Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mercredi 19 novembre 2025

Israël : une opposition loyale au consensus colonial

 

Au lendemain du 7 octobre 2023, analystes et commentateurs s’empressaient d’annoncer la chute du Premier ministre Benyamin Netanyahou. Or, à un an du prochain scrutin législatif, prévu en octobre 2026, les sondages créditent son parti, le Likoud, du plus grand nombre de députés, tout en convergeant sur l’incapacité de la coalition au pouvoir à conserver sa majorité au Parlement (67 élus sur 120). Les attentes sont importantes quant à l’émergence d’une alternative au gouvernement le plus extrémiste de l’histoire d’Israël. Mais la force de la contestation ne doit pas occulter une autre réalité : celle d’un consensus, parmi les Israéliens, en faveur du maintien d’un ordre colonial à l’encontre des Palestiniens.

La crise politique qui s’est ouverte en Israël en 2019, qui a entraîné cinq cycles électoraux, n’est pas terminée. Les guerres menées dans la bande de Gaza et au Liban ont permis de souder la société dans une union militariste, mais laissent transparaître des fractures profondes. Moins massive qu’en 2023, la contestation s’est néanmoins adaptée au nouveau contexte imposé par ces conflits.

Une opposition divisée

Le mouvement hétéroclite Crime Minister, polarisé contre Benyamin Netanyahou, constitue l’une des deux forces majeures de la contestation. Ces opposants « de principe » au Premier ministre jugent immoraux son maintien au pouvoir alors qu’il est visé par plusieurs procès pour corruption, ainsi que la présence de figures de l’extrême droite à des postes gouvernementaux. L’autre dynamique s’est structurée autour des familles des captifs israéliens retenus dans la bande de Gaza. Si le Hostage and Missing Families Forum constitue leur base centrale de ralliement, il ne forme pas un mouvement homogène. La majorité se retrouve lors des manifestations et veillées du samedi, organisées sur la place des Otages à Tel-Aviv, mais plusieurs familles ont décidé d’engager, en parallèle, des actions plus directes pour confronter les responsables politiques à leur refus de signer un accord de cessez-le-feu. À l’inverse, certaines familles progouvernementales participent au Forum de l’espoir, en soutien à l’effort de guerre et à la pression exercée sur le Hamas, considérés comme les moyens les plus efficaces d’obtenir le retour de leurs proches.

Ces deux forces convergent lors des grandes manifestations du samedi, sans pour autant former un cadre politique capable d’incarner une alternative au pouvoir en place. Si aucune figure politique majeure ne semble en mesure d’émerger, plusieurs responsables se partagent le flambeau de l’opposition, à l’instar du centriste laïc Yaïr Lapid, du nationaliste Benny Gantz ou du leader de la « nouvelle » gauche sioniste Hademocratim, Yaïr Golan. Tous s’opposent à la direction prise par Benyamin Netanyahou, en particulier au poids et à l’influence accordés aux messianistes. En revanche, ils ont unanimement critiqué la décision du procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, en mai 2024, d’émettre une demande de mandat d’arrêt à l’encontre du Premier ministre et de son ministre de la Défense, Yoav Gallant (2022-2024). Une position qui reflète l’union militariste des Juifs israéliens face à la guerre, mais qui risque d’accentuer le fossé entre cette opposition et les citoyens palestiniens d’Israël. Une donnée fondamentale, dans la mesure où les courants représentés par Benny Gantz, Yaïr Lapid et Yaïr Golan peinent à atteindre la majorité sans l’appui d’autres forces, comme les islamo-conservateurs de Ra’am ou certains partis nationalistes juifs ayant rompu avec Benyamin Netanyahou.

