La première a empêché un crime, la dernière l’a rendu possible.
Soutiens de Kadhafi tués lors de l'attaque de Syrte par l'OTAN durant laquelle a été également tué le guide libyen (LI MUZI/CHINE NOUVELLE/SIPA)
Voici un an, le 20 octobre 2011, Mouammar Kadhafi était tué alors qu’il tentait de fuir sa ville natale de Syrte, où il avait pensé trouver refuge après avoir perdu le pouvoir, deux mois plus tôt. On sait quelle place déterminante tint la France dans la chute de cette dictature. D’autant que les premières et les dernières bombes tirées durant de cette guerre – toutes françaises – ont joué un rôle politique très particulier. Et très contrasté…
La première bombe de cette guerre fut tirée, le 19 mars, par un Mirage 2000D français. On se souvient du contexte : l’un des fils du colonel avait promis que des « rivières de sang » couleraient bientôt à Benghazi, la grande ville de l’Est qui avait eu l’audace de se soulever. L’armée loyaliste venait de bousculer les rebelles le long de la route côtière et, ce samedi après-midi, ses canons étaient à portée de tir de la ville. Sur ordre de l’Elysée (1), six obusiers automoteurs de 155 mm sont alors détruits par l’aviation française. Benghazi est sauvée. La France venait d’empêcher la commission d’un crime : le bombardement aveugle d’une ville par l’armée d’un dictateur. Bravo !
Sept mois plus tard, une nouvelle bombe française favorisa, cette fois-ci, la commission d’un crime de guerre par les rebelles. On n’en a nettement moins entendu parler… Heureusement, qu’un récent rapport (2) de l’organisation indépendante Human Rights Watch (HRW) vienne jeter une lumière crue sur cet épisode.
Le 20 octobre, donc, un drone américain repère un convoi d’une cinquantaine de véhicules armés quittant Syrte. A leur bord, 250 personnes, dont Kadhafi et son entourage, mais aussi des civils et des blessés. Les miliciens de Misrata, qui assiègent la ville, le prennent à partie, alors que le drone lui décoche un premier missile. Quelques minutes plus tard, deux Mirage de l’armée de l’Air arrivent « sur zone » et larguent deux bombes de 250 kg qui tapent en plein milieu des véhicules. On relèvera des dizaines de morts, mais Kadhafi et ses proches parviennent à s’enfuir, d’abord vers une maison, puis par une canalisation… Ils sont rattrapés par les miliciens : déjà blessé à la tête par l’explosion accidentelle d’une grenade, Kadhafi reçoit alors un coup de baïonnette dans le fondement. Capturé vivant, le dictateur meurt dans les moments qui suivent sans qu’on sache exactement ni quand, ni comment. Peu importe : l’exécution d’un prisonnier est un crime de guerre. Qu’une « vengeance sanglante » - c’est le sous-titre du rapport d’HRW - se soit exercée contre l’homme qui a terrorisé son pays pendant quarante ans, peut se comprendre. Sans se justifier.
En revanche, les exécutions sommaires dont ont été victimes les autres membres du convoi sont bien des actes criminels. Au lendemain de l'attaque, les enquêteurs de HRW se rendent sur place et trouvent 103 corps à proximité du lieu de la capture de Kadhafi. Certains ont été tués par les frappes aériennes, d'autres dans les combats, mais certains semblent avoir été liquidés froidement. Les choses sont encore plus claires concernant les personnes capturées alors et transportées à l'Hotel Mahari, juste à côté du cantonnement des miliciens. HRW estime à 53 (et possiblement à 66) le nombre de prisonniers abattus à l'arme légère sur la pelouse de l'hôtel, face à la mer. HRW documente également la mort de Moutassim, le cinquième fils de Kadhafi, capturé vivant et mort le soir même, avec des traces de plaies à la gorge.
A défaut de « rivières », ce jour-là, ce furent des « ruisseaux de sang » qui coulèrent en Libye…
(1) On lira avec beaucoup de profit « La vérité sur notre guerre en Libye » de Jean-Christophe Notin (Fayard, octobre 2012), un livre extrêmement documenté.
(2) Death of a dictator, le rapport de 58 pages de l'association Human Rights Watch
Jean-Dominique Merchet