Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

dimanche 2 août 2009

La réforme du renseignement manque de vision

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Deux experts interrogent la fusion des services secrets suisses. Le manque de spécialistes du renseignement stratégique à leur tête ne permettrait pas d’atteindre l’objectif premier de ses services : aider le gouvernement dans ses prises de décision en matière de politique étrangère.

Depuis le début de l’année, les deux principaux services de renseignement – le Service d’analyse et de prévention (SAP/intérieur) et le Service de renseignement stratégique (SRS/extérieur) – apprennent à travailler ensemble, sous la houlette du ministère de la défense. Une étape vers une fusion pure et simple de ces services qui prendra effet au 1er janvier 2010.

« Aujourd’hui, comme le montre le phénomène du terrorisme, l’ancienne frontière entre menaces intérieures et menaces étrangères s’est en partie dissoute. Il est donc tentant d’y répondre par un service de renseignement unifié », relève Jacques Baud, ancien praticien et spécialiste du renseignement, en soulignant que la Suisse est pourtant un des rares pays à opérer une telle fusion.

« Or cette vision est limitée, ajoute Jacques Baud, parce qu’elle ne tient compte que de la portée géographique de la menace. Il faudrait plutôt se demander quelle est la finalité du renseignement. »


Vision prospective

Citant en exemple d’autres services de renseignement, Jacques Baud donne sa réponse : « Un service de renseignement stratégique doit éclairer la prise de décision du gouvernement. Celui de l’intérieur est d’abord au service de la justice et de la police. »

De plus, selon l’expert, le renseignement stratégique est censé évaluer des situations potentiellement dangereuses, faire des hypothèses et établir des scénarios liés à des menaces futures. Celui dévolu à la justice privilégie les faits.

« Quand on les met ensemble, les faits tendent à primer sur l’analyse prospective », assure Jacques Baud.

Et de citer l’exemple des Pays-Bas : « Dans les années 90, les Hollandais ont opéré une telle fusion entre services intérieurs et extérieurs. Résultat : les agents de renseignement sont devenus des super-policiers. Ce qui n’est pas la fonction première d’un service de renseignement. »

De son coté, Stéphane Koch, spécialiste en intelligence économique, ajoute : « Le renseignement, ce n’est pas tant des services secrets et de l’espionnage, que l’acquisition d’informations en vue de décision stratégique et d’anticipation de risques inhérents soit à la sécurité nationale, aux intérêts économiques du pays ou à son positionnement stratégique et géopolitique. »


Crises en série

Or cette vision prospective s’avère d’autant plus nécessaire que les relations internationales connaissent des tensions persistantes, voire croissantes. La Suisse a de fait subi ces derniers mois et ces dernières années des critiques, des attaques, des pressions et des mesures de rétorsion d’une série de pays, comme les Etats-Unis (affaire des fonds en déshérence), la Tunisie (discours de l’ex ministre Samuel Schmid), la Colombie (affaire Gontard), l’Union européenne (dossier fiscal), Israël (rencontres avec le Hamas et le gouvernement iranien).

« Les services de renseignement auraient bien sûr un rôle à jouer pour aider le gouvernement dans ce genre de crise. Mais depuis 1990, pas un seul organe de renseignement n’a été dirigé par un analyste stratégique. Ils n’ont donc pas l’expérience de ce que devrait être la mission première du service de renseignement stratégique », assure Jacques Baud.


Gouvernement à 7

L’autre problème soulevé par les deux experts est l’interface entre les services et le gouvernement. « Ailleurs, le chef du renseignement stratégique a un seul interlocuteur (président, Premier ministre). Par exemple, tous les matins, le président des Etats-Unis (Bush père) recevait le chef de la CIA. En France, la coutume veut que le président nomme le chef de la DGSE. Ce qui tend à créer un bon rapport de confiance et une bonne communication », raconte Jacques Baud.

En Suisse par contre, le chef du renseignement a 7 interlocuteurs potentiels dotés chacun d’un regard et d’une vision particulière du monde. « Comme le service est rattaché à la défense, les autres ministres ne se sentent pas vraiment concernés. Les autres département ont donc la tentation d’avoir leurs propres canaux de renseignement », souligne Jacques Baud.

Ce qui fait dire à Stéphane Koch : « Il ne faut donc pas simplement une réforme de structure, mais amener les différents services à collaborer, pour éviter les problèmes de cloisonnements que connaissent les services actuellement. Il faut donc changer la culture de services vers un management moins hiérarchique et plus collaboratif. »

« Il ne faudrait plus, ajoute le spécialiste, qu’il y ait des directeurs d’office qui se comportent comme des roitelets, mais des responsables qui ont des comptes à rendre et qui sont choisi pour leur compétence. Il serait aussi utile d’avoir une formation sur le renseignement stratégique qui touche l’ensemble des organes concernés de l’Etat. »


Débat parlementaire

Une chose est sûre. La fusion des deux services suscite aussi des questions au parlement. Le mois dernier, le conseiller national (député) Max Chopard-Acklin a déposé une interpellation listant 11 interrogations sur les conséquences de cette réforme. Le débat est donc ouvert.
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Frédéric Burnand