Pour cette opposition loyale au consensus colonial, la gauche radicale reste persona non grata dans toute perspective de coalition parlementaire. Constituée de Juifs non- ou antisionistes et de Palestiniens citoyens d’Israël, elle demeure minoritaire, mais proactive. Elle articule sa critique du gouvernement autour de la nécessité de mettre fin à la guerre et de parvenir à une paix « juste » avec les Palestiniens. Tout en condamnant les attaques du 7 octobre 2023, ses représentants pointent la responsabilité des politiques israéliennes d’apartheid, de colonisation et d’occupation.

À l’inverse, la coalition gouvernementale représente une force politique dont les lignes directrices, bien que marquées par certaines nuances, sont clairement identifiables : abolir les prérogatives de la Cour suprême au profit de l’exécutif, renforcer le contrôle du foncier aux seuls citoyens juifs et celui du religieux sur la vie civile, et rejeter tout projet d’État palestinien, au bénéfice d’une extension de la souveraineté israélienne sur la Cisjordanie. À cela s’ajoute une offensive sans précédent – amorcée avant le 7 octobre 2023 et intensifiée depuis – contre les opposants radicaux, soutenue et relayée par les franges les plus colonialistes et racistes du pays.

Entre interdiction de manifester pendant plusieurs semaines dans les villes arabes et arrestations de centaines de personnes – dont certaines n’ont eu pour seul « délit » que des publications sur les réseaux sociaux en solidarité avec Gaza –, les Palestiniens d’Israël se heurtent à une restriction drastique de leur liberté d’expression, que ce soit sur leur lieu de travail, d’étude ou dans la rue (1). Parallèlement, les citoyens juifs qui bénéficiaient jusqu’alors d’une plus grande marge de manœuvre pour exprimer leur opposition au non-respect des droits des Palestiniens ne sont pas épargnés par cette vague répressive. Ainsi, une loi adoptée à l’automne 2024 autorise le ministère de l’Éducation à suspendre le financement public d’un établissement, à interdire le recrutement d’une personne ou à sanctionner un enseignant en cas de soutien manifeste à une « organisation terroriste » – autrement dit, du point de vue du gouvernement, toute expression de sympathie envers la cause palestinienne. Un autre projet de loi, validé en commission ministérielle, prévoit de taxer jusqu’à 80 % les ONG recevant des financements de « gouvernements étrangers » et de leur interdire le droit d’intenter des poursuites devant les tribunaux israéliens. Benyamin Netanyahou a également soutenu une proposition de son ministre de la Communication, Shlomo Karhi, visant à priver Haaretz, le quotidien libéral de référence, de toute publicité ou subvention provenant d’une administration ou d’un organisme lié à l’État.

Dans le même temps, les quelques députés qui osent condamner à la Knesset les crimes commis par l’armée israélienne dans la bande de Gaza subissent pressions et sanctions. Après sa collègue palestinienne Aida Touma-Suleiman, le député juif Ofer Cassif a été suspendu en novembre 2024 de toute activité parlementaire – à l’exception du vote – pour une durée de six mois. Tous deux sont membres de la coalition de gauche radicale Hadash, qui dénonce la guerre menée dans la bande de Gaza et, plus globalement, les violations des droits des Palestiniens. Le 19 janvier 2025, c’est le leader de cette formation, le député communiste Ayman Odeh, qui a fait l’objet d’une campagne raciste et d’une procédure parlementaire en vue de son expulsion de la Knesset. En cause : ses propos se réjouissant de la libération « des otages et des prisonniers » et appelant dans le même temps à ce que les « deux peuples [soient] libérés du fardeau de l’occupation ».

L’une des conséquences de cette atmosphère liberticide se manifeste dans plusieurs capitales européennes, à commencer par Berlin ou Londres : ces dernières années, des dizaines de milliers d’Israéliens ont opté pour la Yerida, l’émigration. Les motifs varient, mais une constante ressort : l’angoisse face à l’hégémonie de la droite nationaliste sur le pays. Parmi ces exilés, nombreux sont ceux qui formaient autrefois la base militante du mouvement de solidarité avec les Palestiniens.

