Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 17 juin 2011

La guerre secrète aux Pays-Bas

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On ignore quelles actions furent entreprises par le Gladio aux Pays-Bas. Mais parce que ce réseau a une origine nationale et était jaloux de son indépendance, le gouvernement néerlandais reconnu sans trop de difficultés son existence lors du scandale italien de 1990, en croyant pouvoir nier sa subordination à l’OTAN. Cette erreur de communication a permis d’établir officiellement aux Pays-Bas ce que les autres gouvernements européens ont refusé de confirmer : les armées secrètes de l’Alliance atlantique ont bel et bien subverti la démocratie en Europe occidentale. Et leur dissolution officielle en 1992 n’est qu’un écran de fumée.




La villa Maarheeze, siège des services secrets extérieurs (Inlichtingen Buitenland) et du stay behind néerlandais





Comme dans la Belgique voisine, l’armée secrète stay-behind des Pays-Bas trouve son origine dans l’occupation subie par le pays pendant la seconde guerre mondiale. Les Pays-Bas, comme eurent plus tard à le déplorer les stratèges néerlandais, n’avaient pas bâti de réseau stay-behind avant la guerre par manque de financements, de clairvoyance et d’intérêt étant donné la relative neutralité du pays. Mais en mai 1940, le pays fut envahi par l’armée allemande, ce qui contraignit le gouvernement et la famille royale néerlandaise ainsi que des personnalités privilégiées des sphères politique, militaire et économique à une fuite précipitée et désordonnée vers la Grande-Bretagne. Le GS III, la section renseignement de l’état-major néerlandais, avait trop tardé à donner l’alerte au moment de l’invasion allemande, échouant ainsi pitoyablement dans ce qui était pourtant sa principale mission. La débâcle tardive provoqua de nombreux dysfonctionnements logistiques et les ministres qui arrivèrent à Londres en mai 1940 purent à peine se mettre à l’œuvre, ne disposant pas de nombreux documents capitaux. Pour beaucoup au sein de l’armée et des services secrets, il était clair qu’il fallait tout faire pour qu’une déroute aussi chaotique ne se reproduise à l’avenir et qu’il serait nécessaire d’entamer dès la fin de la guerre des préparatifs en vue d’une éventuelle future invasion.

Après le départ précipité du gouvernement pour Londres en mai 1940, le territoire national fut occupé par les Allemands pendant près de cinq ans, un véritable traumatisme dans l’histoire du pays. Le gouvernement réfugié en Grande-Bretagne, qui ne disposait quasiment d’aucune source de renseignement fiable sur la situation dans le pays, envoya des agents aux Pays-Bas avec pour mission de collecter des informations, d’organiser la résistance et d’engager des opérations clandestines de faible ampleur. Comme en Belgique, ces missions étaient menées en étroite collaboration avec les Britanniques, et notamment avec le Special Operations Executive (SOE) récemment créé. Toutefois, les Allemands parvinrent rapidement à infiltrer ces unités mal préparées et à y provoquer des pertes désastreuses. Dans ce qui restera comme l’un des plus grands échecs du SOE, le fameux Englandspiel, la section néerlandaise du service fut infiltrée par des agents allemands qui eurent dès lors accès aux transmetteurs radio et donc aux communications. Des dizaines d’agents furent ainsi capturés et éliminés.

Pendant la guerre, Néerlandais et Britanniques établirent des liens étroits et Londres porta assistance à son allié pour la réorganisation de son appareil de renseignement détruit. Sur les conseils des Britanniques, deux nouveaux services furent créés au début des années 1940. Le Bureau Inlichtingen (BI) fut établi en novembre 1942 avec la mission de collecter des renseignements. Le Bureau Bijzondere Opdrachten (BBO) devait, lui, se charger mener des opérations spéciales. Aux côtés des unités spéciales du SOE britannique, les agents du BBO étaient parachutés en territoire occupé. Quand l’armistice fut signé, les deux services furent démantelés. Mais, au cours des années qui suivirent, la plupart de leurs effectifs se retrouvèrent directement impliqués dans le réseau stay-behind néerlandais.

Durant l’occupation, C. L. W. Fock, un membre du BI, avait insisté sur le fait que les Pays-Bas devraient à l’avenir être mieux préparés et qu’il faudrait impérativement bâtir un réseau stay-behind dans le pays sans attendre qu’éclate un nouveau conflit. Son supérieur, J. M. Somer, directeur du BI à Londres, était lui aussi convaincu de la nécessité de constituer une telle organisation dès la fin de l’occupation allemande. « Je me souviens que Somer, Charles van Houten (officier de liaison entre le BI et la Reine Wilhelmine) et moi-même convenions déjà en 1944 qu’une telle chose ne devrait plus jamais se reproduire », se souvint Fock dans un entretien qu’il accorda depuis son appartement de La Haye à l’âge de 87 ans. Se replongeant dans cette histoire près de 50 ans après, Fock témoignait : « Au fil de cette conversation, il devint évident qu’il serait préférable que les Pays-Bas soient préparés en vue d’une nouvelle guerre. Il était nécessaire d’entreprendre dès que possible des actions dans ce sens. » [1]

Au moment de la libération des Pays-Bas en 1945, le chef du BI Somer figurait parmi les hommes les plus expérimentés en matière d’opérations secrètes. Avant la guerre, il avait travaillé pour le service de renseignement GS III. Il s’était ensuite engagé dans des opérations de résistance sur le sol néerlandais et, en mars 1942, il avait échappé de peu au Sicherheitsdienst allemand [2] et avait fini par atteindre Londres au terme d’un long périple. Là, il avait été le premier à diriger le nouveau service secret néerlandais BI. Après la guerre, Somer, promu au rang de colonel, coucha ses réflexions sur les techniques stay-behind sur papier et les présenta au général J. Kruls, qui commandait l’état-major néerlandais depuis novembre 1945. La note de service qu’adressa Somer à Kruls était intitulée : « Les leçons à tirer de la période 1940-1945 dans le domaine du Renseignement et des Services de Sécurité ». Un vétéran se souvient que « ce fut l’un des premiers dossiers que Kruls eut à traiter dans ses nouvelles fonctions de chef d’état-major ». Le général fut tout de suite séduit par l’idée. Dans le livre Vreede of Oorlog [La Paix ou la Guerre], qu’il publia quelques années plus tard pendant la guerre de Corée, le grand partisan des opérations spéciales Kruls soulignait l’importance d’accorder « la plus grande attention possible aux préparatifs d’actions clandestines ». Selon sa conception, l’Europe de l’Ouest devait voir « la dure réalité en face », en d’autres termes, si une guerre devait éclater dans un futur proche, « les opérations secrètes pourraient y jouer un rôle décisif ». [3]

En septembre 1945, Somer présenta, avec le soutien de Kruls, son plan stay-behind au ministre de la Défense des Pays-Bas J. Meynen. Il n’y insistait pas sur le potentiel d’une armée secrète en matière d’opérations spéciales et d’actes de sabotage, mais suggérait la création d’une unité de collecte de renseignements « qui devrait être en mesure de réunir des informations militaires, politiques et économiques et de les transmettre par courrier ou par des réseaux de télécommunication » au commandement militaire basé hors des frontières du pays occupé. Somer expliquait qu’il faudrait recruter des hommes et les former aux techniques de communication radio et de cryptage et soulignait qu’ils ne devraient pas faire partie des forces armées régulières car ce n’est qu’à cette condition qu’ils pourraient prendre part à des opérations clandestines en cas d’invasion. [4] Le ministre approuva ce plan et Somer fut nommé à la tête du premier réseau stay-behind des Pays-Bas avec pour mission de lever une armée secrète. Dans le même temps, il fut aussi chargé de dissoudre le BI dont il avait été le directeur pendant la guerre. Ces attributions lui fournissaient la meilleure couverture possible pour ses préparatifs clandestins. Il rattacha le nouveau service stay-behind à l’ancien service secret militaire d’avant-guerre GS III et lui donna le nom de code « GIIIC ».



Jan Marginus Somer (1899-1979). Directeur des services de renseignement du gouvernement néerlandais en exil à Londres durant la Seconde Guerre mondiale, il fonda à la Libération un réseau stay behind sous le nom de GIIIC, puis de G7.





