont remarqué que trop de personnes autochtones devraient être impliquées dans l'exécution du plan et que c'était trop risqué.

L'urgence se concentrait toujours sur la nécessité de contrer la réaction mondiale défavorable, et contrer la croyance largement répandue selon laquelle les fonctionnaires du régime Arbenz "N'étaient pas de vrais rouges". Une des choses les plus faciles à faire, était de faire une démonstration très voyante de toute la propagande communiste qui avait envahie le Guatemala. Keith Monroe, l'un des premiers journalistes Américains arrivé sur les lieux après le coup d'état, avait écrit un article sur la propagande communiste dans le pays. Il faisait référence à la quantité de manuels scolaires, de brochures, d'affiches et magazines imprimés derrière le Rideau de Fer qu'il disait avoir vu, avec la permission de PBHISTORY. Donald Grant, l'un des journalistes Américains les plus expérimentés et respectés couvrant l'Amérique Latine à cette époque, fera de même. Après avoir étudié les publications, Grant a déclaré qu'il en concluait que l'on ne peut pas douter de "la connexion entre le Gouvernement Arbenz et la Russie Soviétique". Il y aura aussi l'envoi de vingt et un documents à l'ambassadeur Henry Cabot Lodge Jr. afin qu'il puisse intégrer des informations dans un de ces discours devant le parlement. De plus, à la fin août plus de quarante documents ont été envoyés à Whiting Willauer, ambassadeur Américain au Honduras.

Le gouvernement du Honduras avait coopéré pleinement pour PBSUCCESS, en ayant permis que son territoire soit utilisé comme zone de transit pour l'insurrection de Castillo Armas. Maintenant, le gouvernement trouvait nécessaire pour justifier sa coopération de diffuser des révélations de PBHISTORY, avec la rédaction d'un "livre blanc" sur l'influence des communistes Guatémaltèques et leur ingérence dans les affaires du Honduras.

Dans les années suivantes, la CIA utilisera des documents PBHISTORY périodiquement afin de mettre l'accent sur les aspects de la révolution au Guatémala. A cet égard, les documents saisis se sont avérés utiles dans les efforts pour dénigrer l'ex-président Arbenz le reste de sa vie qu'il vivra en exil. En le montrant comme, non pas un réformateur patriote, mais un comme simple un outil de l'international communiste.


L'intérêt des parlementaires Américains pour les documents de PBHISTORY.

Un cas particulier de l'exploitation PBHISTORY s'est produit quand des documents saisis ont été utilisés par un sous-comité du Sénat en 1954. Ce sous-comité sur la sécurité intérieure de la commission judiciaire, était sous la présidence du sénateur de l'Indiana Albert Jenne (Républicain) et agissait en parallèle du sous-comité permanent du gouvernement, le Comité des opérations sur les enquêtes, présidé par le sénateur du Wisconsin Joseph R. McCarthy (Républicain). En plus de la poursuite du Comité sur les activités anti-américaines, les dirigeants républicains avaient aussi mis en place, en juillet 1953, le "Baltic Commitee", "Comité Baltique", connu officiellement comme le Comité spécial chargé d'enquêter sur l'incorporation de la Lituanie, la Lettonie et l'Estonie à l'URSS en 1954. Le nom du comité sera changé en Comité spécial sur l'agression communiste pour refléter une autorité d'enquête plus large, et il sera plus connu sous le nom de Comité Kersten, du nom de son président, le sénateur du Winconsin Charles Kersten (Républicain). Le mandat du comité incluait "la subversion et la destruction des institutions libres et des libertés de l'homme dans toutes les autres zones contrôlées, directement ou indirectement, par le communisme dans le monde". De par cet objectif, les documents de PBHISTORY intéressaient au premier chef les membres du comité.

Le Comité Kersten compilera un dossier considérable sur les pays communistes. Il a tenu cinquante audiences dans toutes les grandes villes des Etats-Unis (ces zones urbaines avaient de grandes proportions d'électeurs qui étaient originaires d'Europe de l'Est), à Londres, Munich et Berlin-Ouest. Il a reçu les témoignages de plus de 335 témoins, archivé près de 1500 pièces à conviction, et publié vingt-sept rapports relatifs à l'occupation de presque tous les pays du bloc de l'Est, par le régime communiste Soviétique. Le Sénat fournissait de grands efforts dans la lutte contre le communisme.