Une société fracturée

Les fragilités de la société israélienne mises en lumière au cours de la dernière décennie ne se sont pas dissipées avec le 7 octobre 2023 – bien au contraire. La première de ces lignes de fracture concerne l’identité même de l’État, portant à la fois sur la réforme du système judiciaire, que la droite souhaite relancer, et sur la conscription des ultra-orthodoxes, soutenue par Benyamin Netanyahou. Sur ces deux points, l’opposition se fait entendre en se présentant à la Knesset comme un rempart face aux attaques de la majorité gouvernementale contre la Cour suprême, tout en défendant l’idée d’un enrôlement de l’ensemble des citoyens juifs. Comme lors du mouvement de contestation de 2023, elle s’affirme en représentante des intérêts du capital israélien, forte de ses soutiens au sein de la « start-up nation », des grandes entreprises et du monde académique. À l’inverse, le camp gouvernemental est caricaturé comme celui d’un Israël périphérique, dépendant des aides sociales et manipulé par les religieux. Le 25 juin 2024, la plus haute instance de justice du pays a levé l’exemption de service militaire dont bénéficiaient les ultra-orthodoxes depuis 1948, considérant qu’eux aussi devaient prendre part à l’effort de guerre. Une décision lourde de conséquences : plus de 65 000 hommes âgés de 18 à 26 ans sont concernés, et l’équilibre politique pourrait s’en trouver bouleversé, les deux partis ultra-orthodoxes (Shas et Judaïsme unifié de la Torah) disposant de 18 sièges à la Knesset.

La seconde fragilité est d’ordre socio-économique : avec un coût de la guerre évalué à 10 % du PIB, l’économie israélienne s’appuie largement sur les aides extérieures pour maintenir l’effort militaire. Mais tout porte à croire que les retombées pour les Israéliens seront difficiles. À cela s’ajoute le doublement des fonds alloués à la défense en 2024, qui absorbent près de 20 % du budget de l’État. L’expérience passée ne laisse guère de doute sur la méthode envisagée par Benyamin Netanyahou et ses ministres pour tenter de rééquilibrer les comptes : coupes dans les autres dépenses publiques et augmentation des taxes. Les conséquences s’annoncent redoutables pour les plus précaires, dans un pays où un quart de la population vit déjà sous le seuil de pauvreté. Face à cela, l’opposition peine à proposer des alternatives concrètes.

Il n’en existe d’ailleurs pas davantage sur la question palestinienne. Pourtant à l’origine des attaques du 7 octobre 2023, cet enjeu ne divise pas le champ politique juif israélien – alors même qu’il concerne le devenir politique de plus de la moitié des habitants résidant entre la Méditerranée et le fleuve Jourdain. Pour les 2 millions d’Arabes (sur une population totale de 9,32 millions en 2024) en possession de la citoyenneté israélienne, la perspective de vivre dans un État égalitaire relève du mirage. Les dispositifs juridiques qui structurent leur statut de sous-citoyens ne sont pas contestés ou ne sont appréhendés que sous l’angle des discriminations par l’opposition. Cette vision permet à la fois de faire porter la responsabilité sur l’extrême droite au pouvoir, de relativiser les rapports de domination d’ordre colonial en les rapprochant des inégalités subies par les minorités en Occident, et surtout d’éviter de remettre en question la dualité « Juif et démocratique ».

« Mirage » est aussi le mot qui pourrait qualifier le projet d’État palestinien, tant une telle perspective est rejetée par une majorité d’Israéliens (entre 60 et 70 %, selon les sondages). Ce rejet est relayé par leurs représentants à la Knesset : en février 2024, 99 parlementaires sur 120 ont soutenu une résolution s’opposant aux « reconnaissances unilatérales » de l’État de Palestine ; en juillet, ils étaient 68 à rejeter la création d’un État palestinien à l’ouest du Jourdain. Quelques mois plus tard, un texte interdisant « les activités de l’UNRWA sur le territoire israélien », comprenant Jérusalem-Est, était approuvé par 92 voix. Dans le même temps, la représentation de l’Union européenne (UE) dans les Territoires occupés indique qu’un nombre record de permis de construire en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ont été délivrés en 2023 par les autorités israéliennes en faveur des colonies, avec respectivement 12 349 et 18 333 nouveaux logements (2).