Au bout de quelques mois, Somer commença à remettre en cause la structure organisationnelle. Il regrettait que son réseau stay-behind GIIIC soit placé sous le commandement de l’état-major. Peu enclin à obéir aux ordres d’un chef de section, Somer fit valoir les risques que faisait peser une telle structure sur la confidentialité du projet. « Somer était d’avis que son unité top secrète était indispensable mais qu’elle ne pouvait avoir d’existence officielle », analysa l’historien néerlandais Koedijk. [5] En janvier 1948, il fut donc décidé que le réseau stay-behind n’apparaîtrait plus dans l’organigramme du ministère de la Défense et serait dorénavant placé sous le commandement direct de Somer. Il insista également pour que le quartier général de l’organisation quitte les locaux du commandement des armées néerlandaises, lesquels étaient abrités dans le complexe militaire de Prinses Juliana, à mi-chemin entre La Haye et le village de Wassenaar. Somer fut autorisé à rechercher un nouveau bâtiment adéquat dans les environs. Faisant fi des exigences de discrétion, il opta pour la villa Maarheeze à Wassenaar, une impressionnante bâtisse à l’architecture originale construite en 1916 par un homme d’affaires néerlandais qui avait fait fortune en Indonésie. Alors encore officiellement employé par le BI, Somer s’installa en mai 1945 à la villa Maarheeze située à seulement cinq minutes en voiture des bureaux du commandement militaire. L’année suivante, la demeure accueillit le siège du réseau GIIIC, bientôt rebaptisé G7.

Somer insistait sur l’importance primordiale de la confidentialité qui devait entourer l’armée secrète. Tant qu’il commanda le réseau, il n’accepta aucun catholique romain parmi ses membres, jugeant incompatible le devoir de confession et l’appartenance à un service secret. Dans le même temps, Somer veillait à ce que l’exécutif néerlandais soit informé de ses projets d’actions clandestines. Assisté du chef d’état-major Kruls, il exposa la situation au Premier ministre Louis Beel lorsque celui-ci prit en juillet 1946 ses nouvelles fonctions qu’il occupa jusqu’en 1948. Beel ne fut pas difficile à convaincre de l’intérêt d’un réseau stay-behind et donna donc son accord pour les opérations spéciales quoiqu’il jugeât l’hypothèse d’une invasion soviétique assez peu probable.

Après le démantèlement du BI par Somer, la villa Maarheeze qui n’abritait plus que le siège du réseau stay-behind G7 offrait désormais assez d’espace pour d’autres branches de l’appareil du renseignement néerlandais. Les services secrets BI et BBO n’existaient alors plus. Deux nouveaux services furent créés pour les remplacer : le service secret intérieur BVD, Binnenlandse Veiligheidsdienst, et le service de renseignement étranger IDB, Inlichtingen Buitenland. [6] Le Premier ministre confia à C.L.W. Fock le soin de constituer l’IDB, il faut rappeler que l’homme avait été le vice-directeur du BI à Londres, sous les ordres de Somer. Quand Fock fut nommé à la tête de l’IDB, Somer lui demanda s’il souhaitait établir le siège de son service à la villa Maarheeze. La proposition fut acceptée et l’IDB emménagea en prenant à sa charge 60% du loyer. Au cours des décennies qui suivirent, la villa Maarheeze acquit une réputation de haut lieu des missions clandestines et fut montrée du doigt quand on découvrit que l’IDB avait mené des opérations illégales sur le territoire national et entretenu des liens avec les milieux d’extrême droite pendant la guerre froide. Quand il fut révélé en 1990 que l’armée secrète Gladio avait été hébergée dans la même maison que l’IDB, la villa Maarheeze devint un symbole d’intrigues et de manipulations. Le service de renseignement extérieur néerlandais IDB fut dissout en 1994 par le Premier ministre Lubbers et la plupart de ses fonctions furent dès lors confiées au BVD. [7]

Le commandant stay-behind Somer quittait régulièrement son quartier général de la villa Maarheeze à l’occasion des nombreux voyages qu’il effectuait à travers tout le pays pour recruter les membres de son armée secrète. La plupart de ces Gladiateurs de la première génération avaient en commun une expérience de la seconde guerre mondiale. Nombre d’entre eux avaient fait partie des unités du BBO qui avaient été parachutées avec des agents du SOE britannique en territoire occupé pour y mener des missions clandestines. D’autres recrues étaient des anciens du réseau de résistance OD (Ordedienst) que Somer avait commandé dans la province du Brabant Septentrional avant d’être contraint de fuir pour Londres en 1942. « Somer parcourait le pays de long en large pour sa mission », se souvient un ancien agent. « Il a par exemple contacté un ancien commandant de l’OD ainsi qu’un membre de l’unité de renseignement clandestine Albrecht, ils se retrouvaient dans des chambres d’hôtels où ils discutaient des grandes lignes du projet. » À première vue, ce n’est pas le genre d’activités que l’on s’attend à voir effectuées par le chef d’une super-organisation secrète en personne. Mais comme le contact personnel était la base du fonctionnement de l’opération, Somer soutenait mordicus que sa manière de procéder était la plus productive, même si d’autres agents admettent qu’« avec le recul, on peut bien sûr contester les méthodes ». [8]

Somer entretenait des contacts secrets permanents avec le MI6 et la CIA. Lorsqu’il demanda au ministre des Transports et de l’Énergie et au directeur général des Télécommunications une autorisation spéciale pour utiliser des récepteurs et des transmetteurs radio ainsi qu’une licence pour émettre sur certaines fréquences définies, il insista sur la nécessité de disposer d’une « connexion rapide, secrète et indépendante avec les représentants anglais et américains à l’étranger ». [9] Somer précisa clairement que « les avantages de tels moyens » de communication avaient été invoqués par le Royaume-Uni et les USA, sur quoi les équipements radio furent immédiatement installés à la villa Maarheeze.




Prince Bernhard zur Lippe Biesterfeld (1911-2004). Ex nazi, il fut recyclé par le MI6. Il créa le second réseau stay-behind des Pays-Bas, « O », ainsi que le Groupe de Bilderberg.





Pendant que Somer constituait son réseau G7, une seconde organisation stay-behind indépendante de la première était également bâtie dans le plus grand secret aux Pays-Bas. Dans l’immédiat après-guerre, le renseignement néerlandais, sous l’impulsion du MI6 britannique, avait approché le Prince Bernhard pour lui suggérer la création d’un réseau stay-behind chargé des opérations de sabotage, d’assassinats et de résistance armé en cas d’invasion ennemie. Plutôt favorable à cette proposition, le Prince veilla à ce que Louis Einthoven, le premier directeur du BVD, soit chargé du projet. Avec l’accord du Premier ministre W. Schermerhorn, Einthoven constitua donc une organisation stay-behind au nom de code « O », recruta et forma des agents et aménagea des caches d’armes secrètes. [10]

Né en 1896, Louis Einthoven avait servi comme officier supérieur dans la police de Rotterdam avant 1939 et avait lutté activement contre l’occupant allemand pendant la guerre. Jusqu’à sa mort en 1973, il demeura un farouche soldat de la guerre froide obsédé par la menace communiste. Il instaura des « contrôles de sécurité » destinés à vérifier la fiabilité idéologique des Gladiateurs et des agents de son BVD. Sa position à la tête du service lui fournissait non seulement une couverture idéale pour ses fonctions top secrètes de chef de l’armée clandestine mais aussi et surtout la possibilité, pendant 16 ans, d’utiliser ses Gladiateurs à l’intérieur du pays, sans même attendre une invasion. Einthoven gardait à l’esprit que son armée secrète pouvait être infiltrée par des agents de l’Union soviétique aussi accordait-il beaucoup d’importance au contre-espionnage. « La double fonction d’Einthoven de directeur du BVD et du réseau O était, bien entendu, particulièrement intéressante pour nous », se souvient un ancien Gladiateur néerlandais. [11] En effet, comme la plupart des services secrets internes, le BVD était chargé de surveiller certains éléments de la société néerlandaise susceptibles de représenter une menace pour l’État et le gouvernement, de se renseigner et de surveiller les mouvements politiques notamment à l’extrême droite et à l’extrême gauche. Aujourd’hui encore, on ne dispose d’aucun document sur l’armée secrète d’Einthoven et ce qu’il a accompli demeure totalement obscur.


