Ce document accompagné d’un témoignage que nous publions prouve bien que nos confrères et ex-otages, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, ont été avertis par un militaire une heure avant leur enlèvement sur la route menant à Tagab en décembre 2009.
Le titre s’étale en gros caractères sur le journal Le Progrès de juin 2011 : Hervé Ghesquière: « On n’a pas pris de risques inconsidérés ». Puis le reporter et ex-otage rajoute : « J’ai entendu sur des chaînes de télévision, des analystes et d’anciens reporters de terrain qui ont dit: l’armée française les avait bien prévenus, ils allaient au devant de graves problèmes, de graves périls. C’est absolument faux. Personne ne nous a rien dit. Que cela soit clair », a assuré Hervé Ghesquière à qui veut l’entendre, les traces sont encore sur quelques sites d’information comme ici sur ce lien (journal Le Progrès) ou sur Le Figaro aussi.
Pourtant, les deux journalistes ont bien été avertis, c’est un fait que nous pouvons affirmer. Un fait confirmé par les sources de InfosDefense.com. Elles sont trois. Trois sources dont deux militaires, l’une de ces sources est le dernier militaire qui, le 30 décembre 2009 vers 10H00 a renseigné, averti du danger et vu pour la dernière fois Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, tous deux journalistes travaillant pour France Télévisions. Ledit militaire, Bertrand (le prénom a été modifié pour des raisons de sécurité) est à ce jour le seul et unique soldat français qui a décidé – après de longues négociations et une attente de deux ans – de nous parler clairement et de nous fournir des preuves. S’il le fait c’est pour une seule raison: il souhaite « que les citoyens français sachent la vérité ».
Ce 30 décembre 2009, après un reportage « embarqué » avec l’armée française, les deux journalistes avaient décidé de quitter Kaboul pour retourner interroger des habitants mais sans présence militaire. Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, ont été enlevés quelques minutes plus tard après l’avertissement de ce soldat français. Ils passeront 547 jours en captivité.
Bertrand, le dernier militaire à les avoir vu libres, a écrit un rapport à ses supérieurs daté du lendemain de l’enlèvement des deux journalistes. A la rédaction nous avons procédé à plusieurs vérifications d’usage :
1) Le rapport est-il vrai ou un faux grossier ? Il s’agit bien d’un véritable rapport, le fichier original a été vérifié par un expert en informatique, il provient d’un ordinateur utilisé en opérations extérieures.
2) La source du rapport est-elle crédible ? Oui, la source est plus que crédible, c’est une connaissance personnelle et professionnelle de l’auteur de l’enquête et rédacteur en chef de InfosDéfense.com, Jean-Paul Ney.
3) Ce rapport est-il confirmé par d’autres sources ? Oui, ce rapport a été confirmé par plusieurs sources dont un civil et un officier travaillant au Ministère de la Défense, cette authentification a eu lieu début 2012.
4) Pourquoi nous publions cette information si tard ? Nous avons promis à notre source de la protéger, elle n’est plus militaire à ce jour. De plus nous avons du procéder à d’autres vérifications car ces preuves sont graves.
Compte rendu confidentiel du militaire qui a vu les deux journalistes une heure avant leur enlèvement. Nous avons surligné en jaune les passages importants du rapport. Nous avons supprimé des informations pour des raisons de sécurité et surtout pour la protection de nos sources. (c)INFOSDEFENSE.COM
A propos de ce rapport, Bertrand nous explique : « Le rapport était adressé à nos supérieurs en Afghanistan, ainsi qu’à l’État-major de la brigade à laquelle j’appartiens. Tout le monde était sur les dents, comme je suis rentré dans la boucle parce que je les ai vus, j’ai appris qu’ils avaient été raccompagnés à l’aéroport par un membre de la communication juste après la fin de leur reportage officiel avec l’armée sur place. L’officier de communication devait s’assurer de leur départ vers la France. J’ai alors compris qu’ils avaient passé outre les consignes de sécurité données par les officiers, parce qu’ils ne devaient pas être là, en effet, les officiers de communication leur avaient dit de rentrer à Paris ».
Ce que les lecteurs doivent savoir c’est qu’un « embarquement » avec les forces militaires comporte un contrat moral et écrit (un document sur les règles de sécurité) entre les reporters et les militaires, des règles doivent être respectées des deux côtés.
Les journalistes-militants qui crient à la censure militaire ne connaissent pas les dangers que comporte un reportage en zone de guerre. Pourtant, à chacun son métier, à chacun ses spécialités. « Les deux journalistes se sont retrouvés dans une zone dangereuse, en plein milieu d’une opération de la Task Force », nous confirme l’une de nos sources. Pas question de censure donc, mais d’opération militaire avec les risques qui vont avec: « C’est une zone de combat, pas la Foire de Paris, n’avaient-ils pas terminé leur reportage avec nos forces ? Pourquoi insister quand ils ont été prévenus plusieurs fois, c’est de l’imprudence caractérisée » rajoute l’un des militaires.
Le mot du rédacteur en chef, Jean-Paul Ney
En conférence à l’ISTC de Lille (de gauche à droite) Eric Dussart (La Voix du Nord),
Jean-Paul Ney et Jean-Louis Normandin (Otages du monde). 2010.
Nous avons patienté deux ans avant de publier cette preuve irréfutable de l’irresponsabilité de mes deux confrères. Le faire pendant le Prix Bayeux des correspondants de guerre semblait idéal pour une bonne piqûre de rappel quant à nos droits et nos devoirs. Hervé sera sur place, peut-être l’occasion pour lui de faire son mea-culpa face à ce document et ces preuves ?
