Les enlèvements d'employés de multinationales, d'humanitaires ou d'hommes d'affaires se multiplient aux quatre coins du monde. L'industrie du rapt a pris une ampleur préoccupante avec près de 20 000 cas par an. Les pays à haut risque? Le Venezuela, le Mexique, l'Afghanistan, l'Irak et le Nigeria. Les organisations criminelles ont compris qu'avec peu de moyens engagés, elles pouvaient s'en mettre plein les poches grâce aux rançons. Le marché mondial est estimé à 500 millions de dollars. Des assureurs se sont engouffrés sur ce marché de niche pour profiter du bon filon.
Et hop, deux employés français au Nigeria. Et hop, un humanitaire néerlandais en Afghanistan. Et hop, un homme d'affaires canadien au Mexique. L'enlèvement de ressortissants étrangers paraît être un jeu d'enfant pour les groupes armés. Eux qui multiplient ces actes criminels ces dernières semaines. «C'est un phénomène qui prend une ampleur inquiétante depuis quelques années», observe Louis Bernard, expert en kidnapping auprès de la société américaine Clayton Consultants. «Ce marché de l'enlèvement était très localisé dans les années 1990 avec la Colombie. L'activité s'est depuis étendue partout dans le monde.» Entre 15 000 et 20 000 cas sont recensés chaque année. Et encore, beaucoup échappent à la statistique.
Des affaires pour 500 mio
Ces six dernières années, le nombre d'enlèvements identifiés a quasiment doublé. Il faut dire que cette industrie est devenue très juteuse: le chiffre d'affaires est estimé à 500 millions de dollars par an. Avec peu de moyens engagés, les retours sur investissements sont énormes. «C'est vraiment facile à réaliser», assure Louis Bernard. «Imaginez-vous faire partie d'une mafia locale au Venezuela. Vous avez accès à une cave, vous avez deux voitures rapides et deux téléphones satellitaires. Vous pouvez prendre un expatrié par semaine et en retirer un million de dollars. C'est ce qui se passe réellement.» Le Venezuela et le Mexique sont l'épicentre du rapt contre rançon. Au Mexique, l'enlèvement a un point commun avec la tortilla et le catch: c'est une spécialité locale. Chaque jour, deux rapts ont lieu dans le pays. Le nombre de cas répertoriés a explosé: 1200 en 2009 contre 325 en 2005. La moitié des rapts sont commis en Amérique latine, mais de moins en moins en Colombie, où cette industrie battait son plein dans les années 1990. «Cela a beaucoup changé depuis le tour de vis opéré par l'armée», glisse l'expert.Cette activité prospère dans les pays en proie à des difficultés économiques, relève Mark Harris, responsable chez Global Team Leader, société américaine de consultants. La crise n'a rien arrangé, poussant les organisations criminelles à commettre des enlèvements express pour obtenir de l'argent plus rapidement. L'instabilité politique, la corruption, la pauvreté et l'impunité favorisent aussi ces dérives. «L'activité se développe dans les pays où l'Etat de droit est de moins en moins bien assuré», résume Louis Bernard.Pas étonnant que les pays en développement figurent en bonne place sur la «liste noire» de Clayton Consultants. Les plus à risque en 2010? L'Afghanistan, Haïti, l'Irak, le Mexique, le Nigeria, la Somalie et le Venezuela.
Deux tiers contre rançons
Les mafias actives dans les trafic d'armes et de drogue ont su utiliser cette pompe à fric pour financer leurs activités crapuleuses. La demande de rançon représente deux tiers du total des enlèvements. Le reste concerne les organisations terroristes et les groupes de guérilla qui mélangent sans problème revendications politiques, religieuses et financières.Ainsi al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). En échange des sept salariés d'Areva et de Vinci qu'il a enlevés au Niger en septembre, le groupe a réclamé le mois passé l'abrogation de la loi sur l'interdiction de la burqa dans les lieux publics français, la libération de plusieurs activistes et une rançon de sept millions d'euros. Une demande toujours pendante. Le géant français du nucléaire Areva a été confronté à de nombreuses reprises à ce genre de crimes crapuleux. «Nous avons mis en place depuis plusieurs années des moyens de protection à la mesure de la situation sécuritaire des pays dans lesquels le groupe est implanté», explique son porte-parole Pauline Briand. «La protection des salariés et des installations est organisée par barrières successives et est déployée en collaboration étroite avec les autorités de chaque pays.» Des barrières que le groupe terroriste a réussi à faire sauter. En Afrique, le delta du Niger est un terrain miné pour les employés étrangers. Tout comme le golfe de Guinée et le golfe d'Aden. Dans les eaux au nord de la Somalie, la piraterie rapporterait 50 millions de dollars par an, faissant vivre à elle seule la région.
La piraterie en hausse
A l'inverse, l'Europe est épargnée par le fléau. A l'exception de la Russie, de la Géorgie et de l'Espagne. C'est plutôt à l'étranger que les ressortissants européens courent un risque. D'après une étude publiée l'an passé par l'assureur Hiscox, les Français et les Allemands - avec les Chinois - sont les plus souvent enlevés dans le monde. Les Suisses sont parfois victimes de ces crimes. Et la neutralité alors? Les groupes armés s'en moque. Les employés d'ONG humanitaires qui ont été libérés peuvent en témoigner.
Thierry JACOLET