Hakim Benladghem
Photo Sudpresse
Un présumé terroriste surveillé en Belgique et en France depuis 2008
Le parcours d’Hakim Benladghem s’est arrêté brutalement mardi sur l’A8, abattu par les Unités spéciales qui tentaient de l’intercepter. Les policiers ont tiré alors qu’il voulait saisir une arme sur le siège passager de son 4x4. Ce Franco-Algérien de 39 ans, qui avait stocké un arsenal impressionnant dans son appartement d’Anderlecht, n’a pas surgi du néant.
Cela fait cinq ans au moins qu’il faisait l’objet d’une surveillance des services français du renseignement intérieur, comme le révèle ESISC, un centre privé d’analyse de la sécurité et du terrorisme basé à Bruxelles. Depuis trois ans, les autorités judiciaires et policières belges le suivaient de près. La ministre de la Justice l’a expliqué hier à la Chambre. Mais il n’avait jamais été inculpé. Et, selon Annemie Turtelboom, il s’apprêtait à préparer "un autre fait de même nature" que celui pour lequel il a été identifié le 21 mars. Et "certains éléments laissaient penser que ce fait aurait lieu avant mercredi soir", a précisé Mme Turtelboom.
Avec deux complices qui ont été arrêtés, il avait attaqué, il y a huit jours, un restaurant d’Anderlecht. Le patron avait été blessé de deux balles à la jambe et huit armes qu’il détenait lui ont été volées.
Claude Moniquet, directeur de l’ESISC, n’a pas pu recueillir d’informations sur Benladghem avant 2007. On sait qu’il a été para-commando en France. Aîné d’une fratrie de trois garçons et d’une fille, il a vécu à Dombasle-sur-Meurthe, avant de déménager à Nancy. Les parents se sont séparés dans les années 2000. Ce serait à cette période qu’Hakim, qui a eu une fille avec une première femme, s’est radicalisé. Tout comme son frère Farid. Il a porté barbe et djellaba alors qu’avant il était élégant. C’est une apparence qu’il ne gardait plus et qu’on ne retrouve que peu chez les hommes prêts à l’action, qui tentent de se fondre dans la société. Seul témoin visible de sa religiosité sur sa dernière photo, la marque sur le front, signe d’un homme pieux qui se prosterne et heurte le sol .
"Il semble bien qu’il se soit radicalisé vers 2007-2008. On ne sait pas sous quelle influence", relève M. Moniquet. Toujours est-il qu’il prend, ajoute-t-il, au printemps 2008, le chemin de l’Egypte, dans le but d’aller dans la bande de Gaza. Lors de sa dernière tentative, le 6 avril 2008, il est placé en garde à vue. Il n’a pas d’armes, hormis un couteau. Il détient deux gilets pare-balles, des cagoules, un masque à gaz.
Revenu en France, il est placé sous surveillance par les services français. Il apparaît alors qu’il a reçu 150 appels de Gaza en février 2008, au départ de deux téléphones cellulaires. Cela pourrait être son frère, en voyage au Moyen-Orient qui se serait installé à Gaza, relève M. Moniquet.
Ses fréquentations sont épluchées, via notamment écoutes et interceptions de mails. Hakim Benladghem utilisait plusieurs téléphones et adresses de messagerie. Il apparaît qu’il était en relation - ou à tout le moins connaissait - des membres de mouvances salafistes et djihadistes.
Parmi eux, le Belge Farouk Ben Abbes, qui sera interpellé avec d’autres au Caire en mai 2009 dans l’enquête sur l’attentat au bazar du Caire qui a visé des lycéens français le 22 février 2009 : 24 blessés et une adolescente morte. Rentré en France, il sera inquiété en 2010 dans le cadre d’une enquête sur un forum djihadiste.
Hakim Benladghem connaissait aussi Fabien Clain, un converti français condamné à 5 ans de prison pour sa participation dans une filière toulousaine qui voulait envoyer des combattants en Irak, note l’ESISC. Mohamed Merah a gravité autour de ce réseau.
Les surveillances des services français révèlent qu’Hakim Benladghem a voyagé : Angleterre, Norvège, Italie, Suisse, Syrie, où il s’est fait délivrer, en septembre 2007, un visa pour l’Inde qu’il n’utilisera pas.
Fin 2008, il quitte la France pour la Belgique. Il s’inscrit en janvier 2009 à Anderlecht, au 9, rue de la Courtoisie. Peut-être parce qu’il se savait l’objet de surveillances, comme en attestent des conversations téléphoniques avec son frère. Son dossier le suit. Une instruction judiciaire est ouverte à Bruxelles : il fait l’objet de surveillances. Il apparaît que dès avril et mai 2010, il cherche déjà à se procurer du matériel paramilitaire, comme des gilets pare-balles. C’est son implication éventuelle dans un groupe terroriste visant à mener le djihad à l’étranger qui est visée. L’enquête ne relèvera aucun élément d’une menace en Belgique ou en Europe.
A la même époque, il envisage de se rendre en Algérie. Il se méfie et téléphone à un oncle policier pour qu’il vérifie s’il n’y est pas recherché. Des écoutes montrent qu’il se plaint à son frère de surveillances. Le ton est violent : "Ces fils de pute, ils pensent qu’avec leurs méthodes ils peuvent contrer la détermination de ceux qui sont capables de verser leur sang pour Allah", relève l’ESISC.
Le 17 juillet 2010, il est interpellé et perquisitionné. Son interrogatoire dure dix heures. Il est bien préparé, les enquêteurs aussi. Il se présente comme musulman, mais pas djihadiste. Les policiers l’interrogent sur les contacts qu’ils ont pu établir qu’il a noués. Dès que les questions se font précises, il se tait et dit ne plus se souvenir de ce qui s’est passé entre 2007 et 2009, a appris M. Moniquet.
Rien ne peut être retenu contre lui : il n’y a pas d’armes, il a bien de nombreuses cartes téléphoniques de nombreux pays et des téléphones, ce n’est pas illégal. Des documents bancaires sont saisis ainsi qu’une clé de coffre bancaire : il y a 21000 euros sur le compte et 50000 euros dans le coffre. C’est le fruit d’économies, dit-il : 500 euros économisés sur des revenus mensuels de 2000 euros. Il est transporteur routier international. L’argent du coffre est saisi. Il tente de le récupérer. Il y parviendra en partie. Les procédures n’étaient pas terminées le jour de sa mort.
Me Olivier Martins, qui s’est occupé de ce volet, se souvient d’un homme très sportif, qui s’exprimait très bien. "Un garçon poli, respectueux, qui disait être dans le transport international. Pas agressif, qui ne correspond pas du tout à l’image de ce qui apparaît aujourd’hui", dit-il. Hakim Benladghem alors s’est bâti une sacrée carrure. Il fréquente quasi quotidiennement des salles de sport et s’initie à la plongée.
Fin 2012, Hakim Benladghem attire à nouveau l’attention en France. Il cherche à se procurer du matériel paramilitaire. Les perquisitions menées mardi, où 26000 euros seront saisis, montreront qu’il en a déjà beaucoup. Les deux frères qui ont braqué le restaurant le 21 mars avec lui le balancent. On apprend qu’il préparait un "autre fait". On décide de l’arrêter. Il est tué. Sa femme est arrêtée. Avant d’autres en Belgique et en France ? "A l’heure actuelle, on ne peut pas dire que c’est un réseau, il n’y a pas d’éléments pour dire cela", a dit Mme Turtelboom à la Chambre.
Jacques Laruelle