À mots couverts, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) espère que le résultat des perquisitions réalisées par la CIA dans l’antre d’Oussama ben Laden et le partage d’information pourront relancer certaines enquêtes ou mener à l’identification de Canadiens liée à la mouvance d’Al-Qaïda. Mais jusqu’à présent, selon ce que La Presse a appris de bonne source aux États-Unis, ses espoirs semblent déçus.
Le raid réalisé par un commando des Navy SEALs américains, sous la supervision de la CIA, a permis de récupérer le journal de bord de ben Laden, des disques durs et une centaine de clés USB utilisées par ses messagers pour communiquer avec des sections du réseau dans le monde. Les analystes de la CIA, assistés d’interprètes, ont devant eux plusieurs mois de travail dans un entrepôt secret de la CIA. Une mine d’or que le conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche, Tom Donilon, a qualifiée de « petite bibliothèque universitaire » et qui fait saliver d’envie tous les spécialistes de la lutte contre le terrorisme.
Mais selon nos sources, les messages d’Oussama ben Laden analysés jusqu’ici ne sont pas très détaillés. On évoque un contenu plutôt stratégique, des directives générales, une « vision à 10 000 pieds de haut sans détails tactiques précis », sans noms d’agents dormants cachés en Occident ni projet très avancé d’attentat à court terme.
Un vieil homme fatigué
Selon ce que l’on peut lire, Oussama ben Laden, que l’on a vu en vieil homme fatigué, drapé dans une couverture devant sa télévision, avait un rôle opérationnel, mais en même temps ne semblait pas savoir dans le détail ce qui se passait sur le terrain. Il tentait de guider les sections d’Al-Qaïda au Yémen ou au Maghreb, par exemple.
Mais tout n’est pas perdu, car le dépouillement ne fait que commencer. Les Occidentaux devraient au moins en savoir plus, grâce à cette saisie, sur le fonctionnement d’Al-Qaïda et sur sa stratégie globale. On a déjà évoqué un projet d’attentats contre des trains aux États-Unis pour le 10e anniversaire des attaques de septembre 2001. Mais était-il si avancé ?
Collaboration internationale
En tant que membre des « Five Eyes » (avec les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande), le Canada recevra automatiquement sa part d’information. La procédure habituelle prévoit que cela se fait par le truchement du « chef de station » de la CIA, « l’espion en chef », qui a son bureau à l’ambassade américaine à Ottawa. À une échelle plus locale, il y a aussi, par exemple, depuis les attentats de 2001, échange entre l’unité de renseignement de la police de New York et certaines provinces canadiennes, dont le Québec.
Le SCRS refuse de confirmer pour des raisons « liées à la sécurité » qu’il collabore régulièrement avec la CIA, dans le domaine du terrorisme, mais aussi de l’espionnage.
Michel Juneau-Katsuya, ex-membre du SCRS, dit qu’il y a toujours eu partage régulier d’information entre ces deux services. « Il y aura aussi des séances d’information très poussées au siège de la CIA concernant le dossier ben Laden », dit-il. En revanche, il croit que les autorités américaines n’ont pas intérêt à confirmer officiellement que les disques durs de ben Laden contiennent des noms d’agents dormants, par exemple. « Sinon, ceux-ci vont disparaître dans la nature. »
Évolution du terrorisme
Même si ce sont désormais les radicaux solitaires inconnus des services (les lone wolfs) qui causent le plus d’inquiétude, le SCRS ne cache pas que l’échange de renseignements avec des partenaires étrangers est « essentiel » pour qu’il puisse assurer son mandat. « C’est-à-dire recueillir de l’information sur la menace visant le Canada et ses intérêts », précise Isabelle Scott, la porte-parole du SCRS. La mort de ben Laden, ajoute-t-elle, ne signifie pas la mort du phénomène. « Et comme la menace terroriste continue d’évoluer, le SCRS doit maintenir son avance », dit-elle.
Elle rappelle que la lutte contre le terrorisme « nécessite un effort concerté » et confidentiel. « Mais les services étrangers s’attendent à ce que l’information qu’ils nous communiquent soit tenue confidentielle. De la même façon, le SCRS s’attend à ce que l’information qu’il communique aux services étrangers ne soit pas divulguée. »
La GRC, qui a la responsabilité des Équipes intégrées de la Sécurité nationale, structure multipartite chargée de la lutte contre le terrorisme, n’a pas souhaité répondre aux questions de La Presse.
Fabrice de Pierrebourg