La direction russe s’efforce de faire bonne figure après la trahison d’un responsable du renseignement extérieur, un revers humiliant qui a permis en juin le démantèlement d’un réseau d’agents de Moscou aux Etats-Unis, vingt ans après la fin de la guerre froide.
Des informations de presse avaient révélé jeudi que le traître était un haut responsable du département américain du service du renseignement extérieur (SVR), identifié comme le "colonel Scherbakov".
Celui-ci aurait quitté le pays en juin avant que Washington n’annonce l’arrestation de 10 agents russes, selon le quotidien Kommersant.
La reprise de ces informations par les médias publics russes a mis depuis jeudi l’ensemble du pays face aux interrogations sur la capacité des services spéciaux à remplir leur fonction.
Interrogé par la presse vendredi à Séoul, où il participait à une réunion du G20, le président Dmitri Medvedev a confirmé implicitement ces révélations, affirmant en avoir connu les détails déjà au moment des arrestations.
"Pour moi, ce qu’a publié Kommersant n’est pas nouveau, je le savais le jour où cela s’est produit, avec tous les accessoires et les attributs", a-t-il affirmé d’un ton neutre.
"Il faut mener une enquête et tirer des conclusions" sur le fonctionnement des services secrets russes, a-t-il ajouté, confirmant donc aussi implicitement les informations du journal sur la perspective d’une vaste purge au SVR après cette défection retentissante.
Les services du renseignement extérieur faisaient partie à l’époque soviétique du KGB, et en ont été séparés dans les années 1990 sur ordre du président Boris Eltsine, le FSB (service fédéral de sécurité) assurant de son côté les fonctions du contre-espionnage et la sécurité intérieure.
Le fait que l’arrestation des 10 agents russes — un onzième, apparemment le plus important, a réussi à s’échapper à Chypre — était lié à une trahison était connu : le Premier ministre Vladimir Poutine, lui-même un ancien agent du KGB, l’avait révélé en juillet, exonérant ainsi les espions russes des suspicions d’amateurisme qui fleurissaient dans certains médias.
Ceux-ci ont été rapatriés en Russie en juillet après un échange à l’aéroport de Vienne, digne des scénarios de la guerre froide.
Ils n’ont ensuite guère donné de signes de vie, sauf Anna Chapman, qui a même posé dévêtue en octobre pour un magazine masculin à Moscou.
Vladimir Poutine avait fait encore davantage en juillet, en affirmant démonstrativement les avoir rencontrés et avoir chanté des chansons patriotiques avec eux.
Et le Kremlin a indiqué en octobre que le président Medvedev, loin de les sanctionner, leur avait remis "les plus hautes décorations du pays".
L’ambiance n’est apparemment pas la même au SVR, dirigé par l’ancien Premier Ministre Mikhaïl Fradkov, où, selon une source de Kommersant, "des têtes et des épaulettes vont sauter".
Car, selon le vice-président de la commission à la sécurité de la Douma (chambre basse du Parlement), Guennadi Goudkov, lui-même un ancien des services, le revers subi avec cette trahison est sans précédent.
Cet épisode d’espionnage, survenu au lendemain d’une visite en juin du président Medvedev à Washington qui devait sceller le "redémarrage" des relations entre les deux pays, a en outre mis à mal la revendication par Moscou d’un véritable partenariat avec ses anciens ennemis de la guerre froide.
Il faut mettre un terme à la "période incertaine qui a suivi la guerre froide", déclarait vendredi à Séoul le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, au moment où Dmitri Medvedev s’expliquait sur le dossier d’espionnage.
Luc Perrot