«Non, pas de pression, pas de menaces», affirme un rédacteur du quotidien «Kurier» lorsque 20 Minuten Online lui demande s’il n’a jamais été entravé lors de son enquête sur le cas Kampusch. Il n’a jamais été remis à l’ordre par les politiciens ou les avocats de Natascha Kampusch. Mais les médias sont-ils aussi libres qu'ils le prétendent pour enquêter sur ce cas complexe?
Notre série d'articles, qui a émis des doutes sur la thèse du suicide de Priklopil, a rapidement été relayée en Allemagne puis dans les pays anglophones. En revanche, les médias autrichiens sont restés étrangement silencieux, en particulier la télévision d’Etat ORF et les grands tabloïds. Comment peut-on l'expliquer?
A peine libérée, déjà commercialisée
La télévision d'Etat a joué un rôle prépondérant après la libération de la jeune Natascha. Le média national s’est arrogé une exclusivité des interviews de Natascha quelques jours après son évasion, le 23 août 2006. Ainsi s’est véhiculée la version d’une histoire vécue et relatée par une jeune fille qui a passé huit années recluse dans un appartement. Passée de l’ombre d’un cachot à la lumière des projecteurs, la jeune fille vit désormais sous l’oeil du monde entier.
Avant tout, il semble que la coordination entre le récit de Natascha et les médias a fait l’objet d’un travail intense. Les droits de Natascha Kampusch sont représentés par le puissant cabinet d’avocats viennois Lansky, Ganzger & Partner. Ces derniers ont acquis des mains de Natascha une procuration spéciale, à la fin du mois d’août 2006. Celle-ci donnait au cabinet un droit d’exploitation exclusif du nom Kampusch et des adresses internet qui lui sont associées. Rapidement, le cabinet a conduit des négociations préliminaires avec la télévision d’Etat pour une interview exclusive de Natascha et des entretiens promouvant son autobiographie.
Du lit d’hôpital au feu des projecteurs
Aucune minute n’a été gaspillée sur la scène médiatique. Directement après l’évasion de la jeune fille, la stratégie marketing de son aventure est mise sur pied. Comme l’a soulevé l’ex-président de la Cour suprême Johann Rszeszut dans sa lettre confidentielle envoyée aux parlementaires autrichiens en 2010, le cabinet d’avocats Lansky, Ganzger & Partner a rapidement orchestré l’ensemble de la campagne de promotion de l’autobiographie de Natascha.
Le premier entretien a été mené alors que la victime était encore dans son lit d’hôpital. Dès le 1er septembre 2006, le cabinet d’avocats a envoyé une note à la police. Ils prévoyaient de faire sortir prématurément la fuyarde de l’hôpital, «puisqu’elle a divers contrats avec des médias en Allemagne et Autriche». Seule l’intervention de la police a empêché les avocats de mettre leur plan à exécution.
«De vieux copains»
20 Minuten Online s'est penché sur les relations entre la direction du parquet et le bureau d’avocat. Les membres des deux départements se trouvent être de proches camarades, et pour cause. L’avocat Gabriel Lansky et le procureur nommé sur le dossier Kampusch, Werner Pleischl, font partie du même think-tank et appartiennent à la même association académique partisane.
Werner Pleischl s’est toujours posté en fervent défenseur de la version officielle de l’histoire de Natascha Kampusch. Il a fréquemment repoussé les questions gênantes et intrusives que l’on adressait à la jeune fille, au nom de la protection des victimes. Il s’est montré, d’une certaine façon, fort compréhensif.
C’est ainsi que le parquet n’a accordé aucun crédit au témoignage contradictoire d’Ishtar A., qui assurait avoir vu deux malfrats au moments du kidnapping. L’affaire a été classée, malgré les contradictions évidentes que ces déclarations généraient. En outre, de nombreux documents clés ont été mis sous scellé. Ces documents, même l’enquêteur responsable de l’affaire Kampusch Franz Kroll n’a pas pu les consulter.
C’est ainsi que la version officielle de la saga Kampusch a été diffusée et commercialisée à travers les médias. La question de savoir si la détention de la jeune fille a en réalité duré moins longtemps ou le témoignage d’Ishtar A. ont été relégués au second plan. Une part des membres du cercle judiciaire tend à penser que le témoignage d’Ishtar A. aurait remis en question – de façon gênante – une partie essentielle des souvenirs de la victime.
« Aucune confiance en Autriche »
Suite à la diffusion des articles de 20 Minuten Online, une certaine pression a été exercée de la part des médias suisses sur le monde judiciaire autrichien ces dernières semaines. Le journal allemand «der Spiegel» a relayé l’affaire et a été jusqu’à publier les photos du cadavre de Priklopil détenues en exclusivité par «20 minutes». Les articles ont également eu un certain écho dans les médias autrichiens, qui avaient souscrit de longue date à la version officielle.
«20 minutes» a contribué à mettre au jour le travail de coordination qui existe entre les tabloïds dominants du pays et les forces judiciaires et policières. Les propres enquêteurs du FBI autrichien, le BKA, sont déstabilisés. Certains ont désormais de la peine à faire confiance à leur hiérarchie.
Les citoyens autrichiens eux-mêmes se montrent défiants envers la presse et les autorités chargées de l’enquête. Le silence du pouvoir judiciaire autrichien, et son apparente incapacité de reprendre l’enquête suscitent des doutes croissants.
Ceux-ci se reflètent dans les commentaires reçus par 20 Minuten Online. Pour exemple, Mathias a écrit: «Je suis originaire d’Autriche et je dois remercier «20 minutes», car votre journal travaille sur un cas que la presse et la justice ont abandonné. Il est crucial que «20 minutes» mette au jour les éléments qui ont été étouffés dans ce dossier. Pauvre Autriche!»
Natascha Kampsuch et Ernst H. n’ont pas souhaité s’exprimer sur l’affaire.
20 Minutes Online