Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mardi 4 décembre 2012

Affaire Luca: la contre-enquête du détective privé



« Mes parents tenaient un restaurant, à l’époque. On l’avait appelé la Tanière. Mon père était cuisinier. Cet après-midi là, il avait un peu neigé. Ils nous avaient laissés à la maison tout seuls. Ma maman avait rejoint papa au restaurant. Avant de partir, maman m’a dit qu’elle avait déjà sorti le chien pour faire ses besoins. Je savais que le maître du chien c’était moi et qu’il n’obéissait qu’à mes ordres. Alors, malgré les recommandations de ma maman, j’ai quand même pensé y aller avec mon frère. J’ai donc mis la laisse au chien et on est sortis. On est allés à un endroit où il aurait pu faire ses besoins et jouer. A un certain moment, je me rappelle que dans la poche de ma veste, j’avais un petit couteau que mon père m’avait offert. Je pensais toujours à le prendre avec au cas où il pourrait me rendre service, pour me défendre… Quatre garçons. D’après mes souvenirs, il y avait quatre garçons… Je les connaissais déjà. Mais ce n’était pas un bon rapport… Ils ne voulaient pas que je parle. Donc, ce jour-là, j’étais en train de jouer avec mon chien et mon frère et ces garçons sont arrivés. Ils ont commencé à me déshabiller. Et ils ont tout de suite trouvé mon petit couteau parce qu’il était dans ma veste. C’est là qu’ils ont commencé à me taper avec un bâton… et progressivement avec des bâtons plus longs… ils me faisaient mal et je ne pouvais pas me défendre sinon ils me menaçaient de me tuer. Ils ne m’auraient pas tué mais presque tué. Je ne savais pas ce qui pourrait m’arriver… Rocky était derrière l’arbre avec mon frère mais je ne sais pas ce qu’ils faisaient. Je me rappelle difficilement des visages. Si on les mettait devant moi maintenant, je ne pourrais pas dire qui est qui... parce que je ne vois plus. Au centre, il y avait le chef, c’est celui qui donnait le plus d’ordres. Et c’est celui-là qui à un certain moment m’a fait boire, je me rappelle… il y avait un insecte… je ne pourrais pas dire si c’était une fourmi ou un autre insecte avec de l’eau. Je ne voulais pas mais ils m’ont forcé. C’est arrivé après qu’ils m’ont tapé. Comme j’ai déjà dit, ils m’ont tapé et m’ont rhabillé pour me porter dans ce café. Je le connaissais bien. Le local s’appelait le Mouton rouge (ndlr: en français). Ils m’ont monté aux toilettes pour me faire boire cette chose. Ensuite ils m’ont ramené sur le lieu où ils m’avaient tapé. Quand ils ont vu que je n’arrivais plus à me tenir debout, ils ont pris mes mains et ont dit qu’il fallait que je me tire sur les mains. C’est là que je me suis fait mal à l’épaule. Là où ils m’ont porté, ils ont dû descendre un endroit escarpé. Ils ont creusé une espèce de trou, m’ont mis dedans et ont couvert le trou avec de la neige et de la glace. Après un moment, je ne voyais plus et je me suis endormi. »

Luca Mongelli



Cela fait dix ans que le détective privé Fred Reichenbach défend une autre version dans l’affaire Luca Mongelli. Engagé par la famille de la victime, il a enquêté autour des événements du 7 février 2002, la nuit où l’on a retrouvé cet enfant, alors âgé de 7?ans, nu, dans la neige, à Veysonnaz (VS). Pour lui, le chien «Rocky» n’est en rien responsable de l’agression de Luca Mongelli. Il opte pour la version d’une agression menée par quatre adolescents qui aurait mal tourné.

Sur quoi s’appuie-t-il pour exprimer de telles certitudes? La justice valaisanne a-t-elle bâclé l’affaire Luca? Pour la première fois, le détective privé nous a ouvert ses archives. Depuis quelques semaines, la télévision italienne Rai?1?place cette affaire régulièrement dans son émission «La vitta in diretta». Ce soir, sur SF1, «Schweiz Aktuel» s’interroge sur cette affaire, au même titre que Canal 9, la télévision cantonale valaisanne, qui organise un débat autour de ce dossier. Morceaux choisis de l’enquête de Fred Reichenbach, confronté à la version officielle de la justice valaisanne.

