Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

samedi 8 septembre 2012

Si vous ne croyez pas à une guerre économique


Depuis la fin de la guerre froide, l’Europe est devenue, pour les Etats-Unis, un rival et non plus un allié. La tension s’est accentuée après 2001






Lors de mes discussions avec certains interlocuteurs, il est surprenant de constater qu’ils ne croient pas un instant à l’hypothèse d’une guerre économique américaine, grille de lecture pourtant essentielle pour décrypter le monde actuel. Pour ces observateurs, il n’y a ni guerre contre la Suisse ni contre l’Europe. Selon eux, la Suisse subit un sort similaire aux autres places financières, qui devront elles aussi renoncer à leur lucrative opacité. Quant à la relation entre les Etats-Unis et l’Europe, ces interlocuteurs n’y voient nulle hostilité, rappelant qu’Obama s’est prononcé, lors du dernier G8, contre une sortie de la Grèce de la zone euro (et oubliant qu’il y a les positions officielles, et les positions réelles). Ils citent enfin des documents dé-classifiés révélant que Washington préconisa même, dès les années 60, la création d’une monnaie européenne unique et que par conséquent le bloc européen ne se constitua pas par opposition au bloc étasunien.

2009, le dollar contre-attaque

Ces objections sont des plus pertinentes. Mais tout d’abord, concernant la Suisse, il est naïf de penser que de puissantes places financières comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne  vont se plier aux mêmes contraintes que la Suisse. Et voici pourquoi : les pays dont les avoirs sont cachés dans ces puissants paradis fiscaux sont plus faibles que les pays qui contrôlent ces dites places. Et c’est là l’énorme différence avec la Suisse, qui, elle, était plus faible que les pays dont elle accueillait secrètement les avoirs. Si bien que, quand le Brésil ou le Mexique réclament le rapatriement, ou tout du moins la taxation à la source, des avoirs évadés en Floride de leurs contribuables, cela ne se passe pas du tout, mais du tout, comme quand les Etats-Unis et l’UE réclament leurs avoirs évadés à la Suisse. C’est bien simple: les demandes du Brésil et du Mexique sont ignorées par les Etats-Unis, ces pays n’ayant aucun levier pour contraindre Washington à échanger des informations. Ensuite, parlons des relations entre les Etats-Unis et l’Europe. Peu de gens sont disposés à croire à une guerre économique entre deux blocs marqués par 60 ans d’amitié transatlantique et par le Plan Marshall. Pourtant, s’il est possible que l’Amérique ait encouragé initialement la création d’un bloc européen durant les années 60, il faut se souvenir qu’à l’époque, l’économie américaine était au faîte de sa puissance et que Washington considérait l’Europe comme sa première alliée face à un bloc soviétique menaçant, dans les bras duquel elle refusait de voir l’Europe tomber. Les choses ont changé dès la décennie suivante, avec la suspension de la convertibilité-or (Nixon), la guerre du Vietnam et l’endettement vertigineux qui s’ensuivit.

La guerre économique contre l’Europe a réellement commencé après la fin de la guerre froide en 1991, sous l’administration Clinton. Mais surtout, elle s’est accentuée suite au 11 septembre 2001 et aux guerres ruineuses d’Afghanistan et d’Irak, qui ont causé une dévaluation accélérée du dollar et poussé l’OPEP, la Chine, le Japon, la Russie et la France à se réunir secrètement en 2009, pour envisager l’impensable: le remplacement du dollar dans le commerce du pétrole par un panier de monnaies, comme l’a révélé une incroyable enquête de Robert Fisk (The demise of the dollar) parue en octobre 2009 dans The Independent, où il prédisait déjà que la réplique américaine serait proportionnelle à l’énormité de l’enjeu. Fin 2009 éclatait la crise de l’euro, enterrant ce projet.

