l'affaire Flükiger est une affaire criminelle de la fin des années 1970 qui s'est déroulée sur les territoires de la Suisse et de la France. Elle concerne principalement la disparition et la mort de Rudolf Flükiger, un suisse âgé de 19 ans : il disparaît en Suisse, en 1977, lors d'un exercice et est retrouvé mort, un peu moins d'un mois plus tard, de l'autre côté de la frontière française.
D'autres personnes disparaissent à leur tour dans le cadre de l'enquête : la justice et la presse française de l'époque établissent des liens entre cette série de disparitions et l'affaire Schleyer, un enlèvement et assassinat politiques revendiqués par le groupe terroriste allemand Fraction armée rouge plus connu sous le nom de « Bande à Bader ».
Rudolf Flükiger (1956 - 1977) est un élève-officier suisse. Il disparaît dans la nuit du 16 au 17 septembre 1977 lors d’une course de patrouilles dans les environs des casernes de Bure, district de Porrentruy, canton de Jura, Suisse. Son corps est retrouvé le 13 octobre dans une forêt à l'ouest de Grandvillars, Franche-Comté, France, dans des circonstances non élucidées. Son corps est découvert sans pistolet, seule une moitié de sa plaque d’identité est sur son cadavre(elle ne peut s’être «cassée» toute seule). Le corps se trouve au bord d’un cratère provoqué par l’explosion d’une grenade à main 43 d'exercice.
Le 28 décembre 1977, vaste opération de police pour contrôler les fermes et les granges à la frontière de l’Ajoie et du Clos du-Doubs.
Le 12 janvier 1978, dans la nuit du 12 au 13, une Grenade à main 43 explose dans un
bureau de la Cour suprême du Canton de Berne.
Le 2 mars 1978, Le caporal Heusler est abattu de deux coups de pistolet près de la décharge de Porrentruy à L’Oiselier. Deux lettres anonymes adressées au poste de police de Porrentruy réclament la libération de Gabriele Kröcher-Tiedemann et de Christian Möller.
Peu avant sa mort, le caporal Heusler avait confié à sa femme être «sur une grosse affaire». Avait-il appris quelque chose sur l’affaire Flükiger? Il était notamment allé rendre visite aux parents du jeune aspirant décédé dans la campagne bernoise…
Selon les dires de son fils, il est possible que le caporal Heusler ait disposé d'informations sur les circonstances de la mort de Rudolf Flükiger
Officiellement, Rodolphe Heusler a été assassiné par son collègue, l’appointé André Rychen, condamné à vingt ans de prison en 1980. Après avoir avoué le crime en donnant plusieurs versions contradictoires, il a indiqué la rivière où il avait jeté les armes, il a demandé pardon à la famille de sa victime, il s’est rétracté et clame depuis son innocence.
Trois hypothèses mais peu de certitudes
Trois hypothèses peuvent être retenues pour expliquer la mort de l’aspirant Flükiger, deux d’entre elles soulevant d’importantes interrogations. Deux journalistes du quotidien La Suisse, MM. Wisard et Noverraz, établissent une relation étroite entre la mort de Rudolf Flükiger, l’enlèvement du patron des patrons allemands et la fusillade de Fahy.
Selon eux, un rapport des Renseignements généraux français affirmerait que le patron des patrons aurait transité par la Suisse, avant d’être assassiné et abandonné à Mulhouse. Même si la plaque tournante jurassienne Suisse - France - Allemagne permait de profiter des failles entre services de police de pays différents, on peut aussi concevoir que Schleyer ait pu être transporté, avec moins de risques, d’Allemagne en France, via la région frontalière Sarreguemines–Karlsruhe. La frontière entre l’Allemagne et la Suisse avec des passages obligés bien contrôlés, représente certainement des problèmes qui n’ont pas échappé aux terroristes. Il n’en reste pas moins qu’à l’époque où Schleyer est encore aux mains de ses ravisseurs, un habitant de Fahy, parti aux environs de 23 heures chercher un objet dans son chalet au lieu-dit La Fiatte, aperçoit une Mercedes avec plaques allemandes parquée près d’une grange voisine. Il appelle le PC de la police cantonale à Porrentruy, où on lui conseille d’aller se coucher! Il semble très improbable que l’aspirant Flükiger ait été le témoin d’un transbordement ou d’une transaction dans un secteur aussi proche de la frontière.
