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Aujourd’hui, Wikileaks a lancé la publication des « Global Intelligence Files » (petits papiers du renseignement mondial), plus de 5 millions d’emails de la société de renseignement privée Stratfor, basée au Texas. Les emails couvrent une période allant de juillet 2004 à fin décembre 2011. Ils révèlent le fonctionnement interne d’une entreprise qui annonce être un service de renseignement privé, mais qui fournit des services de renseignement confidentiels à de grandes entreprises, comme Dow Chemical Corporation à Bhopal (Inde), Lokheed Martin, Northrop Grumman, Raytheon, ainsi qu’à des agences gouvernementales, telles que le Département de la Sécurité intérieure des États-Unis (DHS), les « Marines » et l’Agence du renseignement pour la défense (DIA). Les emails dévoilent le réseau d’informateurs de Stratfor, sa structure de financement, les techniques de blanchiment d’argent et les méthodes psychologiques employées, par exemple :
« Vous devez réussir à le contrôler. Ce contrôle pourra être d’ordre financier, sexuel ou psychologique… Cela est destiné à lancer notre discussion sur la prochaine étape vous concernant. » — George Friedman, PDG, à Reva Bhalla, analyste chez Stratfor, le 6 décembre 2011, à propos de la façon de tirer parti d’un informateur Israélien fournissant des informations sur l’état de santé d’Hugo Chavez, président du Venezuela.
Les données contiennent des informations confidentielles à propos des attaques du gouvernement des États-Unis contre Julian Assange et WikiLeaks, ainsi que les efforts de Stratfor pour renverser WikiLeaks. Plus de 4 000 emails font mention de WikiLeaks ou de Julian Assange. Les emails révèlent également le système de « porte-tambour » en place dans les sociétés de renseignement privées aux États-Unis. Les gouvernements et sources diplomatiques du monde entier offrent à Stratfor un accès anticipé à la politique et aux événements mondiaux en échange d’argent. Les « Global Intelligence Files » révèlent la façon dont Stratfor a recruté un réseau mondial d’informateurs, payés via des comptes bancaires en Suisse et des cartes de crédit pré-payées. Stratfor dispose à la fois d’informateurs déclarés et secrets, incluant notamment des employés gouvernementaux, du personnel travaillant dans les ambassades ainsi que des journalistes du monde entier.
Ces données montrent comment fonctionnent les agences de renseignement privées, et comment celles-ci prennent pour cible des individus pour le compte de leur clients, que ce soit des entreprises ou des gouvernements. Par exemple, Stratfor a surveillé et analysé les activités en ligne d’activistes basés à Bhopal, dont les « Yes Men », pour le compte du géant américain de la chimie Dow Chemical. Les activistes demandent réparation pour la catastrophe de gaz impliquant Dow Chemical et Union Carbide en 1984 à Bhopal, en Inde. La catastrophe a causé des milliers de morts, plus d’un demi-million de blessés, et des dégâts à long terme sur l’environnement.
Stratfor s’est rendu compte du risque que représentait l’utilisation routinière de pots-de-vin pour obtenir des informations d’employés des entreprises ou États ciblés. En août 2011, George Friedman, PDG de Stratfor, a annoncé en interne à ses employés : « Nous allons mandater un cabinet d’avocats pour créer des règles spécifiques à Stratfor dans le “Foreign Corrupt Practices Act”. Je ne tiens pas à me faire arrêter sur la place publique, et ça vaut pour tout le monde ici ».
L’utilisation des employés des entreprises ou États ciblés, à des fins de renseignements, par Stratfor, s’est rapidement transformée en un système de génération de profits d’une légalité douteuse. D’après les emails, en 2009, Shea Morenz, alors Directeur Général de Goldman Sachs, et George Friedman, PDG de Stratfor, ont eu l’idée d’« utiliser les renseignements » que Stratfor récupérait de son réseau d’employés des entreprises ou États ciblés, pour créer un fonds d’investissement stratégique captif. Dans un document confidentiel d’août 2011, marqué « DO NOT SHARE OR DISCUSS », George Friedman explique : « Le but de StratCap est d’utiliser les renseignements et les analyses de Stratfor pour faire du trading dans toute une gamme d’instruments géopolitiques, incluant les obligations gouvernementales, les devises, etc… ». Les emails montrent qu’en 2011, Morenz, de Goldman Sachs, a investi « substantiellement » plus de 4 millions de dollars et a rejoint le conseil d’administration de Stratfor. Au cours de l’année 2011, une structure complexe d’actions offshore a été montée, s’étendant jusqu’en Afrique du Sud, destinée à faire en sorte que StratCap semble légalement indépendant. Mais, en privé, Friedman a annoncé au personnel de Stratfor : « Ne voyez pas StratCap comme une organisation indépendante. Cela vous sera utile de le penser comme une autre facette de Stratfor, et Shea comme un autre directeur de Stratfor… Nous nous occupons déjà des portefeuilles et des échanges fictifs. » StratCap devrait être lancé en 2012.
