Derrière l’image d’un pays démocratique et égalitaire, une armée d’occupation. Keystone
«Le livre noir de l’occupation israélienne – les soldats racontent» sort en français, après avoir été publié en allemand en 2012. Il contient les témoignages des militaires israéliens qui servent ou ont servi dans les territoires palestiniens occupés et à Gaza, recueillis par l’ONG «Breaking the Silence». Une ONG israélienne dont le fondateur Yehuda Shaul sera à Genève du 15 au 20 octobre pour une série de conférences.
«Il a descendu un garçon de 11 ans». «Ils ont ordonné à l'unité de tirer sur tout le monde dans la rue». «Cela fait vraiment ressortir la folie en toi». «J'ai honte de ce que j'ai fait là-bas». Derrière chacun de ces titres et de tant d'autres, une histoire. Celle d'un soldat, simple militaire ou gradé, homme ou femme, qui s'est confié anonymement à «Breaking the Silence» («Briser le silence»), une ONG israélienne dont le fondateur Yehuda Shaul sera à Genève du 15 au 20 octobre pour une série de conférences.
«Un bon Palestinien a peur»
L'histoire de «Breaking the Silence» a commencé le jour où cet ancien sergent est rentré chez lui, après trois ans de service militaire. Il avait une vingtaine d'années et une tonne de souvenirs désagréables dans la tête. «Quand vous êtes soldat, vous ne réfléchissez pas: vous agissez. D'autant plus si comme moi, vous êtes haut gradé».
Sa mitraillette et son uniforme sont rangés depuis dix ans dans une armoire mais l'armée, il en parle comme si c'était hier. «J'ai servi pendant la deuxième Intifada. Quatorze mois à Hébron et plusieurs incursions dans le nord. Pour l'armée, un bon Palestinien est un Palestinien qui a peur. Il m'a fallu retourner à la vie civile pour comprendre la gravité de mes actes», dit-il avec émotion lors d'un entretien avec l'ats à Jérusalem.
«Quand on rentre, on se tait»
Yehuda Shaul rentre chez lui bouleversé. Il ne sait pas à qui parler. «Notre entourage nous envoie faire le boulot, mais n'a aucune idée de ce que cela veut dire. Quand on rentre, on se tait. On n'essaie même pas de parler. Ce que l'on a à dire est trop horrible pour que nos familles acceptent de l'entendre», avoue-t-il.
Peu à peu, il découvre que ses camarades sont dans la même situation. «Nous étions hantés par des souvenirs que personne ne voulait voir en face. Il fallait faire quelque chose».
«Breaking the Silence» a aussi des détracteurs
Créée en 2004, «Breaking the Silence» («Shovrim Shtika» en hébreu) est la réponse de ces militaires. Devenue célèbre, l'ONG organise des expositions, des conférences et des visites guidées dans la ville palestinienne d'Hébron pour «comprendre l'occupation israélienne». Elle compte des dizaines de sympathisants en Israël et à l'étranger.
Mais «Breaking the Silence» a aussi de nombreux détracteurs. Cible d'une campagne de dénigrement par le gouvernement israélien depuis ses révélations sur l'opération Plomb durci à Gaza en 2009, les insultes voire les menaces à l'égard de ses membres sont fréquentes. Issu d'une famille religieuse nationaliste, Yehuda Shaul relativise: «C'est le prix à payer pour forcer les gens à affronter la réalité. Tout vaut mieux que se taire».
«Netanyahou détruit Israël»
Et quand il parle, ce n'est pas à demi-mot. «Tout le monde accuse les colons de cette situation infernale. C'est bien pratique de blâmer ces gens religieux 'qui ne sont pas comme nous', mais c'est une erreur: ils ne sont que des marionnettes», estime-t-il.
Pour Yehuda Shaul, le vrai problème, «c'est l'Etat. C'est l'armée. C'est le gouvernement qui détruit Israël en affirmant que son droit à exister équivaut à son droit d'occuper les terres des Palestiniens pour toujours».
Ce trentenaire estime que l'équation est limpide. «D'un côté, une démocratie à l'occidentale, faite pour des juifs qui ont droit à l'autodétermination parce qu'ils sont juifs. De l'autre, un régime militaire oppressant, fait pour des Palestiniens qui sont privés d'autodétermination parce qu'ils sont palestiniens. Dites-moi: quel être humain normal peut accepter cela?», tonne-t-il.
Une vie «dans le péché»
Yehuda Shaul en est convaincu, la politique actuelle du gouvernement met Israël en danger. «Une solution à deux Etats est cruciale pour que mon pays continue à exister». Réajustant d'une main sa kippa qu'il ne quitte jamais, il conclut: «Et pour que nous, juifs israéliens, cessions de vivre avec ce péché: l'occupation militaire d'un peuple».
ATS