Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

lundi 15 juillet 2013

L'adolescente virtuelle qui traquait les pédophiles en ligne


Les pédophiles jouent les malins sur Internet et déjouent trop souvent les pièges des forces de l'ordre. Un logiciel a été conçu pour être plus rusé qu'eux.

Photo d'illustration. © Thomas Coex / AFP 


Ils sont l'un des fléaux les plus redoutés sur Internet : les pédophiles et amateurs de pornographie infantile connaissent les faiblesses de leurs victimes, et regorgent de ficelles pour les mettre en confiance sans se dévoiler. Désormais, ils auront affaire à plus fort qu'eux. Des chercheurs de l'université de Deusto, au Pays basque espagnol, se sont adossés à une société de filtrage de contenus pour créer Negobot, un logiciel capable de discuter comme s'il était une jeune fille de 14 ans.

Ce n'est pas la première fois qu'une telle initiative voit le jour. Mais les précédents leurres fonctionnaient mal : leur comportement s'avérait très prévisible et les discussions qui en découlaient ne permettaient pas de déterminer l'identité du prédateur. Pour pallier ce problème, les chercheurs se sont cette fois reposés sur la théorie des jeux : les conversations sont ainsi bien plus réalistes, car le comportement de Negobot varie selon les jours et le degré de connaissance entre le pédophile potentiel et la "jeune fille".


Ainsi, le programme débute à un "niveau 0", une sorte de position neutre qui se maintient tant que les intentions de son interlocuteur ne se précisent pas. Si le poisson ne mord pas à l'hameçon, Negobot se met en niveau "+ 1", "+ 2" ou "+ 3" et aborde plusieurs sujets qui ne feront appel à aucune donnée personnelle, jusqu'à ce que la "jeune fille" prétende être offensée pour attirer l'attention.

Langage familier

Dès que la machine décèle des comportements suspects, ce qui est le cas par exemple si l'interlocuteur est indifférent à l'annonce de l'âge de la jeune fille virtuelle, le niveau augmente, jusqu'à atteindre parfois le maximum de "+ 3", lorsque le suspect essaie d'obtenir des informations personnelles. Pour ne pas éveiller les soupçons du suspect, Negobot est ainsi capable de mémoriser les sujets de conversation partagés, de jouer sur les temps entre les réponses, de prendre l'initiative d'une discussion, sans oublier l'essentiel pour être crédible : parler dans un langage familier et truffé de fautes d'orthographe.

Un bémol cependant. Bien que doté d'un logiciel puissant lui conférant un haut niveau de langage, Negobot reste incapable de détecter l'ironie. Un défaut - somme toute rassurant quant aux limites techniques de l'imitation d'un cerveau humain - qui ne constitue pas un obstacle à l'aide que cette fausse jeune fille peut apporter dans la lutte contre la pédophilie sur Internet, selon Carlos Laorden, chercheur au DeustoTech et membre de l'équipe qui a créé le Negobot. "Les pédophiles les plus dangereux sont sur leurs gardes, et font bien attention de ne pas dévoiler un quelconque indice qui pourrait permettre de les identifier", assure Carlos Laorden, qui insiste sur l'intérêt porté à son projet par Ertzaintza, la police basque. "Aujourd'hui, on peut obtenir des autorités qu'elles ouvrent une enquête si l'on arrive à obtenir ne serait-ce qu'un profil sur un réseau social, un numéro de téléphone portable ou une adresse mail". C'est bien là toute la mission de Negobot.

Louise Cuneo