Louis Einthoven (1896-1979). Chef du second réseau stay-behind.





En 1948, les deux armées secrètes néerlandaises, celle intégrée au BVD et dirigée par Einthoven et celle commandée par Somer depuis la villa Maarheeze, conclurent un accord de coopération avec le MI6. Un pacte similaire fut élaboré en vue d’une collaboration stay-behind clandestine avec la CIA suite à la création de celle-ci, en 1949. Il resterait à déterminer si, à l’image de ce que l’on a pu observer dans les autres pays concernés, ces accords ordonnaient aux armées secrètes des Pays-Bas de combattre le communisme et les partis politiques de gauche sans attendre une invasion soviétique. [12] Cependant, lorsque fut révélée en 1990 l’existence du réseau stay-behind, ces ententes secrètes furent vivement dénoncées dans le pays où l’on se demanda si le MI6 et la CIA avaient contrôlé l’armée secrète locale, une hypothèse intolérable pour la plupart des hommes politiques néerlandais soucieux de leur souveraineté nationale. En 1992, un ancien membre du Gladio des Pays-Bas, qui préféra conserver l’anonymat, soutint qu’en dépit de contacts réguliers avec Londres et Washington, les armées secrètes néerlandaises étaient toujours restées souveraines : « Ni les services secrets britanniques ni leurs homologues américains n’étaient en mesure de localiser un agent de notre réseau stay-behind. Et il devait en être ainsi. Si on avait permis aux Britanniques, par exemple, d’utiliser le réseau, plus personne n’aurait voulu en faire partie. » [13] Un autre ex-agent néerlandais prétendit en 1990 que « La CIA n’avait qu’une vague idée des capacités du réseau stay-behind dans notre pays ». [14] Mais malgré ces affirmations, une rumeur se répandit selon laquelle l’identité top secrete des combattants de l’ombre de tous les pays d’Europe de l’Ouest, et donc des Néerlandais, était connue de la CIA et du MI6.

En 1948, des événements majeurs survenus à l’étranger contraignirent le commandant Somer à renoncer à ses activités stay-behind aux Pays-Bas. L’Indonésie, la plus riche et plus ancienne colonie néerlandaise, avait engagé une lutte sans merci pour l’indépendance, à l’image de nombreuses autres colonies européennes. Sur ordre du général Spoor, le spécialiste des opérations spéciales Somer partit donc pour l’Extrême-Orient et, vers la fin du printemps, il fut nommé directeur du très redouté NEFIS, les services secrets militaires néerlandais en Indonésie. Le NEFIS recourut à des opérations clandestines d’une rare violence, mais ne parvint pas à empêcher l’accession à l’indépendance de l’Indonésie qui survint en 1949. Somer revint aux Pays-Bas où il écrivit un livre sur « son » service, le BI ainsi que ses mémoires de guerre. Publié en 1950 sous le titre Zij sprongen buj nacht [Ils sautaient de nuit], le livre contenait le nom de nombreux agents et faisait le récit de plusieurs opérations clandestines. Le ministère de la Défense néerlandais reprocha par la suite à Somer ses indiscrétions.

« Le gouvernement n’en savait rien », prétendit un ancien Gladiateur insistant de la confidentialité des réseaux stay-behind néerlandais. Il ajouta que « seuls quelques rares secrétaires généraux au sein de l’exécutif étaient dans le secret étant donné que leurs supérieurs aux ministères étaient appelés à changer régulièrement ». [15] Les indices disponibles suggèrent que parmi les responsables informés de l’existence de l’armée secrète ont figuré les Premiers ministres, les ministres de la Défense et les secrétaires généraux jugés dignes de confiance par les commandants stay-behind ainsi que les chefs d’état-major et les directeurs des services de renseignement intérieur et extérieur. « Les politiciens font parfois des choix étranges dans leurs nominations », observa un autre agent stay-behind anonyme. « Mais il est parfaitement logique qu’un haut responsable prenant ses fonctions soit informé de tout. Toutefois, quand il s’agit de questions sensibles, les fonctionnaires font une exception et attendent de voir à qui ils ont affaire. » [16] Le Parlement et ses commissions spéciales étaient maintenus dans l’ignorance. Ni la « Commission permanente pour les services secrets et de sécurité », pourtant tenue au secret, ni la « Commission ministérielle chargée des services secrets et de sécurité » du Parlement néerlandais ne furent informées de l’existence des réseaux stay-behind avant les révélations de 1990. [17]

Après le départ de Somer, c’est le baron J. J. L. van Lynden, un instructeur de cavalerie néerlandaise de 35 ans, qui fut désigné comme nouveau commandant stay-behind. Trouver un successeur à Somer n’avait pas été une mince affaire. La plupart des anciens membres du BI avaient refusé car ils connaissaient trop les complications et les situations embarrassantes entraînées par le fait de devoir mener une double vie. Quand le baron van Lynden remplaça officiellement Somer en tant que chef du réseau G7 le 1er juin 1948, l’événement créa la surprise dans le monde du renseignement. En effet, contrairement à son prédécesseur, van Lynden n’avait aucune expérience en la matière. Son nom avait été proposé par le directeur de l’IDB Fock, lequel commenta 40 ans plus tard : « Je ne suis pas peu fier de cette découverte », en louant le caractère du commandant stay-behind. [18] Le prestige de van Lynden reposait sur son passé de résistant. En 1940, il avait fait partie de la cinquantaine d’officiers supérieurs néerlandais qui avaient refusé de s’engager auprès des Allemands à ne rien entreprendre contre l’occupant, ce qui lui avait valu d’être déporté vers un camp de prisonniers de guerre. À la prison de Stanislau en Pologne, il avait rencontré le héros de guerre britannique Airey Neave avec lequel il était resté en contact même après la fin du conflit. En effet, après 1945, Neave dirigea les SAS qui s’entraînèrent à de nombreuses occasions avec les armées secrètes d’Europe jusqu’à ce qu’il trouve la mort dans un attentat à la voiture piégée perpétré par l’IRA sur le parking du Parlement britannique en mars 1979. Au moment de sa nomination à la tête du réseau stay-behind, le baron van Lynden travaillait pour le Prince Bernhard, l’époux de la Reine Wilhelmine. Les relations qu’il continua d’entretenir avec la Reine et la cavalerie lui offrirent une couverture utile pour sa fonction clandestine de commandant de l’armée secrète des Pays-Bas. En 1951, il fut nommé aide de camp de la Reine à qui il rendait visite plusieurs fois par semaine au Palais de La Haye. Le baron était un cavalier émérite, une passion qu’il partageait avec le Prince Bernhard. À La Haye en 1951, il gagna même un titre de champion d’équitation des Pays-Bas et, quatre ans plus tard, il faisait partie de l’équipe néerlandaise qui remporta le concours international de saut d’obstacles à Rotterdam, un titre dont il fut particulièrement fier.

Bien que l’arrivée de ce nouveau venu ait suscité un certain scepticisme, van Lynden s’intégra rapidement dans le milieu du renseignement. « Il avait un talent naturel pour les questions de sécurité », rappela l’un de ses admirateurs. Ceux qui le connurent dans le cadre de son travail ou en dehors dressent le portrait d’une personnalité forte mais amicale alliant « tempérament, connaissances et expertise ». Au cours de ses années de détention, van Lynden avait « étudié » avec une femme qui devint plus tard professeur de philosophie et avait ainsi développé des conceptions stoïciennes et flegmatiques assez peu répandues dans l’armée et le monde des services secrets. [19] Quand on commença à s’interroger sur les activités menées par le mystérieux groupe G7 à la villa Maarheeze, près des bureaux de l’IDB de Fock, le baron décida le 1er juillet 1949 de changer le nom de son service pour SAZ (Sectie Algemene Zaken), en français Section des affaires générales, une appellation qui lui semblait moins susceptible d’éveiller les soupçons. Van Lynden pensait également qu’au lendemain d’une invasion, il aurait été plus facile aux Soviétiques d’identifier les membres d’anciens réseaux de résistance et services secrets, il mit donc un point d’honneur à recruter de nouveaux visages aux noms jusqu’alors inconnus, remplaçant la plupart des anciens collaborateurs de Somer par de parfaits inconnus.