Depuis, les Etats-Unis n’ont à nul moment offert d’aider l’Europe, leurs banques cessant de prêter des dollars à leurs homologues européennes. Seuls les Chinois sont venus au secours de l’euro.  Ce contexte explique aussi le soutien récent et inattendu d’Angela Merkel à la position russe concernant le brûlant dossier syrien, et son non alignement sur les Etats-Unis. Face aux demandes de l’UE et des BRICS, la Maison-Blanche a refusé d’aborder la question de la réforme du système monétaire. Remettre en cause la place centrale du dollar a valeur de déclaration de guerre contre les Etats-Unis. En Irak, Saddam Hussein avait libellé ses ventes de pétrole en euros, juste avant sa chute en 2003. L’Iran, dont le régime est menacé, a créé une bourse du pétrole hors dollar. Le Venezuela, dont le régime est menacé, vend du pétrole en euros. En Libye, le défunt Khadafi comptait vendre son pétrole en dinar-or et refuser le dollar. Si vous ne croyez toujours pas à un monde en guerre, lisez notre enquête renversante sur les coulisses de la CNUCED.

Myret ZAKI



Les Etats-Unis n'ont jamais apprécié l'existence de l'empire colonial français. Cela était certainement dû aux conditions de leur naissance : leur libération de la tutelle coloniale britannique. Mais aussi à l'exclusivité qu'ils s'étaient attribuée en Amérique centrale et du sud et surtout au dépit de voir l'empire français constituer une zone économique réservée en priorité aux entreprises françaises et hermétique à l'idéologie du libre échange si favorable à la pénétration de leurs propres entreprises et influence. Qui se rappelle que Washington donna l'ordre à ses troupes de ne pas intervenir lorsque les japonais massacrèrent la garnison et les fonctionnaires français établis en Indochine en éliminant ainsi toute présence française ? 

Le plan Marshall n'était pas une manifestation de l'amitié des Etats-Unis pour l'Europe de l'Ouest. Il était seulement un outil financier devant éviter le naufrage économique et social de cette zone de l'Europe et la montée en puissance qui s'en serait suivie des partis communistes européens et donc de l'influence de l'Union soviétique dans le contexte très tendu de guerre froide et chaude qui prévalait alors. La construction européenne des années cinquante vient parfaitement s'inscrire dans cette préoccupation et l'union européenne qui s'en suivit resta un outil aux mains des Etats-Unis ; lesquels gardaient en Europe la maîtrise politique et militaire et laissaient aux européens le soin de s'enrichir et de financer ( juste retour des choses ? ) les entreprises politiques américaines en Europe centrale et de l'est, après la chute du mur. 

C'est ainsi que l'élargissement déraisonnable de l'Union européenne à 27 membres donna aux Etats-Unis l'assurance de voir l'Union européenne se perdre dans les sables des discordes et rester ainsi un nain politique ( on peut s'interroger sur le degré d'indépendance et de patriotisme des politiciens français et européens qui ont validé ce choix de l'élargissement ), financer le développement économique de ses nouveaux membres ( Pologne, etc ) où ils étendaient leur influence politique et militaire grâce à l'OTAN. Le soutien constant et bruyant des Etats-Unis à l'entrée de la Turquie au sein de l'Union européenne relève du même procédé et de la même préoccupation : introduire toujours plus de facteurs de discorde au sein de l'Union européenne, offrir des débouchés aux industries turques et une zone d'émigration aux bras turcs et faire financer le développement des régions turques par l'Union européenne en renforçant ainsi l'influence américaine au coeur du Moyen-orient.

La montée en puissance économique et financière de l'Union européenne était cependant devenue une préoccupation pour les Etats-Unis car elle assurait une base sérieuse au rayonnement de l'Euro et une concurrence inquiétante à la domination du dollar dans les échanges internationaux et notamment ceux liés au pétrole. Les adversaires des Etats-Unis l'avaient bien compris et augmentaient la part en euros de leurs réserves en devises et de leurs échanges. Heureusement pour les Etats-Unis que la banque Goldman-Sachs a si bien su dissimuler l'état réel des finances publiques grecques avant l'entrée de la Grèce ( cette grenade dégoupillée ) au sein de la zone euro ; offrant par là un puissant levier aux agents des marchés pour commencer à mettre en cause l'ensemble de la zone euro et la valeur de cette monnaie, de notre monnaie. 

Est-il anodin que le président de la banque centrale européenne, le président du conseil italien et d'autres politiciens européens soient d'anciens employés de cette très influente banque américaine qui pour avoir contribué à mettre à mal l'économie des Etats-Unis devait bien, en retour,se faire pardonner d'une quelconque façon?
Marcel GIRARDIN