Une stratégie gouvernementale de « guerre permanente »

Le retour des captifs depuis la bande de Gaza avait nourri l’espoir de voir la société israélienne refermer le chapitre de la guerre. Les sondages témoignaient alors du soutien d’une majorité d’Israéliens en faveur d’un accord et de l’instauration d’une commission d’enquête sur les responsabilités liées à la faillite sécuritaire du 7 octobre 2023 (3). Mais, le 18 mars, à l’issue de la première phase de trêve, tandis que les négociations pour la mise en place de la seconde piétinent, le gouvernement israélien relance une campagne de bombardements qui fait plusieurs centaines de victimes dans la bande de Gaza. Quelques jours plus tard, une nouvelle offensive terrestre est engagée, ciblant plusieurs zones de l’enclave.

Le choix du gouvernement israélien de poursuivre la destruction de la bande de Gaza doit être appréhendé au regard de facteurs à la fois internes et externes. Du côté israélien, cette stratégie permet à Benyamin Netanyahou de reprendre la main sur les événements, alors que sa situation personnelle empire sur le plan judiciaire. Outre ses multiples procès en cours, le scandale du « Qatargate » met en cause les liens entre son entourage et l’émirat. Mais politiquement, le Premier ministre renforce sa coalition avec l’extrême droite. À l’échelle internationale, la proposition du président Donald Trump (depuis janvier 2025) de transformer Gaza en « riviera du Moyen-Orient » lève un tabou en Israël : le projet de nettoyage ethnique dans l’enclave palestinienne devient une option assumée par Benyamin Netanyahou et ses ministres, sans que l’opposition la conteste frontalement. Benny Gantz a salué des propositions « créatrices et originales », Yaïr Lapid s’est limité à quelques réserves en rappelant qu’il revenait à Israël de présenter « son propre plan », tandis que Yaïr Golan s’est contenté d’en souligner le manque de réalisme. Au sein de la société, une majorité de Juifs israéliens approuvent le plan Trump, donc l’expulsion des Palestiniens de la bande de Gaza (4).

La menace que ce plan fait peser sur le sort des captifs relance la mobilisation. Au premier plan, le Conseil d’octobre, créé symboliquement en octobre 2024, entend représenter les victimes des attaques du Hamas – survivants, anciens captifs, proches de victimes ou d’otages. Depuis sa formation, ses membres multiplient les opérations au sein de la Knesset. Toutefois, l’opposition ne peut que constater son impuissance face aux choix du gouvernement. Dès lors, chaque événement devient un levier pour tenter d’accentuer la pression sur Benyamin Netanyahou, à l’instar du limogeage, le 20 mars 2025, de Ronen Bar, chef du Shin Bet (renseignements intérieurs), chargé de l’enquête sur l’entourage du Premier ministre.

Si cette décision illustre la dérive autoritaire d’un pouvoir prêt à tout pour assurer sa survie, la contestation qui l’accompagne reste marquée par une cécité concernant la participation de cette institution et de son directeur aux crimes commis contre les Palestiniens. Il en va de même pour la Cour suprême, symbole défendu par l’opposition, mais qui, dans une série de résolutions, a rejeté, le 27 mars 2025, une requête déposée par cinq ONG israéliennes visant à contraindre le gouvernement à autoriser sans entrave l’entrée et la distribution d’aide humanitaire dans la bande de Gaza. Alors que la catastrophe humanitaire en cours dans l’enclave palestinienne s’aggrave et que le caractère génocidaire des crimes commis fait l’objet d’un consensus parmi les experts et juristes, la société juive israélienne semble enfermée dans une bulle cognitive qui ne laisse place à aucun autre narratif que celui d’une guerre « juste et existentielle ».