Durant les années où il occupa ses fonctions, van Lynden insista pour obtenir plus d’argent afin d’acquérir des équipements techniques pour son réseau stay-behind. Les systèmes de communication coûtaient particulièrement cher. Le chef d’état-major Kruls avait déjà réclamé de tels financements en 1946. L’argent fut finalement versé en 1948, après que van Lynden eut remplacé Somer à la tête du SAZ, et de nouvelles technologies purent être développées en collaboration avec le département de recherche de la firme Phillips. En échange de cette coopération, van Lynden veillait à ce que les techniciens de l’entreprise néerlandaise impliqués dans le projet ne soient pas envoyés sur les champs de bataille d’Indonésie. [20] Étonnamment, le baron qui dirigeait le réseau stay-behind SAZ ignorait tout de la deuxième et plus secrète organisation que dirigeait son compatriote Einthoven, le directeur du BVD. Ce sont d’ailleurs les Britanniques qui informèrent van Lynden, au cours d’un voyage que celui-ci effectua à Londres, qu’il existait aux Pays-Bas un second réseau stay-behind parallèle placé sous les ordres d’Einthoven. [21] Très surpris, le baron appela immédiatement à une coordination des deux armées secrètes afin d’éviter d’éventuelles complications. Cette recommandation fut suivie : le SAZ de van Lynden et le réseau stay-behind d’Einthoven fusionnèrent pour former l’armée secrète I&O (Intelligence & Operations , en français Renseignement et Opérations), nom sous lequel fut révélée son existence en 1990. Les deux branches continuèrent toutefois de fonctionner séparément. Le réseau SAZ fut rapidement rebaptisé unité I tandis que celui d’Einthoven devenait l’unité O. D’après certaines sources internes, Einthoven qui suivait son propre plan secret supportait mal de devoir travailler avec le SAZ de van Lynden et aussi longtemps qu’il resta à la tête de l’unité O, il n’y eut qu’une collaboration marginale entre la section Intelligence et la section Operations. [22]

Comme convenu secrètement avec les Britanniques, I&O devait principalement jouer le rôle de stay-behind en cas d’occupation des Pays-Bas. « Le sentiment général, c’était que nous traversions tous [Britanniques et Néerlandais] des temps difficiles et que les Britanniques règleraient le problème grâce à leur expérience en la matière », se souvient un ancien agent néerlandais. [23] Au sein du réseau stay-behind des Pays-Bas, les tâches étaient partagées. L’unité I de van Lynden devait se charger de la collecte et de la transmission de renseignements en provenance des zones occupées, de la préparation et de la gestion des bases d’exil et des opérations d’évacuation de la famille royale, du gouvernement et des agents de l’appareil sécuritaire, y compris le personnel d’I&O. L’unité O d’Einthoven devait quant à elle effectuer des missions de sabotage et de guérilla, renforcer les réseaux de partisans locaux et créer un nouveau mouvement de résistance. Mais elle avait aussi pour mission d’alerter la population en temps de paix sur la menace représentée par les communistes. L’unité O s’entraînait donc à mener des opérations spéciales, utilisant pour ce faire des armes et des explosifs et disposait à ce titre de ses propres caches d’armes. [24] La plupart des coûts engendrés par le réseau stay-behind néerlandais étaient couverts par un budget secret du ministère de la Défense et les dépenses contrôlées personnellement par le président de l’Algemene Rekenkamer (l’équivalent néerlandais de la Cour des comptes) .

Durant le temps qu’il passa en fonction, van Lynden rechercha activement un lieu d’exil où, en cas d’invasion, son SAZ conduirait le gouvernement néerlandais ainsi que d’autres personnalités sélectionnées. L’Angleterre, qui avait été un lieu sûr pendant la seconde guerre mondiale, ne promettait pas d’offrir les mêmes garanties de sécurité dans une guerre future. Lynden poursuivit longtemps ses recherches. Il décida finalement qu’en Europe, seuls le Royaume-Uni et la Péninsule Ibérique présentaient des conditions acceptables. En Amérique, il retint la colonie de Curaçao dans les Antilles Néerlandaises ainsi que les États-Unis et le Canada. Au début des années 1950, il se rendit aux USA à plusieurs reprises. L’endroit ne pouvait se trouver à proximité d’un site stratégique, comme une zone industrielle ou une installation militaire, qui auraient été visées en priorité par les Soviétiques. Si l’on ignore où précisément, on sait toutefois que van Lynden trouva finalement le lieu où installer sa base et que des documents importants de l’exécutif néerlandais furent copiés et pour y être entreposés. Le quartier général du réseau stay-behind des Pays-Bas aux États-Unis avait été établi avec l’accord de la CIA. Un ancien responsable néerlandais rappelle les réticences de l’Agence à ce propos : « On en parlera le moment venu », cite-t-il en se souvenant des premiers contacts. « Mais on a insisté pour en discuter tout de suite. Au bout de quelques mois, la CIA a finalement accepté de nous donner ce que nous demandions », sur quoi fut établi aux USA un centre de commandement du Gladio néerlandais. [25]

Van Lynden établit également un refuge en Espagne où régnait alors le dictateur Franco. « S’il avait accepté, nous aurions construit notre base dans la propre maison de Franco », témoigne un ancien combattant de l’ombre. [26] Le commandant stay-behind van Lynden convainquit son homologue Einthoven de mener cette mission, lequel se rendit en Espagne en 1959, déguisé en touriste, et établit une base avec l’aide des contacts de l’ancien ambassadeur des Pays-Bas à Madrid W. Cnoop Koopmans. Les éléments disponibles à ce sujet sont très fragmentaires, mais il semble que des contacts similaires aient également été établis avec le Canada et la Grande-Bretagne. Les préparatifs en vue d’une évacuation dans le cas d’une invasion du pays étaient pris très au sérieux, des navires et des avions étaient spécialement mobilisés pour cette tâche. « Je me souviens que vers 1950, j’ai dû inspecter pas mal de yachts pour vérifier s’ils étaient en état de naviguer », témoigna un ancien de la Marine néerlandaise et ex-officier stay-behind après les révélations de 1990. [27]






Symbole des relations étroites entretenues avec les Britanniques, parmi les insignes du SAZ figurait la Rose des Tudor à côté de la devise de Somer « Nous n’abandonnerons jamais ». « Nous n’avions aucune intention de livrer la prochaine guerre sous les ordres des Britanniques », souligna cependant un ancien Gladiateur hollandais, fier de son indépendance. « Van Lynden était très fort. Ils n’auraient pas pu l’évincer. Pas plus que ne purent le faire plus tard les Américains quand ils commencèrent à jouer un rôle prépondérant vers la fin des années 1950. Toutefois, van Lynden comprenait qu’un certain consensus était nécessaire entre les parties, et pour lui, c’était le rôle des chefs de décider jusqu’à quel point ils étaient prêts à coopérer tout en défendant leur souveraineté. » [28] Au cours des réunions top secret de l’ACC et du CPC, les organes de coordination et de commandement stay-behind de l’OTAN, le Gladio néerlandais I&O tenta toujours d’apparaître comme une entité faite de deux branches parfaitement coordonnées. Les Néerlandais avaient l’habitude de travailler sous la domination du MI6 et de la CIA. En effet, au lendemain de la guerre, le Royaume-Uni et les USA avaient formalisé leur collaboration avec les Pays-Bas en créant un forum tripartite baptisé TCH, dans lequel chaque pays disposait d’un siège. Parallèlement à la création de ce comité de coordination secret, le CCUO avait été fondé le 17 mars 1948 avec pour fonction de préparer en temps de paix le Royaume-Uni, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et la France à une éventuelle invasion soviétique. En avril 1951, les fonctions du CCUO furent transférées au CPC qui était profondément intégré à l’OTAN, et au sein duquel les services secrets néerlandais disposaient également d’un siège. [29]