Les emails de Stratfor nous montrent une société qui cultive des liens étroits avec les agences gouvernementales américaines, et emploie d’anciens agents du gouvernement des États-Unis. Stratfor prépare le plan prévisionnel de trois ans pour le commandant des « Marines », aux États-Unis, et entraîne les Marines américains et « d’autres agences gouvernementales de renseignement » à « devenir des agents Stratfor ». Le vice-président chargé du renseignement chez Stratfor, Fred Burton, est un ancien agent spécial affecté aux services de sécurité de la diplomatie des États-Unis, et était alors responsable de la division antiterrorisme. Malgré ces liens avec le gouvernement, Stratfor et les sociétés du même type opèrent dans le plus grand secret, sans le moindre contrôle politique ni responsabilité. Stratfor prétend opérer « sans idéologie ni agenda, ou préférence nationale », alors que ces emails révèlent que les équipes de renseignement privées s’alignent au plus près de la politique de l’État fédéral américain, et transmettent des conseils au Mossad — en particulier grâce à un informateur au sein du journal Israélien Haaretz, Yossi Melman, qui a secrètement transféré (avec la complicité de David Leigh, journaliste du « Guardian ») les câbles diplomatiques révélés par Wikileaks vers Israël, et ce en violation du contrat entre Wikileaks et le « Guardian ».
Assez ironiquement en l’état actuel des choses, Stratfor essayait de tirer parti de ce qu’il a appelé la « manne » des fuites, qui est apparue après les révélations faites par Wikileaks sur l’Afghanistan :
« Peut-on se procurer un peu de cette “manne des fuites” ? C’est visiblement une foire à la peur, c’est donc une bonne chose. Et nous avons quelque chose à offrir que les entreprises de sécurité informatique n’offrent pas, principalement notre intérêt particulier pour le contre-espionnage et la surveillance, que Fred et Sticks connaissent mieux que quiconque sur cette planète… Pourrions-nous développer des idées et des procédures autour du concept de sécurité réseau « anti-fuite », qui se concentrerait sur la prévention des fuites de données sensibles au travers de ses propres employés… En fait je ne suis pas si sûr qu’il s’agisse d’un problème informatique qui réclame une solution informatique. »
Tout comme les câbles diplomatiques de WikiLeaks, une bonne partie du contenu de ces emails sera mise en lumière dans les semaines à venir, grâce à nos partenaires et le public qui recherchent parmi ces emails et découvrent des liens. Les lecteurs remarqueront que même si une bonne partie des clients et abonnés de Stratfor travaillent dans des agences de renseignement et l’armée américaine, Stratfor a accordé une adhésion gratuite au général pakistanais très controversé Hamid Gul (ci-contre), ancien directeur du service de renseignements pakistanais (ISI) qui, d’après les câbles diplomatiques américains, a planifié une attaque par EEI sur les forces internationales présentes en Afghanistan en 2006. Les lecteurs découvriront la classification interne des emails de Stratfor, qui répartit la correspondance dans des catégories comme « alpha », « tactical », ou « secure ». Les correspondances contiennent aussi des noms de code pour des gens auxquels ils portent un intérêt particulier, comme « Izzies » (membres du Hezbollah), ou « Adogg » (Mahmoud Ahmedinejad).
Stratfor a passé des accords secrets avec des dizaines de médias et de journalistes — de Reuters au « Kiev Post ». La liste des « Confederation Partners » — à laquelle Strafor fait référence en interne comme sa « Confed Fuck House » — est incluse dans les données. Même s’il est acceptable pour des journalistes d’échanger des informations ou d’être payé par d’autres médias, ces relations sont compromettantes parce que Stratfor est une agence de renseignements privée qui propose des services à des gouvernements ou des clients privés.
WikiLeaks a également obtenu la liste des informateurs de Stratfor et — dans beaucoup de cas — des archives de ses transactions bancaires, incluant un paiement mensuel de 1200 $ à un informateur nommé « Geronimo », géré chez Stratfor par l’ex-agent fédéral Fred Burdon.
WikiLeaks a construit un partenariat d’investigation avec plus de 25 médias ou groupes d’activistes, afin d’informer le public à propos de cet important corpus de documents. Ces organisations ont eu accès à une base de données d’investigation sophistiquée, développée par Wikileaks, et ont, avec Wikileaks, analysé ces emails. D’importantes informations découvertes grâce à ce système seront révélées dans les médias dans les prochaines semaines, au fil de la publication des documents sources.