Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

dimanche 7 juin 2009

Les coulisses du terrorisme

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Les États-Unis entraînent depuis des années des terroristes dans un camp en Georgie - ceci est toujours d’actualité

" Si des gouvernements, quels qu’ils soient, sponsorisent les hors-la-loi et les tueurs d’innocents," a déclaré George Bush le jour où il a commencé à bombarder l’Afghanistan, "ils deviennent eux-mêmes des hors-la-loi et des assassins. Ils prendront cette voie solitaire à leur propre péril." Je suis content qu’il ait dit " des gouvernements quels qu’ils soient", car il y en a un qui, bien qu’il ne soit pas encore identifié comme sponsor du terrorisme, requiert d’urgence son attention.

Depuis 55 ans, il existe un camp d’entraînement dont les victimes dépassent massivement le nombre de personnes tuées par les attentats de New York, les explosions à l’ambassade et autres atrocités attribuées, à tort ou à raison, à al Qaida. Le camp s’appelle The Western Hemisphere Institute for Security Cooperation, ou le Whisc. (NDT : Institut de l’Hemisphère Ouest pour la Coopération Sécuritaire). Ce camp est basé à Fort Benning, en Georgie; il a été financé par le gouvernement Bush.

Jusqu’au mois de juin de cette année, le Whisc était surnommé "The School of the Americas" ou SOA. (NDT : "l’Ecole des Amériques" ou SOA). Depuis 1946, la SOA a entraîné plus de 60 000 soldats et policiers latino-américains. Parmi ses gradés se trouvent les tortionnaires, les meurtriers de masse, les dictateurs et les terroristes d’État les plus célèbres du continent. Comme des centaines de pages de documentation compilées par le groupe de pression SOA Watch Now l’attestent, l’Amérique latine a été dépecée par ses anciens élèves.

Au mois de juin de cette année, le Colonel Byron Lima Estrada, alors qu’il était étudiant à l’Ecole, a été condamné à Guatemala Ville pour le meurtre de Bishop Juan Gerardi en 1998. Gerardi fut assassiné car il avait apporté son aide à la rédaction d’un rapport sur les atrocités commises par le D-2, l’agence des services secrets militaires dirigée par Lima Estrada avec l’aide de deux gradés de la SOA, de Guatemala Ville. Le D-2 avait coordonné "la campagne anti-insurrectionnelle" qui avait anéanti 448 villages indiens Mayas, assassinant 10 000 personnes.
14% des ministres du cabinet qui ont travaillé au service des régimes génocidaires de Lucas Garcia, Rios Montt et Mejia Victores, ont fait leurs études à l’Ecole des Amériques.

En 1993, la Commission des Nations Unies pour la vérité sur le Salvador a désigné les officiers de l’armée ayant commis les pires atrocités durant la guerre civile. Les deux tiers d’entre eux avaient été entraînés à L’Ecole des Amériques. Parmi eux se trouvaient Roberto d’Aubuisson, le chef de l’escadron de la mort de Salvador, les hommes qui avaient tué l’archevêque Oscar Romero, ainsi que 19 des 26 soldats qui avaient assassiné les prêtres jésuites en 1989. Au Chili, les gradés de l’Ecole avaient fait partie à la fois de la police secrète d’Augusto Pinochet et de ses trois principaux camps de concentration. L’un d’entre eux a participé à l’assassinat d’Orlando Letelier et de Ronni Moffit à Washington en 1976.

Les dictateurs de l’Argentine, Roberto Viola et Leopoldo Galtieri, ceux du Pananma, Manuel Noriega et Omar Torrijos, celui du Pérou, Juan Velasco Alvarado et celui de l’Equateur, Guillermo Rodriguez, ont tous bénéficié des enseignements de l’Ecole. De même pour le chef de l’escadron de la mort de "Grupo Colina" (Groupe de la Colline) à Fujimori au Pérou, pour quatre des cinq officiers qui dirigeaient l’infâme Battalion 3-16 au Honduras (qui y contrôlait l’escadron de la mort dans les années 80) et pour le commandant responsable du massacre de Ocosngo à Mexico en 1994.

