Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

samedi 20 novembre 2010

Entre la colère et le choléra, les Haïtiens s’insurgent

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Manifestants contre la présence onusienne à Port-au-Prince. Sur la pancarte est inscrit en créole: «Minustah et choléra sont des jumeaux». (Keystone)


La mission d’intervention onusienne, la Minustah, est prise à partie par des manifestants. Selon eux, l’épidémie de choléra aurait été répandue par des Casques bleus

«Minustah-Choléra». Les chants des quelques centaines de manifestants qui ont pris plusieurs carrefours de Port-au-Prince, jeudi, sont explicites. Barricades, pneus brûlés, jets de pierres contre un véhicule de la force d’intervention onusienne et gaz lacrymogène lancé en réplique par la police nationale: ce n’est pas la guérilla urbaine, mais un signe inquiétant du ras-le-bol généralisé dans la population haïtienne. Pour elle, même si l’ONU dément, l’épidémie de choléra qui a déjà tué près de 1200 personnes dans le pays est née d’un camp de Casques bleus népalais au centre d’Haïti.

La situation au Cap-Haïtien, deuxième ville du pays, n’est pas encore stabilisée; en début de semaine, un soldat chilien avait tué un manifestant et quatorze autres étaient blessés. Dans plusieurs lieux de l’île, les Casques bleus sont pris pour cible. Selon Vincenzo Pugliese, porte-parole de la Minustah (Mission des Nations unies pour la stabilisation d’Haïti), les manifestations obéissent à des motivations politiques. «Elles sont organisées. Ceux qui défilent exigent à la fois le départ des soldats de la Minustah et l’annulation des élections.» Un cercueil à l’effigie du candidat Jude Célestin, dauphin du président Préval, a même été brûlé jeudi sur le Champ-de-Mars à Port-au-Prince.

Pour le chef de la police de la capitale, Michel-Ange Gédéon, les émeutes ont probablement été planifiées par des opposants au pouvoir qui désignent comme «une occupation étrangère» la présence de l’ONU. Mais elles sont surtout le fruit de la précarité extrême et de l’angoisse face à l’épidémie de choléra. «Ce que nous craignons aujourd’hui, c’est que le mouvement de contestation débouche sur une chasse à l’homme contre la Minustah et que les Casques bleus finissent par plier bagages.» Depuis 2004 et le départ du président Aristide, la force d’intervention regroupe plus de 10 000 hommes dont les bases s’étalent sur tout le territoire.

Dans son bureau de Pétionville, sur les contreforts de Port-au-Prince, Ricardo Seitenfus dresse un véritable réquisitoire contre la présence onusienne en Haïti. Représentant spécial de l’Organisation des Etats Aaméricains, le Brésilien est un fin connaisseur du pays. «Rien que le nom – mission de stabilisation – est une offense. La Minustah se contente de congeler un pays dans sa misère. Ce ne sont pas des fusils dont le pays a besoin mais de développement. Aujourd’hui, on veut voir un complot obscur derrière ces manifestations. Mais elles découlent directement de l’échec de la communauté internationale. Haïti est, per capita, le pays le plus aidé au monde et celui où l’on obtient le moins de résultats. Nous sommes coupables.»

Jeudi, jour de fête nationale en Haïti qui commémorait la victoire de la révolte d’esclaves face à l’armée napoléonienne, l’essentiel des troupes de la Minustah était sommé de rester en caserne pour éviter la provocation. Il semble improbable que la situation se détende avant la tenue des élections présidentielle et législatives le 28 novembre. Candidat à l’élection, l’urbaniste Leslie Voltaire est pessimiste pour les semaines à venir. «La population ne trouve pas d’interlocuteur. La situation semble se détériorer chaque jour en Haïti et personne ne parvient à donner aux gens des réponses concrètes sur la reconstruction. Le choléra ne fait qu’ajouter du pire au pire.»

Dix mois après le séisme qui a ravagé la capitale et ses alentours, il est sans doute trop tôt pour poser le bilan de l’action internationale en Haïti. Mais selon l’ethnologue américain Ira Glitter, installé dans le pays depuis plusieurs décennies, «l’épidémie de choléra, dont la plupart des Haïtiens pensent qu’elle a été répandue au mieux involontairement par les Casques bleus, résonne comme une métaphore de la présence étrangère sur l’île». Il suffit ces jours-ci de rouler dans Port-au-Prince pour assister à la frénésie d’expression frustrée dans la population. Chaque jour, les murs se remplissent un peu plus de graffitis qui en appellent à la fin de l’occupation, au départ de l’ONU, des ONG, ou au retrait du gouvernement.

Les universités de Port-au-Prince, qui sont historiquement les foyers de la contestation en Haïti et se réduisent aujourd’hui pour plusieurs d’entre elles à des baraquements de toile, voient les débats en plein air se multiplier. Partout le même sentiment, celui d’une complicité d’incompétences entre l’Etat haïtien et ses soutiens internationaux. Vendredi, à Port-au-Prince, des manifestants ont jeté des pierres devant l’Hôpital général. Sans le savoir peut-être ou en l’ignorant sans doute, ils retardent de fait le traitement des malades du choléra. Plusieurs ONG annoncent déjà qu’elles ne peuvent plus soigner dans des conditions acceptables. Curieux boomerang de la révolte.

Arnaud Robert