Les raisons sont multiples. Sans oblitérer le rôle joué par les médias pour renforcer et conforter l’union militariste sur sa propre opinion, l’institution militaire et son état-major jouissent toujours d’un niveau de soutien et de confiance élevé parmi la population juive. La constitution d’un cabinet de guerre dès le lendemain des attaques du 7 octobre 2023, composé de membres du gouvernement et de parlementaires de l’opposition, a favorisé un tel consensus. Pendant les premières semaines du conflit, rares furent les voix qui réclamaient un cessez-le-feu. Il a fallu attendre la première trêve, déclarée le 23 novembre 2023, et surtout la reprise des hostilités le 1er décembre, pour entendre davantage de critiques.

La conclusion de ce premier accord a permis à de nombreuses ONG et forces politiques de s’emparer des demandes de cessez-le-feu pour obtenir la libération des captifs, tout en évitant les accusations de trahison. Cependant, cela ne marque pas la fin de la guerre. Seule une minorité d’organisations parvient à faire converger ces deux exigences. Ce n’est que le 18 janvier 2024, à Tel-Aviv, que la première manifestation d’ampleur a eu lieu dans une ville juive, appelant explicitement à la fin de la guerre. Un événement initié par un collectif d’ONG rassemblé autour des mouvements Standing Together et Women Wage Peace.

Une paix lointaine et illusoire

Pour autant, les appels à la « paix » ne semblent plus tabous. Le 1er juillet 2024, 50 organisations israéliennes rassemblent près de 6 000 personnes à Tel-Aviv pour un meeting sous le slogan « It’s Time », sans pour autant expliciter la marche politique à suivre. En janvier 2025, plus d’un millier de jeunes participent à un Woodstock for Peace Festival au sud du désert du Néguev. Parallèlement, les ONG Mesarvot et Yesh Gvul, qui accompagnent les objecteurs de conscience et les refuzniks, témoignent d’une augmentation des « refus gris » – des personnes invoquant des raisons de santé pour échapper à l’enrôlement obligatoire, tout en évitant l’incarcération. Plus significatif encore, dans les semaines suivant la rupture du cessez-le-feu, des réservistes issus de plusieurs unités militaires publient des lettres ouvertes, cumulant plus de 100 000 signatures, pour critiquer le gouvernement et appeler à un accord pour la libération des otages. Par ailleurs, de plus en plus de soldats ayant servi dans la bande de Gaza livrent des témoignages qui ébranlent le narratif imposé par les autorités soutenant l’effort de guerre : tirs arbitraires sur des civils, y compris des enfants, des adolescents et des personnes âgées ; incendies de maisons sans raison stratégique ; pillages et actes de vandalisme…

este à savoir si ces espoirs seront suffisants pour faire naître une offre politique alternative et significative. Pour l’instant, celle-ci demeure inaudible, tant les discours bellicistes de la droite et de ses alliés extrémistes en faveur de l’annexion – de la bande de Gaza comme de la Cisjordanie – monopolisent l’espace public. L’opposition centriste et nationaliste ne tranche pas davantage, se refusant à considérer la Cisjordanie autrement que comme un territoire où l’« implantation » de Juifs israéliens est légitime. Dans un champ politique aussi droitisé et polarisé, la simple défense d’une solution conforme au droit à l’autodétermination des deux peuples – comprenant la création de deux États souverains – représente déjà une position radicale, qui se trouve essentiellement portée par les Palestiniens d’Israël et une faible minorité de Juifs. 

Notes

(1) Adalah, « The Persecution of Palestinian Students in Israeli Universities and Colleges during the War on Gaza », 25 mars 2024.