Tout ceci est de l’histoire ancienne, insistent les défenseurs de l’Ecole. Mais les diplômés de la SOA sont également impliqués dans la sale guerre menée en Colombie avec l’aide des États-Unis. En 1999, le rapport du Département d’État américain concernant les droits de l’homme mentionnaient les noms de deux gradés de la SOA comme étant les assassins d’Alex Lopera, membre de la Commission pour la Paix. L’an dernier, Human Rights Watch révéla que 7 anciens élèves y dirigent des groupes paramilitaires et qu’ils ont commandité des enlèvements, des disparitions, des meurtres et des massacres. Au mois de février de cette année, un gradé de la SOA en Colombie a été déclaré coupable de complicité de torture et du meurtre de 30 paysans par des paramilitaires. L’Ecole attire actuellement la plupart de ses étudiant de Colombie - plus que d’autres pays.

Le FBI définit le terrorisme comme "des actes violents…dans l’intention d’intimider ou d’exercer des pressions sur une population civile, d’influencer la politique d’un gouvernement ou d’affecter la conduite d’un gouvernement", ce qui est la description précise des activités des diplômés de la SOA. Mais comment peut-on s’assurer que leur alma mater (l’école qui a dispensé l’enseignement suivi) a participé à cela ? Eh bien, en 1996, le gouvernement américain a été obligé d’éditer 7 des manuels d’entraînement de l’école. Entre autres conseils pour terroristes, on recommandait le chantage, la torture, l’exécution et l’arrestation des parents de témoins.

L’an dernier, en partie grâce à la campagne dirigée par SOA Watch, plusieurs congressistes ont tenté de fermer l’Ecole. Ils ont été battus par 10 voix. Au lieu de cela, la Chambre des Représentants a voté pour sa fermeture et l’a immédiatement rouverte sous un autre nom. Donc, tout comme Windscale est devenu Sellafield avec l’espoir de l’effacer de la mémoire du public, l’Ecole des Amériques s’est lavée du passé en se renommant elle-même Whisc. Tandis que le Colonnel Mark Morgan informait le Département de la Défense juste avant le vote au Congrès : " Certains de vos chefs nous ont dit qu’ils ne peuvent supporter tout ce qui est estampillé "Ecole des Amériques". Nous proposons ceci : elle change de nom." Paul Coverdell, le Sénateur de Géorgie qui s’était battu pour sauver l’Ecole, a dit aux journaux que ce changement était "purement cosmétique."Mais visitez le site web Whisc et vous verrez que l’Ecole des Amériques a tout fait sauf de s’extraire des données. Même la page "Histoire" oublie de le mentionner. Les cours au Whisc, nous dit-on, "couvrent un large spectre de domaines en rapport, tels que la planification pour les opérations de paix, les premiers secours, les opérations civiles et militaires, l’organisation tactique et les opérations anti-drogue."

Plusieurs pages décrivent ses initiatives concernant les droits de l’homme. Mais, bien qu’il rende compte de la plupart de ses programmes d’entraînement, des techniques de combat et de commando, la contre insurrection et les interrogatoires ne sont pas évoqués. Ni le fait que les options "paix" et "droits de l’homme" de Whisc étaient également présentées par la SOA dans l’espoir d’apaiser le Congrès pour préserver son budget: mais il est peu probable que les étudiants les choisissent.

On ne peut attendre de ce camp d’entraînement terroriste qu’il change de lui-même : après tout, abandonné à son propre sort pour en tirer une leçon, il refuse de reconnaître qu’il a un passé.
Donc, étant donné que la preuve liant l’école à des atrocités continues en Amérique latine est plus forte que la preuve liant les camps d’entraînement d’al-Qaida aux attentats de New York, que devrions-nous faire de ces "acteurs maléfiques" à Fort Benning en Georgie ?

Eh bien, nous pourrions pousser nos gouvernements à appliquer toute la pression diplomatique possible, et demander l’extradition des commandants en vue d’un jugement pour complicité de crimes contre l’humanité.Alternativement, nous pourrions demander que nos gouvernements attaquent les Etats-Unis, qu’ils bombardent ses installations militaires, ses villes et ses aéroports dans l’espoir de renverser son gouvernement non élu et de le remplacer par une administration supervisée par les Nations Unies. S’il s’avère que cette proposition est impopulaire auprès de la population américaine, nous pourrions gagner son cœur et son esprit en lui jetant des naan (les pains au Moyen-Orient) et du curry séché dans des sacs en plastique marqués du drapeau Afghan.

Vous pouvez objecter que cette prescription est ridicule, je suis d’accord. Mais même en essayant, je ne peux faire la différence morale entre ce moyen d’action et la guerre lancée maintenant contre l’Afghanistan.
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George Monbiot