Dans le grand désordre mondial actuel, la tentation du repli et l’agitation de la peur de l’autre gagnent du terrain. Cela vaut pour les individus comme pour les nations. La Chine ne fait pas exception.
Dans le grand désordre mondial actuel, la tentation du repli et l’agitation de la peur de l’autre gagnent du terrain. Cela vaut pour les individus comme pour les nations. La Chine ne fait pas exception. Avec ses 10% de croissance économique, elle est enviée, mais aussi décriée. Est-ce une locomotive salvatrice ou la principale source de tous les déséquilibres? Ses voisins s’inquiètent de son arrogance. Les Occidentaux s’étonnent de l’agressivité de sa diplomatie. Récente, cette attitude pouvait dans un premier temps s’expliquer par l’ivresse des succès qui s’enchaînaient – des JO de Pékin à la réussite de sa relance économique face à l’ouragan de la crise financière. Aujourd’hui, elle semble surtout exprimer l’anxiété d’un pouvoir toujours aux abois.
Ces jours-ci, il est beaucoup question de «guerre froide» dans les commentaires de la presse officielle chinoise ou plus précisément de «mentalité de guerre froide». Cette guerre n’oppose plus le camp capitaliste au camp communiste. En ce début de XXIe siècle, à l’exception de la Corée du Nord et de Cuba, tout le monde est capitaliste – sous divers régimes – Chine en tête. Non, cette confrontation met en scène une Chine et sa tradition millénaire face à un Occident qui n’aurait pas renoncé à imposer sa domination au reste du monde. Cette Chine défend sa dictature au nom de la diversité des modèles politiques et culturels. Le véritable esprit démocratique, explique-t-on, c’est le respect de cette diversité. Et dans cette Chine, les intérêts de la nation se confondent avec ceux du parti unique. Ce nationalisme-là (qui légitime le régime) s’abreuve de théories sur les «valeurs asiatiques» ou le confucianisme aussi bien que du «choc des civilisations» (de l’Américain Samuel Huntington). Selon cette logique, l’«idéologie occidentale», ce sont la démocratie libérale, les libertés individuelles et les droits de l’homme – un corpus que Pékin refuse de considérer comme des «valeurs universelles».
Cette rhétorique s’est enflammée avec l’annonce, début octobre, de l’attribution du Prix Nobel de la paix au dissident chinois Liu Xiaobo. Plutôt que minimiser la signification de ce rituel pour en diminuer l’impact en Chine, Pékin a lancé une vaste contre-offensive pour discréditer Oslo, accuser les Occidentaux d’impérialisme et renouer avec le thème de l’humiliation nationale. S’il l’a fait, c’est que le Parti «communiste» se sentait menacé non pas tant de l’extérieur mais de l’intérieur du pays où un débat était engagé depuis plusieurs mois précisément sur la question des «valeurs universelles» que défend Liu Xiaobo. C’est ce que rappellent ces jours-ci des intellectuels et artistes chinois aux capitales européennes qui renoncent à engager un rapport de force sur ce terrain avec Pékin au nom des intérêts économiques. Ce qui amène un historien comme Wang Hui à déplorer qu’en Europe – comme en Chine ou aux Etats-Unis – la logique de la rentabilité économique s’est substituée à celle de l’efficience démocratique.
Aux yeux de Pékin, cette «mentalité de guerre froide» s’est confirmée cette semaine avec le ballet diplomatique qui a précédé le sommet du G20 de Séoul. Dans le cadre de sa tournée asiatique, Barack Obama aura visité quatre démocraties: l’Inde, l’Indonésie, la Corée du Sud et le Japon. Le pouvoir «communiste» craint que Washington cherche désormais à créer une «coalition de valeurs» – à savoir une coopération de sécurité entre pays démocratiques – contre la Chine. Une méfiance qui pousse Pékin à resserrer ses liens avec la Corée du Nord, la Birmanie et l’Iran. Il faut dire que le président américain n’a rien fait pour démentir cette théorie. En Inde, il a parlé de grand partenariat du XXIe siècle entre les «deux plus grandes démocraties du monde» et soutenu la candidature de New Delhi pour un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU contre l’avis de Pékin. En Indonésie, Barack Obama a fait l’éloge du quatrième pays le plus peuplé du monde qui s’est érigé en un modèle de tolérance religieuse et de démocratisation. Et ce n’est pas parce qu’il a déclaré qu’il n’était pas intéressé à «contenir» la Chine que les caciques de Zhongnanhai seront rassurés.
Frédéric Koller