Inquiète des nouvelles orientations de la politique étrangère japonaise, l’administration Obama a averti mercredi le gouvernement de Tokyo qu’il aurait à supporter de graves conséquences s’il décide de revenir sur un accord militaire préparé par les USA pour faire face à la montée en puissance de la Chine.
Les commentaires du secrétaire à la Défense Robert M. Gates soulignent une préoccupation croissante chez les responsables américains, inquiets à l’idée que le Japon décide de redéfinir son alliance avec les États-Unis et son rôle en Asie. En août dernier, le Parti Démocrate du Japon (PDJ) jusqu’alors dans l’opposition, a remporté une victoire écrasante aux élections, mettant fin à plus de 50 ans de règne du parti unique.
Pour l’administration américaine qui a déjà sur les bras le Pakistan, l’Afghanistan, l’Irak, l’Iran, la Corée du Nord et la Chine, ces complications avec son plus proche allié en Asie sont une difficulté supplémentaire.
Un haut fonctionnaire du département d’Etat indique qu’il avait auparavant le sentiment « confortable » que le Japon était un point de repère pour les Etats-Unis dans leurs relations avec l’Asie. Ce n’est plus le cas, déclare-t-il, ajoutant que « le plus difficile, en ce moment, ce n’est pas la Chine, c’est le Japon. »
Ce fonctionnaire, qui a choisi de garder l’anonymat en raison du caractère sensible de ces questions, considère que le nouveau parti au pouvoir manque d’expérience dans le gouvernement, mais que ses hommes politiques veulent exercer leurs responsabilités, et ont remplacé les bureaucrates qui dirigeaient traditionnellement le pays depuis les coulisses. À cela s’ajoute un profond malaise dans une société qui était à la dérive au plan politique et économique depuis deux décennies.
La semaine dernière, des officiels du PDJ ont annoncé que le Japon se retirait d’une mission assurée depuis huit ans dans l’océan Indien, qui consistait à ravitailler les navires de guerre qui soutiennent forces de la coalition en Afghanistan. Ils ont également promis de rouvrir les discussions sur un ensemble d’accords militaires – d’un montant de 26 milliards de dollars – qui comprend la relocalisation d’une base d’hélicoptères des Marines US au Japon, ainsi que le départ de 8 000 Marines qui doivent quitter le Japon pour Guam. Après plus d’une décennie de pourparlers, les États-Unis et le Japon étaient parvenus à un accord en 2006.
L’atmosphère des relations s’est également modifiée, depuis que les hommes politiques japonais contredisent en public les responsables américains.
Le malaise ressenti par les américains a été illustré mercredi à Tokyo, lorsque Gates a fait pression sur le gouvernement, à la suite de réunions avec le Premier ministre Yukio Hatoyama, pour qu’il tienne ses engagements sur l’accord militaire.
« Il est temps d’avancer », a déclaré M. Gates, qui a averti que si le Japon ne respectait pas la « feuille de route de redéploiement » des troupes, cela serait « extrêmement compliqué et contreproductif. »
Dans une relation dans laquelle le protocole peut être très lourd de sens, M. Gates a laissé son emploi du temps s’exprimer à sa place, en déclinant les invitations à dîner des responsables du ministère de la Défense et en n’assistant pas à une cérémonie de bienvenue au ministère.
M. Hatoyama estime que la présence de Gates au Japon « n’implique pas que nous devions décider de tout » durant ce séjour.
Pendant des décennies, l’alliance avec les États-Unis a été bien plus qu’une pierre angulaire de la politique japonaise. Le Parti libéral démocrate (PLD) avait délégué à Washington le soin de prendre de nombreuses décisions en matière de politique étrangère. Ainsi, le « plan de redéploiement », avait été élaboré afin de faire face à l’expansion militaire de la Chine, en musclant le rôle de contrepoids de Guam face au renforcement de la marine chinoise, et en améliorant les capacités de défense antimissile pour compenser les performances de plus en plus redoutables des missiles chinois et coréens du nord.
