Toute condamnation du régime de Damas est bloquée par des puissances émergentes telles que le Brésil et l’Inde.
Qui donc, démocrate ou antidémocrate, peut encore défendre l’action de ce président syrien qui, depuis des semaines, canonne ses villes pour maintenir son clan au pouvoir? Les condamnations pleuvent des grandes capitales occidentales. La plupart des Etats arabes demandent le départ du tyran. Et pourtant, Bachar Al-Assad peut encore compter sur de solides appuis de côté des BRICS.
Les BRICS? L’acronyme désigne des puissances dissemblables qui se retrouvent sur un seul dénominateur commun : l’émergence économique. Nous avons le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et, depuis le mois d’avril dernier, l’Afrique du Sud (South Africa).
Soit en termes politiques une démocratie (Brésil), deux démocraties anarchiques de parti presqu’unique (Inde et Afrique du Sud), une dictature en voie de décomposition (Russie) et une dictature pure et dure (Chine).
Cette classification subjective ne couvre pas vraiment la singularité de l’alliance : l’émergence économique n’est en réalité le fait que de la Chine, de l’Inde et du Brésil. Les deux autres partenaires ne sont riches que de matières premières dont le commerce permet la survie politique des gouvernants.
Mais tous ont intérêt à ce que leurs liens privilégiés résistent à la voracité des Occidentaux afin de sauvegarder leurs croissances exceptionnelles et ne pas être entraînés dans la tourmente de la crise. Cette convergence explique que le Brésil s’aligne sur la Chine et la Russie pour prôner un respect strict des souverainetés nationales. D’où leur soutien à Bachar Al-Assad et leur mauvaise humeur face aux interventions extérieures de l’OTAN, notamment en Libye.
Un soutien qui n’est pas que de principe. Loin de là! Il se trouve qu’en cette année 2011, ils sont tous les cinq membres du Conseil de Sécurité, la Chine et la Russie en faisant partie d’office. De plus, en ce mois d’août, c’est même l’Inde qui le préside.
Le 10 août dernier, alors que les victimes tombaient comme des mouches dans les villes syriennes, une délégation de diplomates brésiliens, indiens et sud-africains s’est rendue à Damas apporter son soutien au président Assad et vanter les mérites du plan de réformes annoncé. Etonnamment étonnant ! Donc pas de condamnation onusienne.
D’ailleurs, même Joseph Deiss, le président suisse toujours en charge de l’Assemblée générale, est d’un silence assourdissant. Je sais, cela ne se fait pas. Un président, par définition, n’a pas de voix. Mais les exceptions sont toujours possibles, qui sont alors entendues loin à la ronde.
Ce boiteux attelage de BRICS qui se voudrait, dans sa quête de domination financière, l’héritier des non alignés d’autrefois montre à quel point la société a évolué en un demi-siècle. Dans les années cinquante, quand les porte-parole du tiers-mondisme (Alfred Sauvy ou Tibor Mende) présageaient la montée en puissance de pays comme le Brésil, l’Inde ou la Chine, les politiciens les plus dynamiques du tiers monde (les Tito, Nasser, Nehru et autre Soekarno) théorisaient le non alignement pour échapper au rapport de force imposé par la lutte entre Washington et Moscou, pour appeler les pauvres à se solidariser, pour rechercher des solutions mettant en échec la bipolarisation du monde.
Il s’agissait d’échapper à l’étreinte mortifère de l’impérialisme de chacun des deux blocs qui n’avait d’autres soucis, une fois sorti de son pré carré, que d’exploiter sans scrupule la faiblesse des autres. Aujourd’hui, alors que les deux blocs ont fusionné au nom de l’ultralibéralisme dérégulateur, les BRICS, qui constituent en somme quelques îlots de nantis potentiels au milieu d’un océan de pauvreté, cherchent à sauver leur avantage. En se fichant complètement du sort des voisins.
Ils s’inspirent en quelques sortes des exemples qui ont remplacé la solidarité par l’égoïsme: celui de la Lega Nord qui en Italie refuse depuis 30 ans de cohabiter avec le Mezzogiorno, celui de la Slovénie qui en 1991 déclencha la première guerre de Yougoslavie pour ne pas contribuer au développement du Kosovo et de la Macédoine, celui de l’Allemagne qui, aujourd’hui, sape les fondements de la construction européenne pour ne pas assumer une partie des poufs réalisés par la Grèce, le Portugal et les l’Espagne. Trois pays d’émigration qui au milieu des années 1970 étaient encore sous le joug de militaires fascistes.
Gérard Delaloye