LA SUBSTANCE VERTE

L’avis du détective: Lorsque Luca arrive aux urgences de l’Hôpital de Sion, le Dr K. s’exclame: «Attention, il y a quelque chose.» Il s’agit de «résidus verdâtres dans la région anale». Cette substance ressemble à du slim.

Ce que dit l’ordonnance de classement: «L’agression sexuelle doit être exclue, l’examen anorectal de Luca effectué par les HUG (ndlr: Luca a été transféré des urgences de Sion à Genève) ayant exclu la présence de sperme et de maltraitance sexuelle.»

AMBULANCIERS PAS ENTENDUS

L’avis du détective: Dans un questionnaire rempli le 30 septembre 2002, le cpl M., ambulancier, confirme la présence de cette substance verte. «Il fallait être bourré pour ne pas la voir.» Le juge n’a pas relevé ce fait et n’a pas auditionné les deux ambulanciers. Il s’est basé sur le questionnaire rempli au commissariat de la police municipale de Sion, document dans lequel la substance verte est bien mentionnée.

Ce que dit l’ordonnance de classement: «Les ambulanciers (…) ont transmis au magistrat instructeur leurs déclarations écrites.»

MÉDECIN QUI DISPARAÎT

L’avis du détective: Le Dr?K., pourtant identifié par un des ambulanciers, le cpl M., et trois autres témoins, dira plus tard qu’il n’a jamais été présent le soir du 7 février aux urgences de Sion. La justice valaisanne ne l’a pas non plus entendu. Sur les rapports médicaux, remplis par son collègue, le Dr R., la substance verte n’existe plus. Il s’agit de selles. Le Dr K., comme le Dr R., a néanmoins été choqué par ce qu’il a vu. Deux témoignages attestent qu’ils sont allés «vomir après».

Ce que dit l’ordonnance de classement: Pas de mention du Dr K.

LUCA LAVÉ, PAS PHOTOGRAPHIÉ

L’avis du détective: En cas de soupçons d’agression sexuelle, la procédure veut que le corps de la victime soit photographié par le médecin. Ce que n’a pas fait le Dr?R., qui a nettoyé Luca. Fred Reichenbach suppose que le Dr K. n’a pas été d’accord avec cette façon de procéder, à savoir faire disparaître certains indices. Les deux médecins se seraient alors disputés et le Dr K. n’aurait pas voulu cautionner cette façon de faire en disparaissant de la feuille de présence.

Ce que dit l’ordonnance de classement: Pas de mention du Dr K.

ALIBI LÉGER

L’avis du détective: Trois des quatre agresseurs présumés ne se seraient pas trouvés en Valais mais à Lausanne lors des faits. Fred Reichenbach a recueilli le témoignage d’un voisin qui atteste la présence de la voiture de leurs parents devant leur chalet à Veysonnaz le 7 février. Qui plus est, seules les attestations écrites de deux directeurs d’école, six?mois plus tard, fournissent un alibi. Les rapports d’absence n’ont pas été demandés par le juge valaisan et n’ont jamais été transmis. Ces documents auraient été «salopés», c’est-à-dire que certains noms auraient été «tipexés».

Ce que dit l’ordonnance de classement: «Un contrôle rétroactif des raccordements téléphoniques des adolescents désignés comme auteurs du drame ainsi que leur audition – tout comme celle de leurs parents – ont été effectués. Leurs horaires ont été transmis au juge.»

LE DOUTE DES EXPERTS

L’avis du détective: Dans son rapport sur l’agression de Luca, l’Institut de médecine légale de Lausanne (IUML) n’exclut pas formellement la présence de tierce personne sur les lieux de l’agression. Il estime «impossible» que le chien «Rocky» ait pu déshabiller Luca et juge «improbable» la thèse de l’«autodéshabillage». Au final, le document émet des doutes et ne désigne en tout cas pas «Rocky» comme seul coupable. Il laisse des portes ouvertes.

Ce que dit l’ordonnance de classement: «Les actes du dossier permettent d’affirmer que le chien «Rocky» est à l’origine des lésions constatées sur Luca Mongelli le 7 février 2002.»