Le coup d'état au Guatemala devant une sous-commision d'enquête au Congrès.

Patrick Hillings, sénateur de Californie (Républicain), nouveau venu dans le comité Kersten, trouvait urgent de tenir des audiences, et il n'était pas facile de les tenir à distance, avec l'équipe PBHISTORY au Guatémala. Hillings avait été président du Sous-comité nouvellement formé du comité chargé d'enquêter sur "l'agression communiste" en Amérique Latine, un forum expressément désigné pour tenir des audiences sur le Guatemala. Et si Hillings était l'un des plus jeunes membres de la Chambre (il n'avait que 31 ans), il avait au sein du Congrès plusieurs élus énergiques, qui avaient de puissants amis dans l'administration. Et il était largement considéré comme le nouveau protégé du nouveau vice-président Richard Nixon. Suivant les traces de son mentor, Hillings espérait que les audiences du Congrès sur le Guatemala renforcerait son assise politique. Espérant jeter les bases d'une enquête publique très médiatisée, Hillings avait effectué sa première visite au Guatemala début juin, quelques semaines avant le lancement de PBHISTORY, et, à la grande consternation du Département d'Etat, ce ne sera qu'à la réception d'un câble urgent de Nixon lui-même que Hillings accepta de reporter la publication d'un rapport inoportun - dans le contexte de ce qui s'était passé avec la coup d'état - sur la tête de pont "communiste" dans l'Hemisphere Ouest. Allen Dulles, directeur de la CIA, était conscient de l'empressement à dénoncer le communisme international en Amérique Centrale. Mais à ce moment, le Comité Kersten et les efforts d'Hillings, allaient alors à l'encontre des plans et des opérations de la CIA en cours. 

A la mi-août, par le biais de l'ambassadeur Peurifoy, Dulles a transmis des dossiers PBHISTORY (64 documents) au Comité Kersten, afin de permettre au Congrès de faire des discours documentés sur l'infiltration du gouvernement Arbenz par les Soviétiques et son but de provoquer des troubles en Amérique Centrale. Le Comité notera une "suffisante bonne volonté" énergique sur le Guatemala, et il demanda à la CIA de le garder informer (jusqu'à un certain point), espérant que Dulles pourrait peut-être même exposer au Congrès le rôle exact de la CIA dans la coup d'état.

Le 30 août, Hillings et ses représentants sont arrivés au siège de la CIA pour un briefing sur la situation au Guatemala. Quelques jours plus tard, Hillings, avec le consultant Patrick McMahon est arrivé à Guatemala-City pour prendre la mesure de la situation et déjà rassembler des documents pour les futures audiences. Même si la station de la CIA avait recommandé que leur visite soit reportée en raison de la situation encore incertaine, pendant cinq jours, "Francis Mylkes", chef de PBHISTORY, a escorté Hillings à tous ses rendez-vous. Faisant même le traducteur lors de l'entretien avec le nouveau président Castillo Armas. L'équipe de PBHISTORY avait également donné à Hillings des kits de propagande et le rapport du Comité de six pages spécialement préparé pour lui, décrivant ses activités et l'analyse des documents saisis.

Dans son rapport final rédigé par le consultant Patrick McMahon (2), le sous-comité Hillings ira bien au-delà des attentes de la CIA en déclarant catégoriquement: "Dans le contrôle du Guatemala les communistes ont agi sous les ordres directs et les instructions du Kremlin". Une telle affirmation non étayée ne sera alors plus le problème de l'Agence. Car dans le même temps, la CIA eu de bonnes raisons d'être préoccupée par d'autres aspects de l'enquête du sous-comité.

Les membres du Congrès dans leur ensemble (Chambre des Représentants et Sénat) avaient été informés du rôle de la CIA dans la saisie des documents, alors que jusque-là le travail de l'équipe PBHISTORY avait été gardé secret (toute diffusion de document à la presse passant par le comité des activités anti-communistes). Mais dans leur empressement à exploiter "le premier démantèlement d'un réseau d'infiltration communiste", dans le contexte de la lutte anti-communiste de la Guerre Froide, le rapport final divulguait en fait le rôle exact joué par la CIA, alors qu'il aurait dû assurer la couverture de la véritable implication de l'Agence dans le coup d'état au Guatemala. Au point d'en devenir véritablement "contre-productif".