Durant le temps qu’il passa à la tête du Gladio néerlandais, van Lynden promut activement les contacts entre les services secrets européens et leurs armées secrètes et insista sur la nécessité d’une coopération dans le cadre de l’établissement de routes internationales d’exfiltration et d’évacuation. Dans cette optique, une fois nommé à la tête de l’armée secrète des Pays-Bas, le baron voyagea inlassablement à travers toute l’Europe pendant de nombreuses années. Sachant ses efforts appréciés des différents services de sécurité, il fut volontaire pour assumer le rôle de premier secrétaire du CPC. Cependant, les Britanniques qui se méfiaient de cet homme aux idées jugées trop libérales firent obstacle à sa nomination. [30] En 1957, la Grande-Bretagne, les USA, la France, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas représentés par van Lynden fondèrent le Six Powers Lines Committee, qui exerçait les mêmes fonctions de coordination que le CPC mais pour les voies de communication et d’évasion internationales. Le Six Powers Lines Committee devint ensuite l’ACC, fondé à Paris en 1958. Ce nouveau comité prit en charge la coordination des exercices Gladio internationaux menés dans la plus grande clandestinité avec les différents réseaux nationaux. Dans l’éventualité d’une invasion, l’ACC disposait d’une base aux États-Unis et d’une autre en Grande-Bretagne à partir desquelles les unités présentes dans les territoires occupés pouvaient être activées et commandées. Des manuels imprimés par l’ACC indiquaient aux soldats stay-behind les procédures communes pour les opérations spéciales, le cryptage, les techniques de saut de fréquences ainsi que les procédures de largage et de parachutage. La présidence de l’ACC était renouvelée tous les deux ans. Par l’intermédiaire du TCH, du CPC et de l’ACC, le réseau Gladio néerlandais I&O était donc en contact permanent avec la CIA et le MI6. [31]

Au cours des années 1950, la CIA et le MI6 menèrent de nombreuses opérations clandestines conjointes dont celle qui provoqua en 1953 la chute du gouvernement iranien de Mossadegh qui avait entrepris de redistribuer à la population une partie des revenus du pétrole. Dans le même temps, les deux services redoutaient que les communistes européens et les services secrets soviétiques n’aient recours aux mêmes procédés en Europe de l’Ouest et accordaient donc une grande importance aux armées secrètes levées sur le Vieux Continent. En 1953, la CIA ordonna à van Lynden d’effectuer certains changements afin de rendre ses unités plus professionnelles. « C’est une série de recommandations imprimées sur d’épais volumes bleus » qui furent remis au baron, se souvient un ex-agent. « Van Lynden a étudié les documents avec soin. Ils contenaient des informations sur les stratégies de prise du pouvoir mises en œuvre par les Soviétiques en Europe de l’Est. Les exemples montraient quel genre de personnes intéressait particulièrement les Soviétiques. Ces individus ne pouvaient évidemment pas être recrutés comme agents secrets. Sur cette base, van Lynden se sépara donc d’un certain nombre d’agents qui avaient été recrutés par Somer » [32]

Mais van Lynden n’eut pas seulement à faire face aux pressions de la CIA, d’autres émanèrent également des services de sécurité néerlandais. En février 1951, le général Kruls, qui en tant que supérieur de Somer et de van Lynden avait grandement contribué à la mise en place du Gladio des Pays-Bas, fut remercié suite à une série de différends l’ayant opposé au ministre de la Défense H. L. Jakob et portant sur l’action future et l’organisation de l’armée néerlandaise. À la surprise et au mécontentement de bon nombre de militaires, c’est le général BRPF Hasselman qui lui succéda au poste de chef de l’état-major de l’armée néerlandaise. Van Lynden en voulait personnellement à Hasselman. Avant même la seconde guerre mondiale, celui-ci était connu pour ses opinions pro-allemandes. Après 1945, des rumeurs s’étaient répandues selon lesquelles il aurait trahi son propre état-major avant l’invasion de 1940. Suite à la capitulation des Pays-Bas, Hasselman avait collaboré avec les nazis et enjoint d’autres officiers, dont van Lynden, d’en faire autant. Mais le baron avait toujours refusé. Dans le cadre d’une rude opération de consolidation de l’occupation allemande, un grand nombre d’officiers de l’armée néerlandaise furent déportés vers des camps de prisonniers. C’est au camp de Stanislau que van Lynden rencontra Hasselman. Celui-ci accepta une nouvelle fois de coopérer avec les Allemands, ce qui lui valut d’occuper une position dominante parmi les prisonniers. Au lendemain de la guerre, Hasselman fut dégradé et exclu de l’armée pour collaboration avec l’ennemi. Cependant il fit appel de cette décision et parvint même, à la surprise générale, à progresser au sein de la hiérarchie militaire, ce qui eut pour effet de jeter un certain discrédit sur le ministère de la Défense néerlandais.



Benjamin Richard Pieter Frans Hasselman (1898-1984). Il fut chef d’état-major des armées et président du Comité militaire de l’OTAN.





En apprenant la nomination de Hasselman en 1951, la cavalerie néerlandaise, à laquelle appartenait van Lynden, décida qu’aucun de ses éléments n’accepterait de serrer la main du général compromis, bien que celui-ci fût de fait leur supérieur. En sa qualité de chef de section, van Lynden avait affaire à son nouveau commandant dans le cadre de réunions protocolaires. Il en était tellement embarrassé qu’il songea même à démissionner. Il résolut finalement de se rendre à ces réunions, mais Hasselman eut l’intelligence de ne pas lui tendre la main. [33] Au cours des années qui suivirent, celui-ci fit à plusieurs reprises obstacle à la promotion de van Lynden. Des conflits internes s’en suivirent et Fock dut intervenir en tant que secrétaire général au ministère des Affaires générales. « J’ai alors parlé à Hasselman sur un ton assez direct et abrupt », raconta-t-il des années plus tard, suite à cela les deux hommes prirent leurs distances. [34] En dépit des luttes intestines qui se livraient au ministère de la Défense, van Lynden demeurait concentré sur sa mission. « J’ai toujours en mémoire l’invasion de la Hongrie en 1956 », témoigna un ex-agent de l’armée secrète des Pays-Bas à propos l’une des plus célèbres opérations menées par les forces soviétiques. « Ce jour-là, van Lynden est entré dans le bureau où régnait une atmosphère confuse et fébrile. Il a dit d’un ton calme : “Cela fait maintenant des années que nous nous efforçons de bâtir ça. Pourquoi donc êtes-vous tous si nerveux ?” En fait, je pense que nous aurions pu être opérationnels dès 1956. » [35]

Mais van Lynden ne fit pas toujours preuve d’une telle maîtrise. Lorsque l’on apprit en 1961 que l’agent britannique George Blake travaillait en réalité pour le compte des Soviétiques depuis le début des années 1950, la nouvelle ne sema pas uniquement l’effroi à Londres, elle provoqua également la panique dans les rangs de l’armée secrète néerlandaise. « Van Lynden fut terrifié de l’apprendre », se souvient un ancien soldat stay-behind. En effet, peu après la fin de la seconde guerre mondiale, Blake avait passé plusieurs mois à La Haye à participer à des opérations spéciales, dans le cadre de la coopération renforcée établie entre services britanniques et néerlandais. Durant cette période, Blake avait eu ses entrées à la villa Maarheeze de Wassenaar, le quartier général des services secrets intérieurs et de la branche « I » du réseau stay-behind néerlandais. Van Borssum Buisman, qui fut plus tard nommé à la tête du Gladio des Pays-Bas, s’était entretenu avec l’espion. « Blake connaissait l’emplacement des installations et l’identité des membres » de l’armée secrète néerlandaise, témoigna un ex-agent sous couvert de l’anonymat. Depuis son exil moscovite, Blake démentit personnellement ces allégations au cours d’une conversation qu’il eut en 1992 avec d’anciens membres du SAZ : « Je n’ai jamais été informé de ces activités [stay-behind]. Et les Soviétiques ne m’ont jamais posé de questions à ce sujet. Aussi n’ont-ils [les Gladiateurs néerlandais] aucune raison de s’inquiéter. Le nom de van Borssum Buisman ne me dit absolument rien. » [36]

