Le général Thierry Orosco, chef du Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), analyse pour "Le Point" la prise d'otages en Algérie.
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Le Point : Quel regard portez-vous sur la prise d'otages d'In Amenas ?
Général Thierry Orosco : Tout d'abord, vous comprenez bien que je ne peux avoir un autre avis que celui d'un opérationnel. Je constate que la manoeuvre a été conduite en fonction de choix politiques qu'il ne m'appartient pas de commenter. Deux points ont été clairs dès le départ : les autorités seraient très fermes sur la protection de leurs ressources naturelles et leur attitude ne serait pas modifiée par la présence d'otages étrangers. Les revendications sur l'arrêt de l'intervention française au Mali et l'échange des otages américains contre deux militants emprisonnés aux États-Unis n'étaient pas recevables.
Les conditions de cette prise d'otages étaient très particulières, avec de très nombreux otages et ravisseurs. Quelles observations en tirez-vous ?
Cette prise d'otages massive, ou "POM" dans notre langage, a confirmé toutes nos analyses, qui avaient amené le GIGN à se restructurer profondément en 2007 pour faire face à ce type de menaces. Nous avions déjà vu, lors des prises d'otages du théâtre de la Doubrovka à Moscou (2002), de l'école de Beslan en Ossétie du Nord (2004) ou encore lors des attaques de Bombay (2008), que les terroristes arrivent en grand nombre, sont puissamment armés et disposent des pièges pour ralentir la progression des forces d'intervention et éliminer des otages. À la Doubrovka et à Beslan, les preneurs d'otages s'étaient retranchés et les Russes ont pu s'approcher. À Bombay, les terroristes avaient établi des plans de défense avec des feux battant des espaces importants pour faire des dégâts sur la police avant l'assaut. En Algérie, les forces spéciales ont aussi dû reconquérir un "glacis" avant d'atteindre les otages qui avaient été piégés. Dans cette phase, les blindés sont indispensables.
Avez-vous mis au point des méthodes nouvelles pour faire face à ces défis ?
Certaines demeurent confidentielles, mais je peux vous dire que nous avons développé des techniques de "dépiégeage d'assaut". Il ne s'agit pas de déminer avant de progresser, mais d'accompagner l'assaut avec des spécialistes capables de faire contourner un piège ou de le neutraliser en urgence afin de ne pas ralentir la progression de la colonne d'assaut.
Quelles autres leçons avez-vous tirées, à ce stade ?
Il est bien trop tôt, car nous ne disposons pas d'éléments suffisants. Pour autant, nous voyons la confirmation de l'importance qu'il faut apporter à la gestion du temps. Le temps "opérationnel" est le même pour les terroristes et les forces de sécurité. Mais pour les premiers, il s'agit d'occuper les médias le plus longtemps possible, de profiter de l'impact mondial de l'opération. D'autant plus qu'ils savent leurs revendications impossibles à satisfaire. Et pour les seconds, il faut du temps, pour recueillir du renseignement, pour faciliter la montée en puissance des forces, faire venir des renforts et pour construire une manoeuvre plus élaborée.
Selon les particularités de tels évènements, quelles sont, pour vous, les options possibles ?
Nous en avons trois. La première, c'est l'opération longue que nous avons le temps de préparer, avec les personnels nécessaires. Il s'agit de jouer sur les diversions, la discrétion, la fulgurance, pour prendre l'ascendant sur l'adversaire. Si le temps nous est compté, par exemple si les preneurs d'otages font des victimes, il faut monter un plan d'assaut d'urgence, éventuellement en mode dégradé (avec des moyens minimaux, NDLR). La troisième option, c'est le plan d'assaut immédiat. Le temps est alors rétréci et on envoie des opérationnels en les faisant intervenir dès qu'ils arrivent sur place, sans aucune préparation, c'est-à-dire en mode très dégradé.
Jean Guisnel