Le rapport Hillings, par exemple, avait renouvelé la crédibilité de l'allégation toujours réfutée par les autorités jusque-là, selon laquelle une importante cache d'armes Soviétiques avaient été livrées clandestinement au Nicaragua. Sans le savoir, le rapport attirait maladroitement l'attention sur le programme WASHTUB, et les efforts de la CIA pour placer des armes compromettantes pour le gouvernement du Guatémala et aussi les storks armes utilisées par les forces de Castillo Armas. Après avoir été imprimé dans un rapport du Congrès, cela était devenu particulièrement problématique.
Durant les audiences du sous-comité, il y avait eu le témoignage de deux (sur les trois qui se présenteront) d'importants Guatémaltèques qui avaient travaillé avec David Atlee Phillips sur les émissions de la radio "La Voz de la Liberacion", la radio clandestinne de la CIA (projet SHERWOOD). Par la suite , ces trois individus ont été identifiés par leurs véritables noms dans le rapport final du sous-comité. Dans un délais de trois ans (1954-1957), deux de ces témoins (Pepe et Mario) seront assassinés par balles, avec des revendications pour raisons politiques.


La publication de nombreux livres sur l'influence communiste, se serviront du matériel récupéré par PBHISTORY.

A l'époque, le livre occupait une position particulière dans le domaine des médias et des actions clandestines de propagandes menées par la CIA. "Les Livres diffère de tous les autres médias de propagande" avait observé un fonctionnaire de la CIA en 1961. Principalement pour la raison qu'un seul livre peut changer de façon significative l'attitude du lecteur à un degré inégalé par-rapport au possible impact de tout autre support unique (dans les années cinquante, la télévision n'était pas encore autant répandue dans les foyers qu'aujourd'hui). Plus de mille livres seront publiés par un partenariat avec l'Agence jusqu'en 1967, dont environ 25% d'entre eux en anglais. Dans cet objectif, Frederick A. Praeger, l'éditeur de livres sur le communisme au Guatemala, avait reçu des fonds de la CIA pendant les années cinquante. En 1967, lorsque les subventions de la CIA attribuées pour les syndicats, les groupes d'étudiants, les éditeurs et des "groupe de réflexions", se trouveront exposés publiquement, l'une des organisations identifiées comme ayant été financée par la CIA, sera FPRI. Les éditions Frederick Praeger était l'un des bénéficiaires des fonds de la CIA, et Praeger lui-même reconnaitra qu'il avait imprimé "20 à 25 volumes dans lesquels la CIA avait eu un intérêt, que ce soit dans l'écriture, la publication elle-même, ou la distribution après publication". L'Agence avait jusque-là toujours réussi à éviter de divulguer des renseignements précis sur ses projets d'édition qu'elle a subventionné dans les années cinquante et soixante. Whitaker, qui avait été un associé de FPRI, pourrait avoir joué un rôle clé dans l'accès des documents PBHISTORY. Considéré comme l'un des pionniers de l'étude de l'Amérique Latine aux Etats-Unis, Whitaker avaient de bonnes relations avec le gouvernement Américain, et avait servi comme consultant pour le Département d'Etat au cours de Seconde Guerre Mondiale. Interrogé sur la question en 1966, Whitaker dira d'ailleurs qu'il avait obtenu les documents utilisés dans des livres publiés par "des sources du Département d'Etat".

Naturellement, ces livres s'appuieront sur les documents communistes saisis par PBHISTORY grâce à PBSUCCESS, en les présentant officiellement avoir été trouvés par le Comité National pour la Défense du pays contre le communisme. Ne faisant bien-sûr aucune mention du véritable rôle central de la CIA dans le coup d'état et le financement du Comité. Et sans expliquer comment 50.000 pages de documents rassemblés par le Comité, arriveront (officiellement sans que l'on sache de quelle façon) aux Etats-Unis.


(1) Pour plus d'information, voir "Les "Black Program": Le Projet PB Fortune" et "Les "Black Program: Le Projet PB Success";
(2) Report of the Subcommittee to Investigate Communist Agression in Latin America, House Representatives, 83ème Congrès, 2ème Session, 1954.