Selon une note secrète de la DCRI, al-Qaida commet désormais des actions suicides à l’aide de bombes introduites dans le corps. Un procédé qui pose la question des techniques de contrôle des passagers.
La scène se déroule à 5 000 km de Paris. Le 28 août dernier, Abul Khair, un islamiste recherché, se présente au palais du prince Mohammed bin Nayef, responsable de la lutte antiterroriste en Arabie saoudite et, par ailleurs, fils du ministre de l’Intérieur du royaume. C’est l’heure de la traditionnelle réception organisée pour la rupture du jeûne. L’homme vient se rendre et implorer la clémence du prince, dit-il. Mais à peine le maître des lieux s’approche-t-il que le terroriste manipule un téléphone mobile. Une explosion retentit. Par miracle, Mohammed bin Nayef s’en sort avec quelques égratignures. Son visiteur, quant à lui, est éparpillé dans la pièce en soixante-dix morceaux. Il s’est fait sauter avec sa bombe.
Ce que l’enquête va déterminer par la suite a justifié une note secrète de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), nouveau service antiterroriste français confié au préfet Bernard Squarcini, mais aussi une réunion d’urgence de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat), placée auprès du directeur général de la police nationale : Abul Khair n’a pas utilisé un explosif attaché à sa ceinture pour atteindre sa cible, technique classique chez les kamikazes. Il portait sa bombe - et c’est une première, soulignent les analystes du renseignement - à l’intérieur du corps. « Un explosif ingéré en somme, ou plutôt introduit comme un suppositoire. Autant dire indétectable. Le kamikaze n’avait plus qu’à le déclencher grâce à son téléphone mobile que les cerbères du palais n’ont pas eu la présence d’esprit de lui retirer », commente un haut fonctionnaire Place Beauvau.
Dans la note des services antiterroristes transmise il y a quelques jours au ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, les experts de la Place Beauvau alertent sur ce nouveau « mode opératoire » d’al-Qaida. Car cet attentat a été officiellement revendiqué par la branche de l’organisation terroriste dans la péninsule arabe.
Pour la DCRI et l’Uclat, cette affaire a des implications considérables. Elle met au défi l’ensemble des structures de sûreté mises en place pour se protéger des attentats, à commencer par les dispositifs de contrôle d’accès aux avions dans les aéroports.
« Nos plates-formes aériennes sont équipées de détecteurs de métaux, explique un commissaire de police spécialisé, mais dans le cas du kamikaze saoudien, seul un contrôle aux rayons X aurait permis de détecter l’explosif, comme on repère les capsules de drogue dans le ventre des passeurs. » « Or, ajoute-t-il, on imagine mal devoir faire passer des millions de passagers à la radio avant de monter à bord. » Un commandant de la police aux frontières (PAF) renchérit : « Les dispositifs à mettre en place pour sécuriser les vols seraient extrêmement coûteux, à supposer que des appareils soient en mesure de gérer un tel flux. »
Dans l’entourage du ministre de l’Intérieur, on fait valoir un autre argument : « Il est tout simplement impensable de généraliser le rayon X aux contrôles d’accès, lorsque l’on sait la fréquence des vols effectués par certains passagers. Les risques sanitaires que ferait peser un excès d’exposition aux radiations seraient trop grands. »
La solution ? Elle est évoquée par un expert de la police technique et scientifique : « Agir non pas sur le récepteur, dit-il, c’est-à-dire l’explosif et son système de détonateur, mais sur l’émetteur, autrement dit : le téléphone qui a envoyé par radiofréquence le signal de l’explosion. » Faudra-t-il interdire le mobile aux hommes d’affaires qui voyagent ou les mettre dans un sac remis à l’hôtesse avant chaque vol ? En ratant sa cible, Abul Khair a tout de même atteint son but : semer le trouble jusque derrière les grilles de la Place Beauvau.
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Jean-Marc Leclerc