Après avoir commandé le SAZ ou branche « I » de l’organisation I&O pendant 14 ans, van Lynden donna sa démission en mars 1962. À la demande de la Reine, il fut à nouveau affecté au Palais Royal. Le baron mourut en 1989 à l’âge de 76 ans. Au plus fort de la crise des missiles à Cuba en 1962, le commandement du réseau stay-behind néerlandais I&O fut restructuré et chacune des branches reçut un nouveau directeur. Après 14 ans à la tête de la branche « O », Louis Einthoven, alors âgé de 66 ans, quitta le BVD et prit sa retraite. Il mourut 12 ans plus tard. Le général de division De Boer lui succéda en avril 1962. Ce dernier reçut spécifiquement du chef d’état-major van den Wall Bake la mission d’harmoniser les relations entre I et O qui s’étaient quelque peu détériorées sous la direction d’Einthoven. Deux ans plus tard, une commission nommée par le ministère de la Défense et présidée par le docteur Marius Ruppert fut chargée de découvrir si De Boer avait réussi sa mission. Aux côtés de Ruppert siégeaient Fock et l’amiral Propper.

Le parlementaire et conseiller de la couronne Ruppert présenta son rapport sur l’état de la collaboration entre les deux armées secrètes en 1965. Ses découvertes étaient édifiantes. Compte tenu de la piètre coopération existant entre les deux branches du réseau stay-behind néerlandais, Ruppert suggérait que soit créé un poste de « Coordinateur d’I&O » et proposait de tenir ce rôle Il recommandait par ailleurs de remplacer De Boer à la tête de la section O et proposait une nouvelle fois d’assumer cette fonction. Sur ordre du Premier ministre J. Zijlstra, Ruppert fut donc nommé à la tête de la branche « O » du réseau stay-behind néerlandais, poste qu’il occupa jusqu’en 1975. [37] Lorsqu’il s’expliqua suite aux révélations de 1990, Fock reconnut avoir fait partie de cette commission secrète mais prétendit ne pas se souvenir des sujets abordés à l’époque. Il se rappelait uniquement de rencontres régulières à la villa de Ruppert dans le village de Zeist.

Les manoeuvres de Ruppert provoquèrent un véritable séisme au sein du SAZ, la branche I du réseau stay-behind. Profitant de sa double fonction de commandant de la branche O et de coordinateur d’I&O, Ruppert favorisa ses propres services au détriment de la section I, ce qui fit naître un profond ressentiment entre les deux pôles de l’organisation. Ruppert veilla à ce que la branche « O » ait un rôle dominant au sein de l’ACC et du CPC, les deux comités de commandement stay-behind de l’OTAN. La collaboration entre les deux sections du Gladio néerlandais laissa donc à désirer pendant plusieurs années. Les tensions ne s’apaisèrent que lorsqu’un nouveau coordinateur fut nommé à la place de Ruppert. Dès lors cette position fut généralement occupée par d’anciens officiers de marine auxquels une retraite à 55 ans laissait du temps pour une deuxième carrière plus officieuse. En 1975, phénomène assez rare dans l’histoire des réseaux stay-behind, c’est le socialiste Th. J. A. M. van Lier qui succéda à Ruppert à la tête de la section O. Au lendemain de la guerre, van Lier siégea comme député travailliste avant de commander le service secret illégal Albrecht, fonction qui lui valut d’être arrêté par la suite. On estime que sous la direction de van Lier, le budget annuel d’I&O s’élevait à environ 3 millions de florins. Mais les services se développèrent rapidement tandis que s’intensifiait la coopération entre les deux sections. On ignore qui assuma le commandement du Gladio néerlandais entre les années 1980 et 1990 ; en effet, le secret n’a toujours pas été levé sur l’identité des commandants étant donné que ces hommes sont probablement toujours en vie et exercent encore des responsabilités.

À l’instar de la section O, la section I subit elle aussi de profondes modifications en 1962. Succédant à Somer et van Lynden, van Borssum Buisman prit ses fonctions à la tête du service en mars 1962. Avec sa moustache et ses cheveux blonds, le grand officier de cavalerie incarnait pour beaucoup le Hollandais typique. Pendant la seconde guerre mondiale, il avait été officier de liaison entre les services secrets néerlandais BI (Bureau Inlichtigen) et l’organisation de résistance OD (Ordedienst) dirigée par P. J. Six. Au cours d’une mission en février 1944, il fut capturé par l’ennemi et incarcéré successivement dans plusieurs prisons allemandes. Il endura plusieurs fois la torture sans jamais révéler l’identité des membres de la résistance néerlandaise. Condamné à mort par les nazis, il parvint à sauter du train en marche qui le conduisait en Allemagne. Blessé, il regagna son pays et rétablit le contact avec Six, ce qui lui valut d’être considéré par certains Allemands comme le meilleur agent secret des Pays-Bas.



Garrelt van Borssum Buisman (1915-1991). Il commanda le Gladio néerlandais de 1962 à 1970.





Après l’armistice, van Borssum Buisman ne renonça pas pour autant aux activités clandestines. Il fut affecté à Ceylan pendant quelques temps, où il attendit en vain avec son unité d’élite d’être déployé en Indonésie. De retour aux Pays-Bas, le premier commandant de la section I, Somer, le recruta au sein du réseau stay-behind. Sous la direction de van Lynden, Buisman occupa le poste de commandant en second du SAZ. Parmi ses principales fonctions figurait l’élaboration de routes d’évasion entre les Pays-Bas et l’Espagne franquiste via la Belgique et la France. Le long de ces itinéraires, il recrutait et formait des agents, souvent des Néerlandais vivant en France ou des Français ayant séjourné aux Pays-Bas. Il assuma le commandement de la section I jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite en mai 1970. Il mourut en février 1990 à l’âge de 77 ans. Suite à la découverte l’existence des armées secrètes en 1990, il fut révélé que le successeur de Buisman avait été un certain J. W. A. Bruins qui dirigea le service de mai 1970 à décembre 1981. Les noms des derniers commandants d’I&O, qui sont vraisemblablement toujours en vie, ne furent pas divulgués. [38]

Durant les exercices, les agents devaient s’appeler par leur nom de code. « L’entraînement devait se dérouler uniquement sur notre temps libre », expliqua un ex-membre de l’armée secrète. « Avec notre instructeur, nous élaborions un programme spécifique. Il fallait se rendre sur différents sites de formation, ce n’était pas le genre de séances qu’on improvise comme ça dans le grenier. L’entraînement ne pouvait avoir lieu à intervalles réguliers, ça aurait risqué d’éveiller les soupçons. » [39] La motivation des troupes posait parfois quelques difficultés : « Le problème c’est qu’il fallait se préparer en vue de quelque chose qui arriverait au plus tôt dans une dizaine d’années », se souvint un ancien Gladiateur. « La motivation devait donc être préservée comme une sorte de foi. Surtout dans les périodes de détente et de coexistence pacifique, là c’était particulièrement difficile. L’autre camp [les communistes] menait lui aussi une guerre psychologique. Il fallait donc entretenir la vigilance des instructeurs par une information factuelle [sur les dangers du communisme], qu’ils transmettaient ensuite à leurs agents sur le terrain. » [40]

Des deux branches composant le réseau stay-behind I&O, la mystérieuse section O était la plus confidentielle et, aujourd’hui encore, on ne dispose que de peu d’informations sur elle. « La différence entre I et O c’est que O ne devait avoir aucune “existence”, c’était une toute autre affaire », expliqua un ancien responsable suite aux révélations de 1990 sur le Gladio. [41] Au cours des entraînements de l’armée secrète néerlandaise, les agents de la section O manifestaient un certain sentiment de supériorité vis-à-vis de leurs collègues de la section I avec qui ils se refusaient à fraterniser lors des soirées qui suivaient les séances de travail. « Ils se considéraient souvent comme la crème de la crème, ceux à qui l’on confierait le boulot sérieux en cas d’occupation. » [42] Afin de dissimuler autant que possible l’existence de la section O, tous les contacts avec des représentants de l’État néerlandais étaient pris par l’intermédiaire d’agents de la section I, ce qui ne réjouissait pas particulièrement ces derniers. La branche O était en partie financée par des fonds privés, notamment par des firmes multinationales et par la CIA. Cependant elle recevait aussi des fonds publics qui figuraient au budget de la cellule I. Les très rares officiels du ministère de la Défense qui avaient connaissance de la section I et de son budget estimaient à tort, et au grand dam de van Lynden, que cette armée secrète était plutôt onéreuse. « Ça [O] ressemblait un peu à un monastère du Moyen-Âge », commente un ancien agent de la section I. « Ils n’étaient pas autorisés à se fréquenter et tout le monde restait sagement assis dans sa cellule. » [43]

