La présence de centaines de combattants européens dans les rangs des insurgés provoque de grandes inquiétudes à Paris.
Dans l'équation déjà passablement compliquée de la crise syrienne, un acteur essentiel et très préoccupant est venu encore complexifier la donne : les services spécialisés estiment à environ 270 le nombre de Français qui se battent aux côtés des insurgés. Au total, entre 1 500 et 2 000 Européens ont rejoint les rangs de l'opposition armée au régime de Bachar el-Assad. Problème aggravant : ce sont surtout les groupes islamistes radicaux qui recrutent et, par conséquent, bénéficient de ce renfort. Si l'on ajoute les milliers de volontaires des pays arabes - dont 600 à 700 Tunisiens -, la guerre de Syrie "commence sérieusement à ressembler à la guerre d'Espagne", selon la formule d'un observateur proche du dossier.
Cette situation inquiète les autorités françaises, qui redoutent d'avoir à gérer un jour le retour dans l'Hexagone de ces combattants aguerris, vivier idéal pour de futurs réseaux terroristes. À chaque réunion des conseils interministériels consacrés à la Syrie, le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, ne manque jamais de rappeler cette réalité. Raison de plus pour avancer avec une prudence de serpent sur le terrain miné d'éventuelles livraisons d'armes à l'opposition syrienne. Compte tenu de l'émiettement de celle-ci, de l'influence croissante des islamistes aidés par l'Arabie saoudite et le Qatar, la question de la traçabilité de ces armes s'apparente à la quadrature du cercle. Personne n'est en mesure de garantir que l'armement réclamé par l'opposition armée - engins antichars, armes antiaériennes, ne tomberaient pas, in fine, dans de mauvaises mains.
La grande prudence américaine
Les États-Unis étaient, jusqu'à présent, sur la même ligne. Ils ont interdit à leurs alliés saoudien et qatarien de faire parvenir à la rébellion des armes sophistiquées. Celles-ci étant soit d'origine américaine soit dotées de composants américains, un feu vert de Washington est nécessaire pour les exporter. Depuis le début de la crise syrienne, Barack Obama a le pied sur le frein. Il n'envisage pas de s'engager dans le maelström syrien, mais cherche à sanctuariser la fragile Jordanie qui pourrait être déstabilisée par l'afflux de réfugiés et l'onde de choc des combats chez son voisin.
L'utilisation d'armes chimiques par le régime de Bachar el-Assad peut-elle infléchir cette position ? Peu probable dans l'immédiat. L'annonce, jeudi 13 juin, par la Maison-Blanche qu'une "ligne rouge a été franchie" doit plutôt être analysée comme un avertissement adressé à Damas, mais aussi comme un signal vers l'opposition syrienne afin que celle-ci accepte de participer à la conférence internationale qu'Américains et Russes tentent de mettre sur pied. Si celle-ci se tient, elle pourrait durer des mois. On occuperait ainsi le champ diplomatique alors que, très certainement, une sorte de statu quo militaire finirait par s'installer sur le terrain.
Pierre Beylau