Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

dimanche 24 février 2013

Chine-États-Unis : la cyberguerre est déclarée


Des milliers de "hackers" chinois, pour la plupart télécommandés par l'armée populaire, ont pénétré dans les réseaux informatiques des puissances occidentales.

Barack Obama et Hu Jintao (ici à Séoul en mars 2012). © Pablo Martinez Monsivais/AP/SIPA 



C'est une guerre qui ne s'annonce par aucune explosion de bombe ou de missile, qui n'a pas fait de victimes humaines ni, non plus pour le moment, de destruction d'entreprises industrielles, de voies de communication ou de bâtiments. Mais pour silencieuse et quasiment invisible qu'elle soit, cette guerre sur la Toile est une menace considérable pour les secteurs militaires, industriels et politiques d'une nation. Car son objectif est de violer et de voler les secrets d'un pays. Et au besoin de désorganiser sa vie économique et sociale. Par exemple, en paralysant la circulation aérienne, en provoquant l'arrêt d'une centrale nucléaire, en déréglant l'approvisionnement en pétrole des raffineries... Au point que Robert Mueller, directeur du FBI, prédit que le danger du "cybercrime" télécommandé par la Chine sera bientôt tout aussi menaçant pour la survie des démocraties que celui du terrorisme.

Le 19 février a été remis au président Obama un rapport de 74 pages émanant d'une compagnie américaine spécialisée dans la sécurité informatique, la société Mandiant. Son travail est le fruit de six années d'enquête. Il est tellement édifiant que le lendemain même la Maison-Blanche annonçait la mise en place accélérée d'un dispositif de protection et de contre-mesures pour mettre fin aux incursions des hackers chinois dans de multiples secteurs de l'activité américaine.

Armée de voleurs parfaitement encadrée 

La liste des cibles visitées et dont les réseaux ont parfois été "infectés" par un virus volontairement introduit constitue un véritable inventaire à la Prévert : la chambre de commerce américaine, Google, des industriels travaillant pour la défense, Amnesty International, le gouvernement tibétain en exil, le Pentagone, le New York Times, la Federal Reserve, les compagnies gérant les pipelines acheminant le gaz et le pétrole et même la Commission européenne à Bruxelles. La liste est interminable. L'un des hackers les plus actifs a réussi à pénétrer dans le réseau de la Maison-Blanche et, en guise de pied de nez, à y laisser un drapeau chinois !

Mais, qu'on ne s'y trompe pas, il ne s'agit pas de gamineries, même si les hackers ont des pseudos du style "affreux gorille" ou "aigle noir" : le rapport Mandiant révèle que ces centaines de snipers de la Toile sont coordonnés par l'unité 61398 de l'armée populaire chinoise. Son quartier général, d'après le rapport, se trouve dans un immeuble de douze étages à Shanghai. C'est une armée de voleurs parfaitement encadrée, organisée et dont les missions sont définies par le haut commandement chinois. Lequel a, bien sûr, immédiatement démenti : "La Chine s'oppose fermement au piratage, d'autant qu'elle en est souvent la victime." Cela n'est pas faux. Les Américains ont, depuis plusieurs années, multiplié les moyens d'écoutes électroniques et ne sont pas complètement innocents en matière de cyberespionnage, même si, jusqu'à présent, ils semblent plutôt se préoccuper de protéger leurs secrets industriels et militaires que d'aller piller chez les autres ce qu'ils savent déjà.

On a tout de même envie de dire "halte au feu". Avant que cette nouvelle forme de guerre ne prenne un tour plus dangereux, il ne serait peut-être pas inutile de profiter de l'arrivée au pouvoir d'un nouveau dirigeant chinois, pour conclure, comme on l'a fait pour le nucléaire du temps de la guerre froide, des accords pour contenir une course au piratage qui ne peut qu'aggraver des tensions déjà créées par la montée en puissance de la Chine.

Michel Colomès