Si O avait besoin d’une presse, d’explosifs ou de tout autre équipement, c’était par l’intermédiaire de I qu’elle se les procurait. Dans ces cas-là, celle-ci était informée de l’endroit où avait été livré le matériel qui arrivait généralement en provenance d’Angleterre. Un camion militaire transportait alors le matériel jusqu’à un endroit convenu où les agents de la section O en prenaient possession. En cas de problème, les services secrets officiels néerlandais devaient porter le chapeau étant donné que ni l’existence de I et ni celle de O ne pouvaient être publiquement reconnues. Au cours des années 1980, plusieurs des caches d’armes du réseau stay-behind furent découvertes accidentellement à travers les Pays-Bas. En 1983, le ministre de la Défense J. de Rujiter dut s’expliquer devant des caméras de télévision suite à la mise au jour d’un mystérieux dépôt à Rozendaal. Il demanda aux journalistes du temps afin de pouvoir mener une enquête interne et fut informé en détail par ses services. C’est le service de renseignement intérieur BVD qui assuma publiquement la responsabilité. Par conséquent, tout le monde au BVD chercha à savoir quels collègues disposaient de telles caches d’armes, la version réservée aux employés du service fut donc que les vrais responsables étaient une unité secrète baptisée I. Il s’agissait bien sûr d’un mensonge de plus car en réalité tout cet armement appartenait à l’unité d’action clandestine et de sabotage O.

« Alors que I était un service indépendant politiquement, O était connue pour être plus orientée idéologiquement », témoigna un ancien agent néerlandais, laissant entendre que la section O était un groupe anticommuniste armé à l’image du SDRA 8 de la Belgique voisine. Cela ne signifie pas pour autant que O était un groupe menant des actions anticommunistes illégales, tint à préciser l’un de ses anciens membres : « Nous fondions notre combat sur la défense des valeurs inscrites dans la Constitution ». [44] Le spécialiste néerlandais des opérations stay-behind Paul Koedijk découvrit que les unités O s’étaient spécialisées en temps de paix dans ce qu’ils appelaient des opérations d’“immunisation” de citoyens néerlandais. « Contre quoi les citoyens devaient être immunisés était tout à fait clair : le communisme sous toutes ses formes. » Dans le cadre de son combat idéologique la section O se livrait à de la propagande calomnieuse et inventait de toutes pièces des histoires destinées à discréditer les communistes, elle possédait donc son propre réseau d’imprimeries. « L’opinion partagée par les membres de la section O était qu’une occupation soviétique serait pire à bien des égards que celle imposée par les nazis », rappelle un ex-agent. « Et ce, pour la bonne raison que même les quelques rares valeurs que respectaient encore les Allemands, comme par exemple la famille et la religion, auraient été menacées sous une occupation soviétique. Nous nous attendions à des changements radicaux. » [45]

Quand à la fin de l’année 1990, le Premier ministre italien Giulio Andreotti révéla l’existence à travers toute l’Europe de l’Ouest d’armées secrètes anticommunistes, le scandale n’épargna pas les Pays-Bas. Un ancien membre du Gladio néerlandais plaisanta : « Nous aussi sommes surpris d’avoir pu travailler aussi longtemps sans être dérangés ». [46] Dans une lettre adressée au Parlement le 13 novembre 1990, le Premier ministre démocrate-chrétien Ruud Lubbers en poste depuis 1982 confirmait que les Pays-Bas disposaient effectivement d’une armée secrète, un « groupe composé de civils et de militaires », et que cette armée était toujours active. Lubbers prétendait que « cette organisation n’avait jamais été placée sous le contrôle de l’OTAN » et en évoquant la fonction classique des réseaux stay-behind, il précisait que « les contacts avec d’autres pays membres de l’OTAN, dont certains avaient mis en place des structures semblables, se limitaient, en ce qui concerne les Néerlandais, à étudier comment les objectifs fixés pourraient être atteints ». [47] Des parlementaires de la majorité et de l’opposition convinrent que cette lettre ne constituait pas une explication valable. Certains d’entre eux se souvenaient de la découverte dans les années 1980 de mystérieuses caches d’armes contenant des grenades, des fusils semi-automatiques, des armes automatiques, des munitions et des explosifs et demandèrent un complément d’information sur d’éventuels liens avec l’armée secrète. D’autres parlementaires reprochèrent au gouvernement de n’avoir pas informé la Commission parlementaire sur le Renseignement et la Sécurité pourtant tenue au secret, de l’existence d’une telle organisation.


Relus ter Beek (1944-2008). Ministre travailliste de la Défense, il organisa la dissolution officielle du Gladio.





Peu de temps après, Lubbers et son ministre de la Défense Relus Ter Beek briefèrent donc pour la première fois la Commission sur le réseau stay-behind I&O et, quelques heures plus tard, le Premier ministre se présenta devant le Parlement. Il confirma que les arsenaux clandestins découverts dans les années 1980 appartenaient bien à l’armée secrète. Il souligna que l’organisation stay-behind néerlandaise était responsable devant le Premier ministre, par conséquent lui-même, et devant le ministre de la Défense, Ter Beek. « Les Premiers ministres et ministres de la Défense successifs ont toujours préféré ne pas mettre les autres ministres ou le Parlement dans la confidence. » [48] Le Premier ministre s’enorgueillit du fait que près d’une trentaine de ministres avaient su protéger le secret, tandis que certains membres du Parlement y voyaient surtout une violation de la Constitution des Pays-Bas. De nombreux députés ne rejetaient pas le principe de préparatifs stay-behind en cas d’urgence, mais ils ne pouvaient accepter d’avoir été ainsi abusés. Le travailliste Maaseik van Draa déclara au nom de son groupe : « Il nous faut plus d’éclaircissements sur le type de structures dont il s’agit et dans quelle mesure elles ont collaboré ou collaborent toujours avec l’OTAN ». Ton Frinking de la majorité démocrate-chrétienne demanda lui aussi plus d’informations sur les liens entretenus par le réseau Gladio avec l’OTAN. Il précisa avoir entendu récemment les Belges reconnaître publiquement qu’ils avaient présidé la dernière conférence secrète stay-behind. « La question est : que signifie concrètement cette présidence belge ? », interrogea Frinking.

Lubbers dut admettre que l’armée secrète des Pays-Bas était toujours membre de ce comité clandestin de l’OTAN chargé de la coordination des réseaux stay-behind d’Europe occidentale. Hans Dijkstal de l’opposition libérale déclara : « Ce qui m’inquiète ce n’est pas tant qu’une telle chose ait existé ou existe encore aujourd’hui. Le vrai problème c’est que le Parlement n’en ait rien su avant hier soir. » [49] Quand certains parlementaires voulurent connaître la liste des membres de l’armée secrète, Lubbers leur répondit qu’il l’ignorait personnellement. Certains virent dans cette réponse une contradiction à ses précédentes déclarations dans lesquelles il venait de confirmer sa responsabilité et celle du ministre de la Défense dans la supervision des armées secrètes. Mais Lubbers souligna que la nécessité du secret était telle qu’il serait « extrêmement dangereux si le Premier ministre (...) devait enquêter sur chacun d’entre eux personnellement ». [50] Face aux questions insistantes des parlementaires, Lubbers fut forcé de reconnaître que des membres de l’armée secrète néerlandaise avaient récemment pris part à un entraînement en Sardaigne, au quartier général du Gladio italien. [51]




I&O, le stay behind néerlandais a officiellement été dissout en 1992. Pourtant, ce document du Ministère des Affaires générale atteste le financement de la branche O durant la période 1992-2002 via la Fondation Quia Opportet (en latin « Au cas où »).




