Le Conseil fédéral veut créer un Service de protection des témoins impliqués dans des affaires de terrorisme ou de crime organisé.
Depuis 11 ans, elle se cache, par peur d'une vengeance de sa famille. En 1999, cette jeune Albanaise du Kosovo, 25 ans aujourd'hui, avait dénoncé à son enseignant les abus sexuels que lui faisait subir son père. Celui-ci avait alors tué le prof avant de prendre la fuite au Kosovo. Extradé en septembre, il a été retrouvé mort hier matin dans sa cellule, ont annoncé les autorités saint-galloises.Témoin clé de l'enquête sur le meurtre de l'enseignant Paul Spirig, la jeune femme vit aujourd'hui sous une fausse identité et bénéficie d'une protection mise sur pied en urgence par le canton de Saint-Gall. Mais de sources judiciaires et policières, un tel bricolage ne peut plus durer. Le Conseil fédéral a donc décidé mercredi de créer un Service fédéral de protection des témoins sensibles, en priorité dans des affaires de terrorisme, de traite d'êtres humains ou de crime organisé. Car comme l'écrit le Conseil fédéral, la police a constaté que de potentiels témoins renoncent, par peur ou suite à de fortes menaces, à témoigner à charge si une protection adéquate ne leur est pas offerte.
L'Italie en pionnière
Cette protection des témoins avant, pendant et après un procès, l'Italie l'offre à des mafieux «repentis» depuis 1991. Depuis, de nombreux pays européens ont suivi son exemple. La Suisse, de son côté, a déjà accueilli des personnes sur demande de pays étrangers, dont des mafieux repentis, confirme Adrian Lobsiger, vice-directeur de l'Office fédéral de la police. Pour le reste, les quelques cas qui se sont présentés ont été gérés par les cantons. Compte tenu du nombre relativement faible de dossiers attendus (10 à 15 par année), de l'envergure intercantonale voire internationale des affaires, et du professionnalisme que la protection des témoins sensibles requiert, le Conseil fédéral estime nécessaire de mettre sur pied un service unique. Tous les cantons ne partagent pas son avis. «Je préférerais que les témoins restent dans les cantons, plus près du terrain. Si la Confédération les prend en charge, la collaboration avec eux s'en trouvera compliquée», regrette Silvia Steiner, la juge d'instruction zurichoise révélée par une récente affaire de traite de femmes dans le milieu de la prostitution.
Nouvelle identité
La messe semble dite, toutefois. Le futur Service de protection des témoins sera rattaché à l'Office fédéral de la police et devrait employer une dizaine de collaborateurs. Ceux-ci veilleront à la sécurité non seulement des témoins gravement menacés, mais aussi, dans certains cas, de leurs proches, voire de policiers ou d'agents infiltrés. A ces personnes consentantes, la Confédération offrira toutes sortes de services: conseil sur la manière de se comporter, mise à disposition d'un nouveau numéro de téléphone portable, protection personnelle, logement provisoire. Les témoins protégés pourront le cas échéant aussi recevoir une nouvelle identité; Berne se chargera alors de modifier les registres officiels en conséquence, histoire que des tueurs ne puissent pas remonter leur trace.Enfin, le Service fédéral de protection pourra soutenir financièrement les gens placés sous son aile, le temps pour eux de retrouver un emploi. «Le but n'est pas de les entretenir éternellement», assure Adrian Lobsiger. L'aide pécuniaire sera par ailleurs proportionnée à leurs anciens revenus. «Cette mesure permet d'éviter le reproche selon lequel la déclaration de la personne à protéger aurait été «achetée» en échange d'avantages illicites», écrit le Conseil fédéral.
Pas de révolution
Pour Silvia Steiner, la création du Service de protection des témoins ne révolutionnera pas son travail de juge d'instruction. «Certes, nous en avons besoin, car pour protéger des femmes victimes de traite d'êtres humains, nous travaillons aujourd'hui sans base légale et ne pouvons donc pas leur fournir une identité d'emprunt. Mais il s'agit d'un simple instrument, qui n'incitera pas forcément plus de femmes à témoigner.»
Serge GUMY