Le PDJ a accédé au pouvoir en promettant de faire preuve d’une plus grande détermination dans ses relations avec les États-Unis, et a semblé moins enclin à répondre sur le plan militaire au renforcement de la Chine. Durant la campagne électorale, M. Hatoyama a promis de réexaminer ce qu’il a appelé les accords « secrets » entre le PLD et les États-Unis, concernant le stockage et le transbordement d’armes nucléaires au Japon – sujet sensible dans le seul pays qui a enduré des attaques nucléaires.
Il a également défendu le projet d’une Communauté de l’Asie de l’Est, une sorte de version asiatique de l’Union européenne, où la Chine aurait un rôle central.
Peu après les élections, les officiels américains ont minimisé l’importance du changement qui se profilait, attribuant ces positions à la rhétorique des discours de campagne électorale. Bien que la plupart de ces fonctionnaires considèrent encore que l’alliance soit forte, ils sont désormais inquiets que le PDJ soit déterminé à redéfinir la politique étrangère du Japon, mais ne savent pas exactement jusqu’à quel point.
Les responsables du PDJ ont accusé les responsables américains de ne pas les prendre au sérieux. Tadashi Inuzuka, membre du PDJ à la chambre haute du parlement japonais, a déclaré : « Ils devraient se rendre compte que nous sommes le parti au pouvoir, désormais. »
Kent Calder, directeur du Centre Edwin O. Reischauer d’études extrême-orientales à l’Université Johns Hopkins, et diplomate américain de longue date au Japon, estime que si M. Hatoyama réussit à retarder une décision sur l’accord militaire jusqu’à l’année prochaine, les responsables américains craignent qu’il n’aboutisse pas.
D’autres nations asiatiques se sont alarmées en privé devant l’appel de M. Hatoyama pour la création de la Communauté Est-Asiatique, car ils redoutent que les États-Unis en soient exclus.
« Je pense que les États-Unis doivent faire partie de la région Asie-Pacifique et de l’architecture globale de la coopération dans cette région », a déclaré le Premier ministre de Singapour, Lee Hsien Loong, lors d’un voyage au Japon ce mois-ci.
Cette dramatisation théâtrale de la relation entre le Japon et Washington est une nouveauté. La passe d’arme le mois dernier entre l’ambassadeur du Japon aux États-Unis, Ichiro Fujisaki, et le porte-parole du Pentagone Geoff Morrell en donne un exemple.
Le 9 septembre, M. Morrell a exigé que le Japon poursuive ses opérations de ravitaillement dans l’océan Indien. Le lendemain, M. Fujisaki a répondu qu’une telle décision « appartenait au Japon », puis a ensuite déclaré que le Japon et les États-Unis n’étaient « pas en de tels termes qu’ils doivent dialoguer par le truchement de porte-paroles. » Le gouvernement Hatoyama a annoncé qu’il ne prolongerait pas la mission de ravitaillement après son échéance, en janvier.
Ensuite, à l’occasion d’un séminaire qui se tenait à Washington le 14 octobre, Kuniko Tanioka, un membre du PDJ de la Chambre haute, s’est directement confronté avec Kevin Maher, le directeur du Bureau du Département d’Etat des affaires japonaises, au sujet de la base Futenma. M. Maher avait déclaré que l’accord concernant la base du Corps des Marines était conclu, mais M. Tanioka a indiqué que les négociations manquaient de transparence.
M. Maher a fait remarquer qu’un haut responsable du PDJ avait donné son agrément à cet accord, ce à quoi M. Tanioka a répliqué du tac au tac : « Je suis plus avisé que lui. »
« Je n’ai jamais vu cela en 30 ans », avoue M. Calder. « Je n’ai jamais entendu les japonais répondre ainsi à des diplomates américains, surtout pas publiquement. Les Américains disaient généralement : « nous avons un accord », et les japonais répondaient : « ah soo desu ka, » – nous avons un accord – et c’était terminé. Tout ceci est nouveau ».
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John Pomfret & Blaine Harden
Washington Post