Il n’y eut ni enquête parlementaire ni rapport public et ce n’est qu’en avril 1992 que l’armée secrète néerlandaise I&O fut finalement démantelée. Le ministre de la Défense Relus Ter Beek adressa un courrier aux soldats de l’ombre dans lequel il les remerciait des services rendus à leur pays. [52] Mais les fantômes du passé resurgirent en 1993 quand un tribunal de La Haye condamna un homme de 38 ans à 3 ans de prison. À ses côtés comparaissait un major de l’armée néerlandaise âgé de 44 ans qui fut lui aussi reconnu coupable d’avoir fait chanter Nutricia, un fabricant d’aliments pour bébés au printemps 1993 pour un montant de 5 millions de florins. Les avocats de la défense soulignèrent que les prévenus étaient membres de l’organisation stay-behind mise en place par les services secrets aux Pays-Bas et dans d’autres pays européens. Le major prétendit pour sa défense que, dans le passé, les agents stay-behind arrêtés par la police étaient protégés par un accord conclu entre les instances judiciaires et la Défense selon lequel ceux-ci étaient protégés de toute poursuite judiciaire. Il affirma que de nombreuses missions du Gladio avaient échoué par le passé sans qu’aucune charge ne soit finalement retenue contre les individus impliqués, signifiant ainsi que les Gladiateurs néerlandais avaient pu agir hors de tout contrôle et cadre légal. L’officier ne précisa toutefois pas de quel type de missions il s’agissait. [53]






Le Gladio est mort, Vive le Gladio !

Dans ce mémo de la Direction des Opérations de l’Armée néerlandaise, datée d’avril 1998, il est indiqué que vu la probabilité d’un « conflit à grande échelle », des dispositions ont été prises pour faire fonctionner le stay-behind, I&O.

Au moment où ce document a été rédigé, l’URSS n’existait plus depuis 7 ans et le Gladio était officiellement dissous depuis 6 ans.






Daniele Ganser




Notes :

[1] Paul Koedijk, « De Geheimste Dienst. Gladio in Nederland. De geschiedenis van een halve eeuw komplot tegen de vijand » dans Vrij Nederland, 25 janvier 1992, p.9. Les informations disponibles sur le stay-behind néerlandais proviennent presque exclusivement de deux articles écrits par Paul Koedijk pour l’Institut de documentation militaire d’Amsterdam. Grâce à des entretiens avec d’anciens membres du réseau et à l’étude de documents d’archives, Koedijk est parvenu à retracer une partie de l’histoire de l’armée secrète I&O, même si la très secrète branche O requiert des recherches supplémentaires.


[2] Le contre-espionnage allemand. Ndt


[3] Koedijk, « Geheimste Dienst », p.9.


[4] Frans Kluiters, De Nederlandse inlichtingen en veiligheidsdiensten (Sdu, La Haye, 1993), p.304.


[5] Koedijk, « Geheimste Dienst », p.9.


[6] Officiellement, le BVD fut créé en août 1949 par décret royal. Durant les quatre premières années de l’après-guerre, il y eut une profonde refonte des structures du renseignement intérieur. Le BNV (Bureau Nationale Veiligheid) fut d’abord créé en 1945 avec pour principale mission de démasquer les agents allemands restés postés infiltrés après la reconquête alliée. Le BNV fut ensuite restructuré au printemps 1946, opérant un bref moment sous le nom de CVD (Central Veiligheidsdienst) avant d’être remplacé par un nouveau service de renseignement intérieur, le BVD.


[7] Pendant la majeure partie de son histoire, l’IDB travailla dans l’ombre et n’attira que très rarement l’attention du public, des parlementaires, des chercheurs et des médias. Cette situation changea brusquement quand, suite à l’échec d’une mission d’espionnage dans les années 1960, deux « touristes » néerlandais, Evert Reydon et Louw de Jager, furent arrêtés et emprisonnés en URSS. Quelques années plus tard, une série de scandales impliquant le renseignement intérieur suscita un tel mécontentement parmi la population que le Premier ministre Lubbers décida finalement de fermer le service. Pour plus d’informations sur l’IDB, voir Cees Wiebes et Bob de Graaf, Villa Maarheeze. The Netherlands Foreign Intelligence Service (Dutch Government Printing Office, La Haye, 1992). Wiebes et Graaf ont fait face à de nombreuses difficultés lors de leurs recherches. Des responsables du renseignement, actuels et anciens, ont reçu la consigne claire de ne pas parler aux auteurs. Wiebes et Graaf ont dû aller plusieurs fois en justice, en invoquant la loi néerlandaise sur la liberté d’information pour vaincre les résistances du gouvernement des Pays-Bas, afin d’obtenir l’accès à certains documents et la publication de leur ouvrage. Après plus de 150 entretiens avec des agents des services secrets, ils ont écrit ce qui est probablement la plus complète histoire de l’IDB. Wiebes et Graaf sont également entrés en possession de documents datant des premiers temps du Gladio néerlandais et ont publié sur le sujet aux Pays-Bas. Voir Bob de Graaff et Cees Wiebes, Gladio der vrije jongens : een particuliere geheime dienst in Koude Oorlogstijd (Sdu, La Haye, 1992).


[8] Koedijk, « Geheimste Dienst », p.10.


[9] Paul Koedijk, « Dossier Gladio. Nederland was voorbereid op een nieuwe oorlog » dans Vrij Nederland, du 11 juillet 1992, p.34.


[10] Kluiters, Nederlandse, p.306.


[11] Koedijk, « Geheimste Dienst », p.13.


[12] Kluiters, Nederlandse, p.310.


[13] Koedijk, « Dossier Gladio », p.36.


[14] Ibid.


[15] Ibid.


[16] Ibid.


[17] Kluiters, Nederlandse, p.314.


[18] Koedijk, « Geheimste Dienst », p.10.


[19] Ibid., p.11.


[20] Koedijk, « Dossier Gladio », p.34.


[21] Kluiters, Nederlandse, p.306.


[22] Ibid.


[23] Koedijk, « Geheimste Dienst », p.12.


[24] Kluiters, Nederlandse, p.308.


[25] Koedijk, « Dossier Gladio », p.35.


[26] Ibid.


[27] Koedijk, « Geheimste Dienst », p.11.


[28] Ibid., p.12.


[29] Kluiters, Nederlandse, p.311.


[30] Koedijk, « Geheimste Dienst », p.12.


[31] Kluiters, Nederlandse, p.311.


[32] Koedijk, « Geheimste Dienst », p.12.


[33] Ibid., p.11


[34] Ibid.


[35] Ibid., p.12


[36] Ibid., p.13


[37] Kluiters, Nederlandse, p.308.


[38] Koedijk, « Dossier Gladio », p.34.


[39] Ibid.


[40] Ibid.


[41] Ibid.


[42] Koedijk, « Dossier Gladio », p.37.


[43] Koedijk, « Geheimste Dienst », p.13.


[44] Tous deux citent Koedijk, « Dossier Gladio », p.36.


[45] Ibid.


[46] Koedijk, « Geheimste Dienst », p.8.


[47] Agence de presse Associated Press, 14 novembre 1990. L’intégralité de la lettre de Lubbers fut publié dans le quotidien néerlandais NRC Handelsblatt du novembre 1990 : « Brief premier Lubbers “geheime organisatie” ». Elle est aussi archivée dans la documentation officielle du Parlement néerlandais sous le matricule Kamerstuk N°21895.


[48] Agence de presse internationale Associated Press, 14 novembre 1990.


[49] Ibid.


[50] Ibid., 21 novembre 1990.


[51] Quotidien britannique The Guardian du 5 décembre 1990.


[52] Magazine politique britannique Statewatch, septembre/octobre 1993 reprenant le quotidien néerlandais Dagblad du 7 septembre 1993.


[53] Agence de presse internationale Reuters, 14 décembre 1993, reprenant le quotidien néerlandais NCR Handelsblad.