Une base arrière, garantissant des fonds, des matériels divers, des armes, des contacts téléphoniques avec Me Payot, l’intermédiaire entre la Fraction Armée Rouge et le Gouvernement allemand)a pu exister dans le Jura. Il y a une certaine sympathie en Ajoie pour des mouvements terroristes: une classe de Porrentruy a observé une minute de silence à la mémoire de Baader et Enslin…
La lettre anonyme, adressée le 15 octobre 1977 à la rédaction du journal L’Impartial de La Chaux-de-Fonds, fait surgir une deuxième hypothèse que les enquêteurs relèguent promptement au niveau d’une basse machination pro-bernoise. Un membre du groupe Bélier, soi-disant désireux de soulager sa conscience, aurait envoyé une confession au quotidien de La Chaux-de-Fonds. Ce document n’en reste pas moins troublant, en raison des précisions qu’il apporte. L’enlèvement de Rudolf Flükiger aurait visé à déposer «un Fritz à poil» devant le Palais fédéral, face aux caméras de la télévision. L’aspirant, bloqué dans son effort, fourré dans le coffre d’une voiture et bâillonné, se serait étouffé en vomissant.
Curieusement et contrairement aux articles de presse de l’époque, le rédacteur anonyme orthographie correctement, le nom de Flükiger (pas de c devant le k), de la moitié inférieure d’une plaque d’identité militaire, par exemple? Si cette confession est véridique, le suicide à la grenade aurait été mis en scène pour faire disparaître tout indice permettant d’expliquer les circonstances du décès. Une telle hypothèse soulève quatre questions:
– A-t-on investigué concernant la réunion de militants à Grandfontaine dans la nuit du 16 septembre 1977 ?
– A-t-on, sur la base du modèle de machine à écrire qui a servi à dactylographier le texte anonyme envoyé à L’Impartial, poussé les investigations, sur le terrain, pour la retrouver ?
– Est-il exact que des chiens de police sont parvenus à un endroit proche d’une ferme en périphérie de la place d’armes de Bure et qu’ils ont alors perdu la trace ? N’a-t-on pas des témoins ayant constaté des mouvements suspects dans
ce secteur ?
– L’enquête a-t-elle identifié les auteurs de la lettre au conseiller fédéral Rudolf Gnaegi et des rapports signés «Groupe action vérité affaire Flükiger»?
La rencontre de Rudolf Flükiger avec des contrebandiers ou des trafiquants, voire des sympathisants actifs du terrorisme international peut être une dernière explication. Ceux-ci, dans un endroit isolé durant une opération illicite, se trouvent surpris par un homme qui court, la lampe de poche en main. A cause de son uniforme (la fameuse «tenue bleue» et du pistolet), ils le prennent pour un garde-frontière ou un policier. Ils lui assènent un ou des coups qui se révèlent mortels. Pour brouiller les pistes, le corps est transporté sur France.
Une grenade à main, volée dans un dépôt suisse, élimine les traces plus compromettantes que dans l’hypothèse précédente: une fracture de la boîte crânienne…
Contrairement à ce qu’affirmait Le Quotidienjurassien, à l’occasion du trentième anniversaire de la disparition de l’aspirant, la thèse du suicide à la grenade paraît invraisemblable. D’abord parce que Rudolf Flükiger apparaît comme un solide gaillard, bien dans sa peau, surtout parce que, depuis 1943, le nombre de suicides en service avec une grenade à main se monte à trois ou quatre. C’est le pistolet de service qui est le plus souvent utilisé. En explosant, une Grenade à main 43 laisse des fragments numérotés qui permettent d’identifier la date de remise du lot à la troupe et l’unité qui l’a reçu. Sur les lieux de la découverte du cadavre en France, on n’a pas retrouvé le moindre numéro.
Même si les enquêteurs français, arrivés les premiers sur place, ne se sont pas comportés comme des «experts» de la série «Miami», leur relative incompétence aurait-elle suffi à faire disparaître tous ces numéros?
Ces éléments renforcent l’hypothèse selon laquelle Rudolf Flükiger a été suicidé. Il serait intéressant de savoir jusqu’à quel point l’enquête a été menée.
Le caporal Heusler a-t-il payé de sa vie de telles investigations? Que penser de ce restaurateur de Courtemaîche, braconnier à ses heures, qui s’est vanté, au restaurant de la Couronne à Courchavon d’en savoir long sur cette affaire, et qui va mourir mystérieusement en France, quinze jours plus tard ?
Plus de trente ans après la publication de la brochure du major Roland Troyon, on n’en sait pas beaucoup plus!
Egger Ph.