Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mardi 10 novembre 2009

L’OTAN en Afghanistan - La mission était vouée à l’échec, dit le général canadien Rick Hillier

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L’OTAN est entrée à reculons en Afghanistan, sans avoir de stratégie, de plan ou d’idée sur la marche à suivre. Une situation qui n’a jamais été corrigée, ce qui mine la mission et la crédibilité de l’alliance militaire.

Cette révélation provient du nouveau livre de Rick Hillier, l’ancien chef d’état-major des Forces canadiennes. Dans cette autobiographie, dont Le Devoir a obtenu copie, le grand patron de l’armée, le plus influent de l’histoire canadienne, raconte comment la mission de l’OTAN en Afghanistan était vouée à l’échec dès le départ.

Rick Hillier explique aussi comment le ministère des Affaires étrangères et l’Agence canadienne de développement international (ACDI) ont empêché leurs fonctionnaires de quitter la base de Kandahar entre 2006 et 2008. Ces restrictions ont fortement ralenti le développement humanitaire et la reconstruction dans cette région du pays, contribuant ainsi à la déstabilisation de Kandahar.

L’ancien chef d’état-major (2005-2008) a conservé son style franc et coloré dans son livre de 498 pages, qui raconte sa vie dans l’armée et durant les années charnières où il a côtoyé les hauts fonctionnaires fédéraux, les politiciens à Ottawa et les dirigeants de l’OTAN. Son récit a d’ailleurs pour titre A Soldier First — Bullets, Bureaucrats and Politics of War (Harpers Collins, seulement en anglais). Il sera en vente dès vendredi.

La plus importante révélation concerne l’OTAN et la mission en Afghanistan. En 2004, environ deux ans après la défaite des talibans, Rick Hillier a dirigé la force internationale dans ce pays. Il était alors chef de l’armée de terre des Forces canadiennes (il deviendra chef d’état-major en 2005).

En tant que dirigeant des forces de l’OTAN en Afghanistan, Rick Hillier est aux premières loges pour constater « l’incompétence » de cette alliance militaire qui évolue encore « avec une mentalité de la guerre froide », écrit-il.

« C’était clair dès le départ qu’il n’y avait aucune stratégie pour la mission en Afghanistan », peut-on lire. L’OTAN, alors concentrée à Kaboul et dans le nord du pays, se prépare à prendre progressivement le contrôle de toutes les provinces d’Afghanistan (alors sous le contrôle des États-Unis).

« Ils [les généraux de l’OTAN à Bruxelles] n’avaient aucune stratégie, aucune idée sur ce qu’ils voulaient accomplir, aucune direction politique et très peu de forces militaires. C’était catastrophique. L’OTAN avait tracé le chemin pour détruire sa crédibilité et perdre le support populaire de toutes les nations de l’Alliance. Malheureusement, plusieurs années plus tard, la situation n’a pas changé », écrit Rick Hillier. Il ajoute, cinglant : « L’OTAN n’a toujours aucune idée claire de ce qu’elle fait en Afghanistan. »

L’ancien chef d’état-major décrit une organisation rongée par la jalousie, la bureaucratie et les guerres de clochers entre nations membres. « L’OTAN n’a jamais vraiment voulu s’impliquer en Afghanistan. La mission a pris son envol contre la volonté de plusieurs pays », écrit-il, lui qui a participé à plusieurs réunions de l’OTAN. Résultat : plusieurs nations n’ont jamais fourni les efforts nécessaires ni engagé le nombre de soldats suffisants à la disposition de la coalition. Chaque pays a voulu mener sa propre petite mission dans sa province, sans cohésion avec le reste du pays, dit-il. Le Canada, l’Allemagne et les États-Unis sont les pays qui souhaitaient le plus que la mission afghane soit chapeautée par l’OTAN.

Plutôt que d’étendre la mission de l’OTAN sur des bases solides avec une vraie stratégie de contre-insurrection, les hauts gradés de l’Alliance, basés à Bruxelles, tentaient de tout contrôler au quotidien en Afghanistan. Une situation impossible à 7000 km de distance, affirme Rick Hillier, qui est aujourd’hui à la retraite.

