Une ligne fatale de chemins de fer en construction à Jérusalem a été à l’origine annoncée par les fonctionnaires israéliens comme une manière de cimenter « l’unification » de la ville, quatre décennies après l’annexion illégale par Israël de la moitié palestinienne de la ville.
Mais la seule unité qui a été générée parmi les habitants juifs et palestiniens, après quatre années de perturbation des entreprises et de la circulation de la ville est l’accord général selon lequel ce projet devient une réalisation coûteuse et peu rentable.
Après des problèmes d’ingénierie, des disputes entre les contractants et la municipalité, ainsi que les délais causés par des découvertes archéologiques le long de l’itinéraire, l’achèvement du première tronçon de 14 km n’est pas attendu avant la fin de l’année prochaine, au plus tôt – plus de dix-huit mois de retard sur le calendrier. Le dépassement de budget est estimé à plus de 500 millions de dollars.
Cette semaine, indiquant que cette crise s’aggrave, la compagnie israélienne d’autobus Dan a été obligé d’intervenir pour racheter la part de 5% détenue par Veolia, une entreprise française qui était censée opérer cette ligne pendant les 30 prochaines années. Dan, qui attend l’approbation du gouvernement israélien pour cette offre, n’a aucune expérience de la gestion d’un système ferroviaire.
Shmuel Elgrably, un porte-parole de cette compagnie de transport, a déclaré la semaine dernière au quotidien Haaretz que le départ de Veolia avait « foiré » le projet.
Le retrait inattendu de Veolia de City Pass, un consortium privé franco-israélien soutenu en partie par les finances publiques, est revendiqué comme victoire par des fonctionnaires et des activistes palestiniens, dont les efforts de boycott et de lobbying semblent avoir obligé cette entreprise à quitter le projet. Ils ont accusé Veolia et une autre société française, Alstom, laquelle pose les voies et fournit les wagons, de violer la loi internationale en travaillant sur un projet destiné à bénéficier aux colonies juives dans la partie occupée de Jérusalem.
Depuis l’annexion de Jérusalem-Est, Israël a installé quelques 200.000 Juifs dans des colonies illégales qui entourent plus de 250.000 habitants palestiniens. Malgré la pression exercée par Washington pour un gel des colonies à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a déclaré cette semaine : « Jérusalem n’est pas une colonie et la construction [d’habitations] se poursuivra comme prévu ».
Des officiels ont annoncé ce mois-ci que 500 nouveaux appartements doivent être construits à Pisgat Zeev – une colonie de plus de 40.000 Juifs qui sera reliée à Jérusalem par le premier tronçon du système ferroviaire.
Cette ligne, qui est censée desservir 150.000 passagers par jour et décongestionner les routes de Jérusalem, passera aussi par les célèbres portes de Damas et de Jaffa dans la veille ville.
De futures lignes ferroviaires sont censées relier d’autres colonies juives, dont Neve Yaacov, Atarot et Gilo.
Lorsque ce système de transport a été signé en 2005, Ariel Sharon, alors Premier ministre, avait déclaré qu’il « maintiendrait Jérusalem pour l’éternité comme capitale de peuple juif ».
Omar Barghouti, un fondateur du mouvement palestinien « Boycott, Désinvestissement et Sanctions », qui a pris pour cible Veolia et Alstom pour leur implication dans ce projet, a écrit ce mois-ci dans le magazine Jerusalem Quarterly que ce chemin de fer faisait partie d’une « stratégie globale à long terme… de cimenter l’intégration de ces blocs [de colonie] dans un « Grand Jérusalem » s’étendant constamment.
M. Barghouti a affirmé que ce système de transport fait partie d’un plan secret israélien, dont les contours ont été révélés par le quotidien Haaretz en mai dernier, pour créer de grands projets d’infrastructure empêchant la future division de Jérusalem et, par-là même, contrecarrer tout espoir d’accord de paix. Les Palestiniens exigent que Jérusalem-Est soit la capitale de l’Etat auquel ils aspirent.
Les supporters de ce projet ont toutefois précisé que cinq des 23 stations le long de la première ligne seront situées dans des quartiers palestiniens, dont le camp de réfugié démuni de Chouafat.
Pour être rentable, dit City Pass, ce tramway doit s’adresser aux vastes communautés ultra-orthodoxes et palestiniennes de la ville, qui sont toutes deux de gros usagers des transports publics mais qui utilisent actuellement des lignes de bus différentes.
Pourtant, il n’y a pas beaucoup d’indications que l’un ou l’autre groupe ait très envie d’adopter ce système de transport.
Les Palestiniens se méfieront probablement d’utiliser un tramway dominé par les colons et il pourrait y avoir de sévères limitations à leur accès à ce service.
Shir Hever, un économiste de Jérusalem, a déclaré que de nombreux Juifs israéliens ne seront pas disposés à partager des trains avec les habitants palestiniens de la ville, en particulier après une série d’attaques terroristes l’été dernier à Jérusalem-Est, utilisant essentiellement des bulldozers.
« Les vraies questions », a-t-il dit, « sont combien de quartiers palestiniens de Jérusalem-Est seront à l’écart de la boucle du système de transport et, même s’il y a des arrêts, quelles conditions de sécurité seront imposées aux Palestiniens, par rapport aux Juifs israéliens, avant de pouvoir monter à bord du train ? Certains observateurs soupçonnent qu’après la première attaque qui suivra l’ouverture de cette ligne, celle-ci sera fermée aux voyageurs palestiniens.
Les ultra-orthodoxes semblent également méfiants. Leurs rabbins ont condamné ce système de transport parce qu’il encouragera les hommes et les femmes à se mélanger et remplacera les propres bus ségrégationnistes « modestes » de la communauté. L’année dernière, sept rabbins ont écrit à la municipalité pour se plaindre que leurs fidèle sseraient obligés de passer par des quartiers laïcs « où une personne qui craint Dieu ne mettrait pas le pied ».
Les urbanistes, semble-t-il, se préparent également aux problèmes. Les 42 voitures chacune coûtant plus de 3 millions de dollars sont conçues pour résister aux jets de pierre et aux cocktails molotov.
Mais la survie même de ce projet est à présent remise en question après le lobbying couronné de succès du mouvement de boycott. Une banque néerlandaise, ASN, a retiré ses investissements dans Veolia en 2006 et la société a perdu un gros contrat en Suède cette année.
Alstom est également sous pression sévère. Le fonds de pension national suédois, AP7, a exclu la société française de son portefeuille d’investissement, cette année, et les activistes cherchent à présent à l’obliger de se retirer d’un consortium qui s’est vu attribué un contrat de 1,8 milliards de dollars en Arabie Saoudite pour construire l’express Haramain entre La Mecque et Médine.
De plus, Veolia et Alstom bataillent toutes deux contre l’OLP dans les tribunaux français au sujet de leur implication dans City Pass.
Les ennemis du consortium n’ont fait que se renforcer avec l’élection, l’année dernière, de Nir Barkat au poste de Maire de Jérusalem, un homme d’affaire très à droite, qui est un opposant bruyant à cette aventure. Les coûts ont déjà dépassé 1,1 milliards de dollars, deux fois sa projection initiale, avec le gouvernement israélien qui y est déjà de sa poche de $200 millions.
Au début de l’année, M. Barkat a menacé de mettre fin au contrat après l’achèvement de la première ligne. Il pense que d’autres itinéraires peuvent être desservis par une flotte de bus qui reviendrait cinq fois moins cher.
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Jonathan Cook
écrivain et journaliste