Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mercredi 15 juillet 2009

Les discrets espions de la ville de Berne

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Si, récemment encore, la CIA a été soupçonnée d’œuvrer discrètement en Suisse, l’espionnage américain avait déjà établi son siège européen dans la capitale de la Confédération durant la Seconde Guerre mondiale

Une belle demeure patricienne en surplomb de l’Aar, à deux pas de la cathédrale et du Palais fédéral. Le numéro 23 de la Herrengasse fait toujours excellente figure au cœur de la vieille ville de Berne. Mais il n’y reste plus trace de l’un de ses occupants historiques les plus prestigieux, l’Office of Strategic Services (OSS), le service de renseignement américain, qui y avait établi son quartier général pour l’Europe durant la Seconde Guerre mondiale.

L’OSS était d’une nouveauté radicale, à l’époque, pour les Etats-Unis. Il représentait la première ébauche d’un service secret centralisé dans un pays où la récolte du renseignement avait jusqu’alors été pratiquée de manière diffuse par l’armée de terre, la marine, les affaires étrangères (le Département d’Etat) et la police fédérale (le FBI). Vu d’un mauvais œil par beaucoup, par ses rivaux comme par nombre de « bonnes âmes », il avait été finalement imposé par le président Roosevelt le 13 juin 1942 au nom de la nécessité. Aux grands maux les grands remèdes, aux grandes guerres les grands services secrets !


Un Allemand agent double

Bâtie sur le modèle de son équivalent britannique le SOE (Special Operations Executive), l’OSS n’a pas démérité, malgré son jeune âge, contre l’Allemagne nazie. Et son antenne bernoise a joué un rôle éminent dans la bataille. « Elle n’était pas qu’un centre administratif, confie le Suisse Jacques Baud, auteur de plusieurs livres sur le renseignement. Elle a organisé toutes sortes d’opérations en territoire ennemi et glané de nombreuses informations d’importance. Les renseignements acquis sur les V2 qui bombardaient Londres venaient, par exemple, de ses agents. »

L’espion le plus prolifique du bureau bernois était un fonctionnaire du Ministère allemand des affaires étrangères, Fritz Kolbe, alias George Wood. Pendant ses années d’activité, l’homme a transmis à l’OSS quelque 1200 documents, dont aucun ne datait de plus de deux semaines. Parmi ses révélations, un rapport établissant que le valet de l’ambassadeur britannique à Ankara était un espion allemand. Une affaire fameuse à l’origine d’un film, L’Affaire Cicéron.


Les exploits d’Allen Dulles

L’une des raisons du succès de l’antenne bernoise résidait dans la personnalité de son chef, Allen Dulles, un diplomate de formation tombé tout jeune, au cours de la Première Guerre mondiale déjà, dans le renseignement. Très vite remarqué pour son excellence dans cet art très particulier, le « maître espion » a été logiquement récupéré par l’OSS au plus fort du conflit mondial suivant pour être envoyé au 23 de la Herrengasse. Et, sous le nom d’« Agent 110 » ou de « Mr Bull », il a brillamment tenu son rôle au cœur du Vieux Continent. Performance qui lui a valu de devenir quelques années plus tard l’un des directeurs les plus marquants de la CIA. Et l’un des plus contestés : il a notamment organisé le renversement du premier ministre iranien Mossadegh et le débarquement raté de la baie des Cochons à Cuba.

« Les activités de l’OSS sur sol helvétique restent peu connues, regrette Jacques Baud. La Suisse est restée très discrète, et même secrète, sur son importance pour le renseignement allié durant la Seconde Guerre mondiale. Dommage. A ceux qui l’accusent d’avoir été trop conciliante avec l’Allemagne nazie, elle est en droit d’opposer ce rôle-là. D’autant qu’elle n’a pas été seulement un théâtre d’opérations. Ses services secrets ont aussi œuvré durant toute la période aux côtés de leurs homologues américain, britannique, gaulliste et même soviétique. »

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Une exposition sur la guerre clandestine en Suisse du second conflit mondial à la fin de la Guerre froide aura lieu du 2 au 11 octobre prochain à la Foire de Fribourg.
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Etienne Dubuis