Autre exemple : lors de l’arrivée des soldats canadiens à Kandahar, en 2006, l’OTAN devait envoyer 1000 soldats d’un autre pays pour appuyer le Canada dans la région la plus dangereuse d’Afghanistan. « Ce bataillon n’est jamais venu », ce qui a mis les soldats canadiens en danger, dit-il. Les renforts sont finalement arrivés des États-Unis au printemps 2008.

Le choix de Kandahar

Rick Hillier confirme également dans son livre qu’Ottawa a volontairement choisi d’aller pacifier la dangereuse région de Kandahar. Le 26 janvier 2008, Le Devoir révélait en manchette que l’OTAN avait offert une autre province au Canada et que les Britanniques devaient prendre Kandahar en charge.

Dans son bouquin, Rick Hillier affirme que l’OTAN a offert au Canada de prendre position à Herat, dans l’ouest de l’Afghanistan, une région plus calme. Ottawa a toutefois jugé que l’aspect logistique dans cette province près de l’Iran serait trop difficile et ne permettrait pas à Ottawa de jouer un rôle important dans la mission internationale. Le gouvernement libéral a donc choisi Kandahar.

De son côté, Rick Hillier proposait que le Canada remette en état l’aéroport de Kaboul, ce qui aurait donné une bonne visibilité au pays. Rick Hiller affirme que lorsque cette idée a été écartée, il s’est rallié sans problème à la décision d’aller à Kandahar.

Ottawa ralentit le développement

Un problème majeur à Kandahar a été le peu de développement et de reconstruction effectués dans cette province entre 2006 et 2008. Or, dans une guérilla, il faut montrer à la population locale que la présence des troupes étrangères a un impact positif, sans quoi les insurgés peuvent gagner du terrain. C’est la bataille pour « les coeurs et les esprits », comme on dit dans le jargon militaire.

Dans son livre, Rick Hillier lève le voile sur les raisons de cette absence de développement. Le 15 janvier 2006, le diplomate canadien Glyn Berry est mort dans un attentat à Kandahar. « Sa mort a causé une panique au ministère des Affaires étrangères et à l’ACDI. Les deux ministères ont pour ainsi dire disparu de Kandahar pour la période critique qui a suivi », écrit-il. Les fonctionnaires reçoivent alors le mot d’ordre de ne plus sortir de la base, ce qui ralentit considérablement la reconstruction. Le gouvernement Harper a corrigé la situation en 2008 seulement, après la parution du rapport Manley.

« On a eu des rencontres avec le Conseil privé, les Affaires étrangères et l’ACDI. On leur a dit que la mission militaire était inutile si en même temps on ne rebâtissait pas la société afghane. On a fait nos représentations à tous les niveaux du gouvernement du Canada, mais nos efforts n’ont servi à rien. [...] Malheureusement, ça nous a pris trois ans avant de revoir l’ACDI et les Affaires étrangères participer pleinement à la mission. »

Bureau de Harper

Rick Hillier aborde également les difficiles relations avec les fonctionnaires fédéraux. Une « bureaucratie carriériste », « lente » et plus centrée sur le processus que sur les résultats, ce qui a nui à l’efficacité de la mission en Afghanistan et au bon fonctionnement général des Forces canadiennes, dit-il.

Il affirme s’être généralement bien entendu avec le ministre de la Défense, Gordon O’Connor (contrairement aux rumeurs qui circulaient à Ottawa), mais avoir eu plus de difficultés avec le bureau du premier ministre Harper. Hillier a de bons mots pour Stephen Harper, mais il affirme que ses employés ont tenté à plusieurs reprises de le faire taire pour contrôler le message. L’ancien chef d’état-major affirme avoir ignoré les plaintes et continué de parler aux Canadiens de la mission en cours et des transformations au sein de l’armée, ce qui a créé des frictions.
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Claude Castonguay
Ancien président et membre du Conseil de direction
de la Chaire Raoul-Dandurand
en études stratégiques et diplomatiques de
l’UQAM Fellow