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mercredi 11 avril 2012

L’armée syrienne piétine le cessez-le-feu

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Le plan de sortie de crise de Kofi Annan, qui oblige la Syrie à retirer ses troupes des grandes villes et à cesser les combats, devait entrer en vigueur hier. Damas prétend avoir pris des mesures mais continue de bombarder.

Malgré une année de crise, au moins 10000 morts, des villes dévastées sans vergogne par sa propre armée, des quartiers écrasés par les bombes, des milliers de réfugiés et un isolement sans cesse croissant sur la scène internationale, le régime syrien n’a toujours rien perdu de sa terrifiante arrogance. Hier, au premier jour de l’entrée en vigueur du plan de Kofi Annan, il a ainsi prétendu avoir retiré des troupes de certaines villes conformément à ce qui était prévu.

Une annonce que l’émissaire international – il représente les Nations Unies et la Ligue arabe – a immédiatement contestée, accusant Damas d’avoir simplement organisé le déplacement de ses chars dans des localités qui n’étaient jusque-là pas visées pour mener d’autres «opérations militaires». Il a même demandé que Damas «change fondamentalement de ligne de conduite» et modifie de manière indiscutable son dispositif militaire. De son côté, l’Observatoire syrien des droits de l’homme a annoncé que 52 personnes, dont 28 civils et 19 combattants loyalistes, ont péri hier, ce qui confirme bien l’échec de la nouvelle initiative diplomatique. Celle-ci, outre qu’elle vise à mettre fin à la violence, cherche aussi à préparer un début de transition politique.

Pourquoi le plan Annan a-t-il échoué?

Comme pour toutes les initiatives diplomatiques précédentes, il n’était guère imaginable que ce plan réussisse. «Une application totale et opportune de ce plan n’a presque certainement jamais été à l’ordre du jour», soulignait, dans un rapport rendu public hier, le think tank International Crisis Group. Principal accusé: le régime syrien. Lundi, alors qu’il aurait déjà dû retirer ses troupes des villes qu’il assiège ou occupe, il conditionnait ces mesures à des exigences supplémentaires, à savoir l’obtention de garanties écrites de l’opposition et des Etats qui lui sont hostiles sur le renoncement à la violence. Une exigence totalement irréaliste.

En réalité, si le régime baasiste a souscrit au plan de l’émissaire international, c’est parce qu’il ne pouvait pas le refuser diplomatiquement. Il lui restait donc à le saborder. En plus, ce plan n’est pas incompatible avec la stratégie que Damas mène depuis quasiment le début de la crise: gagner du temps et montrer qu’il est prêt à accepter des propositions d’un règlement international afin de ne pas mettre en difficulté ses deux alliés, la Russie et la Chine, qui s’acharnent à le défendre. Le régime syrien est d’autant moins enclin au moindre compromis qu’il a le dos au mur. Toute transition politique consacrerait sa fin à plus ou moins longue échéance.

Que peut faire la Ligue arabe?

Même si le plan Annan ne fonctionne pas, il n’y a pas d’autres alternatives. De plus, la priorité n’est plus tant l’arrêt des combats que d’éviter la radicalisation de la violence. Car, celle-ci est en marche, aussi bien avec l’irruption des groupes salafistes du côté de l’opposition que la multiplication des massacres. C’est sans doute pourquoi l’Arabie saoudite et le Qatar ont mis un bémol sur la question de la livraison des armes à l’opposition qu’ils réclamaient haut et fort. Au sein de la Ligue arabe, on voit aussi un soutien à l’insurrection à géométrie variable. Très ferme du côté des pays qui ont déjà fait leur révolution, comme la Tunisie et la Libye. Plus mesuré au sein des autres, notamment certaines monarchies du Golfe. De leur côté, l’Irak et le Soudan soutiennent Bachar al-Assad.

Un déblocage à l’ONU est-il possible?

Les Russes et les Chinois, qui avaient par deux fois ces derniers mois bloqué des résolutions du Conseil de sécurité sur la Syrie, s’étaient associés à la «déclaration» du 21 mars de cette instance onusienne appuyant le plan en six points de l’ex-secrétaire général Kofi Annan. Ils ne peuvent donc rester sans réagir à un échec. C’était tout le sens de la stratégie choisie par les capitales occidentales, en premier lieu Paris, d’un texte a minima et non coercitif.

Hostiles à tout changement du régime par la force, Moscou et Pékin avaient obtenu qu’il ne reprenne pas l’idée de la mise à l’écart de Bachar al-Assad souhaitée par les Occidentaux et la Ligue arabe. Mais ce texte avait le mérite d’engager toute la communauté internationale. Tout l’enjeu maintenant est de continuer «à les garder à bord» résume un diplomate. Pékin a commencé à hausser le ton. Et le ministre russe des Affaires étrangères Serguei Lavrov reconnaît que «les actions de nos amis syriens pourraient être plus décisives pour appliquer le plan».

Damas avance maintenant de nouvelles exigences afin de donner des arguments à ses protecteurs. Le 1er avril, lors de la conférence d’Istanbul des amis de la Syrie, Alain Juppé soulignait déjà ce risque: «Bachar al-Assad nous mène en bateau!» Si Moscou et Pékin ne changent pas de position, rien n’est possible à l’ONU, même pas la création de «couloirs humanitaires» pour aider les populations civiles en Syrie qui impliquent ou l’accord de Damas, ce qui est plutôt impensable, ou une résolution du Conseil de sécurité.

La Turquie prépare-t-elle des zones tampons?

Le nouvel afflux de réfugiés, qui sont désormais 25 000, et surtout les tirs syriens en territoire turc ont incité à nouveau le gouvernement islamo-conservateur à muscler encore un peu plus son discours. «Il s’est produit une très claire violation de la frontière», a lancé le premier ministre Recep Tayyip Erdogan en visite à Pékin, menaçant «de prendre toutes les mesures nécessaires». Mais les autorités turques sont très embarrassées. Recep Tayyip Erdogan, qui aimait à afficher son «amitié» avec Bachar al-Assad, l’avait incité au début de la révolte «à écouter son peuple». Le gouvernement s’inquiète des contrecoups avec une reprise de la rébellion kurde attisée par Damas. En outre, les deux principaux alliés du régime syrien, l’Iran et la Russie, sont ses voisins et fournissent 85% de son gaz.

Quelle est l’issue possible du conflit?

Même si le régime a gagné des points en reprenant plusieurs cités à la rébellion, ce qui a donné lieu à des cris de victoire, l’insurrection est loin d’être terminée. Mais, si celle-ci est à même de perdurer, elle n’a pas pour autant la force nécessaire pour renverser un régime où la cohésion interne reste très ferme. D’où le risque d’une guerre longue, et même d’une «libanisation» du pays, avec des conséquences pour les pays riverains. C’est la grande crainte des pays occidentaux.


Jean-Pierre Perrin et Marc Semo
© Libération et La Liberté