Nos droits sont, et je le dis ici, illimités. Pour l’information, toutes les méthodes sont bonnes. C’est mon point de vue. Personne ne m’empêchera d’aller chercher l’information où elle se trouve, et j’en assume l’entière responsabilité. Ayant été sous le feu à plusieurs reprises depuis plus de 15 ans de métier, puis otage du régime Gbagbo pendant 497 jours (17 mois), je pense avoir ici la légitimité de contester les méthodes de mes deux confrères.
Nos devoirs, sont le ciment de notre métier, ce ciment commence à prendre avec la confiance de la parole donnée et du respect des règles. Quand je suivais nos militaires de l’Afrique à l’Amérique du Sud, du Moyen-Orient aux Alpes françaises, dans leurs VAB, dans leurs hélicos, dans leurs sous-marins, sur leurs terrains, je me pliais aux règles de sécurité, pour moi et pour eux. Se mettre en danger est une chose, mettre en danger son hôte en est une autre. C’est donc une question de respect et de sécurité, elle ne peut pas être effacée d’un coup de main ou d’un coup de tête « pour le droit à l’information » ou un hypothétique « équilibre » de l’information, excuse bidon si chère à certains rédacteurs en chef… (alors que d’autres font tout pour sauver leurs journalistes). Les paramètres d’un reportage en zone de guerre sont si difficiles à interpréter et à gérer. Impossible de les comprendre depuis un confortable fauteuil parisien…
Attendre la fin d’un embarquement pour repartir en roue libre n’est pas la bonne méthode, que les amis et confrères de Hervé et Stéphane aient le courage de leur dire, ce sera leur rendre service. La meilleure des solutions aurait été de rentrer à Paris, décompresser, puis repartir. Là, les militaires n’auraient pu rien dire car ils n’étaient plus du tout sous leur responsabilité. « Ils étaient venus suivre l’armée française et partaient faire de l’investigation dans les zones insurgées » avait alors évoqué l’officier de communication. Nos deux confrères ont brisé la règle numéro 1 en reportage sur une zone de guerre : le changement de zone et d’angle du reportage. Faire les deux à la fois est risqué, surtout si vous avez été observé avec les militaires et si votre présence a été signalée. La base du reportage en somme. Et en effet, ils ont été vendus par des afghans qui les avaient déjà repérés depuis longtemps…
En 2006, alors embarqué avec une unité Druze de l’armée israélienne en pleine guerre contre le Hezbollah, j’ai pu quitter le bunker où j’étais pour passer du côté libanais, c’était très facile, et j’aurais pu filmer les gars du Hezb qui étaient un peu plus loin. Mais par respect des règles d’embarquement et de sécurité, je ne me suis pas aventuré dans cette zone seul, même avec un guide pour rester en accord avec l’agrément tacite que j’avais avec les combattants druzes.
Le second-maître Jonathan Lefort du commando Trépel
était chargé d’empêcher le transfert de Stéphane et Hervé au Pakistan.
La faute incombe aussi aux rédacteurs en chef, aux producteurs et aux chaines de télévision, qui n’ont AUCUNE connaissance des risques que l’on peut prendre sur le terrain. Ils veulent toujours plus, toujours plus loin… Le sujet embarqué avec les soldats ne leur suffit plus, il faut filmer le camp d’en face très vite avant de rentrer, ça coute déjà si cher…
Hervé, Stéphane, je vais vous faire une révélation: un homme est mort pour empêcher vos ravisseurs de vous faire passer au Pakistan, il s’agit de Jonathan Lefort, un militaire de 28 ans intégré aux forces spéciales et positionné non loin de la frontière avec le Pakistan. Il a donné sa vie pour vous sécuriser, c’est ça le scoop. La moindre des choses Hervé, surtout toi, serait de reconnaitre ton erreur.
Moi aussi, Hervé et Stéphane, j’ai travaillé à vous faire libérer, alors que je sortais à peine des geôles de Gbabgo, j’ai porté le petit bracelet bleu, et tout en parlant de mon expérience face à des étudiants, (voir aussi l’article sur La Voix du Nord) j’évoquais le souhait de votre libération prochaine et je vous défendais – parce que ce n’était pas le temps de la polémique – de Paris à Lille jusqu’à Perpignan. J’ai assumé mes erreurs et remercié un par un, les hommes qui ont risqué leur vie dans l’ombre pour me retrouver.
Depuis quelques mois déjà Stéphane travaille en région et non plus à Paris.
Hervé, tu es donc encore dans le système parisien, fais prendre conscience aux rédacteurs en chef, aux producteurs, aux chaines, que nous ne sommes pas des machines à sous, surtout pas pour ce genre de reportage aussi risqué. L’information n’est pas une denrée pour requins sauvages, c’est un don que nous faisons à nos concitoyens. Prendre des risques oui, mais sans trahir la confiance des militaires qui ont autre chose à faire que de jouer à la garderie…
On appelle ça « la politique de la terre brulée », oui Hervé tu sais de quoi je parle. Là où Hervé et son caractère passent, les confrères ne trépassent plus… Règle numéro 2: le comportement en zone de guerre, penser qu’on va laisser la porte ouverte pour le prochain confrère.
Quand on est journaliste sur une zone de guerre, de surcroit embarqué avec des militaires, on évite de ressortir son militantisme et de parler mal à des hommes et des femmes qui risquent leur vie chaque jour, encore une fois Hervé, tu sais très probablement de quoi je parle.
Méditez mes amis, méditez et soyez humbles.
Jean-Paul Ney
fondateur
rédacteur en chef
Mise à jour et correction – Le 11/10/2013 à 11h28 : Stéphane Taponier est toujours journaliste et travaille désormais en région, selon l’un de nos confrères de France 24. Merci à lui pour la précision.
Mise à jour et correction – Le 11/10/2013 à 12h54 : Rajout de l’article de La Voix du Nord « Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, onze mois à penser à eux ».