Et si la lutte contre le terrorisme se résumait à... une équation ? Plusieurs enseignants-chercheurs de l’académie militaire de West Point ont, en effet, décidé d’adopter une approche purement mathématique de la question.
Dans un article scientifique mis en ligne le 5 novembre, ils suggèrent qu’appliquer un nouvel algorithme pourrait permettre d’être plus efficace pour éradiquer les réseaux terroristes tels Al-Qaïda. Leurs formules mathématiques permettraient de comprendre quelles sont les cibles à éliminer pour faire le plus de mal à une organisation “ennemie”.
Et ce ne sont pas, d’après eux, forcément les chefs. “Je me souviens des gars des forces spéciales se vantant d’être très efficaces pour s’attaquer aux leaders de groupes terroristes et je me disais que s’en prendre aux têtes d’organisations très décentralisées [comme Al-Qaïda, NDLR] n’est pas forcément le plus utile”, a raconté jeudi 6 décembre au site américain spécialisé dans les nouvelles technologies Wired, Paulo Shakarian, l’un des auteurs de cette étude.
Le problème, selon lui, est que dans les groupes terroristes très décentralisés qui sévissent actuellement il y aura toujours quelqu’un pour prendre la place d’un chef. “La cellule d’Abou Moussab al-Zarqaoui est devenue encore plus dangereuse après sa mort”, affirme Paulo Shakarian.
De la toile à l’étoile
D’où leur idée : trouver un moyen de rendre ces organisations plus centralisées afin qu’un coup porté à leur tête devienne plus efficace. C’est là que l’algorithme rentre en jeu : “il permet d’identifier les cellules du réseau les mieux connectées pour en faire des cibles prioritaires”, décrypte pour FRANCE 24 un mathématicien aixois qui a préféré garder l’anonymat.
Une stratégie qui s’apparente à celle qui consiste, en temps de guerre, à isoler la ligne de front en coupant les lignes de ravitaillement. Sauf qu’en lieu et place des vivres et fournitures, cette approche à base de mathématiques vise à éliminer les viviers des chefs remplaçants. “Nous cherchons à transformer une organisation en forme de toile avec des multiples centres de même importance en un groupe en forme d’étoile où il y a un milieu très important et une périphérie beaucoup plus petite”, écrivent ces chercheurs américains dans l’article.
Comment l’algorithme s’y prend-t-il pour résoudre cette équation ? “La formule retenue attribue à chaque cellule une valeur en fonction du nombre de connexions avec d’autres cellules et plus la valeur est haute plus la cible est importante à éliminer”, explique le mathématicien aixois.
De la théorie à la pratique
Une approche qui pousse donc le vice mathématique à ignorer totalement des facteurs qu’on pourrait par ailleurs croire importants dans la lutte contre le terrorisme. Le charisme du leader ? Rien à faire. L’activité meurtrière de la cellule ? Hors contexte. “L'évaluation numérique d'une cellule se fait ici seulement par des données géométriques telles le nombre de cellules voisines et leur interconnexion”, confirme le mathématicien.
Mais, pour lui, cette vision toute mathématique de la guerre contre le terrorisme a des limites. “L’équation présentée ici ne marche que si l’organisation est horizontale et ne prend pas en compte d’éventuels groupes dans les groupes”, analyse-t-il. En clair, une cellule terroriste peut apparaître comme étant très isolée mais s’il y a en son sein une petite unité de militants très active pour établir des contacts avec d’autres groupes, l’algorithme la jugera peu importante malgré tout.
Surtout, “pour connaître l’efficacité de toute théorie mathématique, il faut la tester”, rappelle ce mathématicien. Or, dans le cas de cet algorithme cela reviendrait à éliminer ou capturer des dizaines de personnes. “Juste pour tester la validité d’une équation ? C’est un peu violent”, conclut cet expert. De la théorie à la réalité, dans ce cas-là, il n’y a pas un pas mais un potentiel bain de sang.