(2) Bureau du représentant de l’UE (Cisjordanie et bande de Gaza, UNWRA), « Rapport 2023 sur les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée, y compris Jérusalem-Est (janvier-décembre 2023) », 5 septembre 2024.

(3) Tamar Harmann, « Majority of Israelis Support a Deal to Release All Hostages and End the War », The Israel Democracy Institute, 15 janvier 2025 ; Dana Blander et Eran Shamir-Borer, « The Majority of the Israeli Public Supports Establishing a State Commission of Inquiry into the Events of October 7 », The Israel Democracy Institute, 29 août 2024.

(4) Tamir Sorek, « En Israël, comment les appels à l’élimination des Palestiniens ne sont plus tabous », in www​.yanii​.fr, 30 mai 2025.

Thomas Vescovi

areion24.news

Pologne : les services secrets russes derrière "le sabotage" des chemins de fer ?

 

Les procureurs polonais ont ouvert une enquête sur des « actes de sabotage à caractère terroriste » commis au profit de services de renseignement étrangers.

Le Premier ministre polonais Donald Tusk a affirmé mardi que les services de renseignement russes avaient orchestré une explosion sur une ligne ferroviaire utilisée pour transporter de l'aide à l'Ukraine, perpétrée par deux ressortissants ukrainiens travaillant comme agents pour leur compte.

« Les auteurs identifiés sont deux citoyens ukrainiens qui coopèrent depuis longtemps avec les services de renseignement russes. Leur identité est connue », a-t-il déclaré au Parlement à Varsovie.

Le Premier ministre polonais n'a pas révélé les noms des auteurs présumés.

Plus tôt mardi, un porte-parole du gouvernement a déclaré que des preuves suggéraient que les services de renseignement russes semblaient avoir ordonné le sabotage au cours du week-end.

« Tout indique » que l'incident ferroviaire du week-end a été « initié par les services secrets russes », a déclaré Jacek Dobrzyński, porte-parole du ministre polonais des Services secrets, dans des commentaires rapportés par l'agence de presse polonaise (PAP).

Dobrzyński s'est exprimé après une réunion du Comité national de sécurité du gouvernement, qui s'est tenue mardi matin et à laquelle ont participé des commandants militaires, des chefs des services de renseignement et un représentant du président.

Dans ce que Tusk a qualifié lundi d'« acte de sabotage sans précédent », un tronçon de la ligne ferroviaire reliant Varsovie, la capitale polonaise, à la frontière ukrainienne a été détruit par une explosion au cours du week-end.

Un autre tronçon plus au sud a également été endommagé dans ce que les autorités qualifient également de sabotage probable.

Les procureurs polonais enquêtent sur des « actes de sabotage à caractère terroriste » visant les infrastructures ferroviaires et commis au profit de services de renseignement étrangers.

« Ces actions ont entraîné un danger immédiat de catastrophe ferroviaire, menaçant la vie et la santé de nombreuses personnes et causant des dommages matériels à grande échelle », ont déclaré les procureurs dans un communiqué.

Le ministre de la Défense, Władysław Kosiniak-Kamysz, a déclaré mardi à Radio Zet que les autorités enquêtaient sur l'utilisation prévue d'une caméra trouvée près des voies endommagées sur la ligne Varsovie-Lublin.

Il a également déclaré que des patrouilles de l'armée avaient été envoyées pour vérifier la sécurité des voies ferrées et d'autres infrastructures clés dans l'est du pays.

Lors du premier incident, une explosion a endommagé les voies près du village de Mika, à environ 100 kilomètres au sud-est de Varsovie, et lors d'un autre incident, des lignes électriques ont été détruites dans la région de Puławy, à 50 kilomètres de Lublin.

Les trains transportant des passagers ont été contraints de s'arrêter aux deux endroits, mais personne n'a été blessé.

« L'explosion visait très probablement à faire sauter le train », a déclaré M. Tusk lundi en référence à l'incident de Mika.

Les dégâts causés aux deux endroits ont depuis été réparés.

fr.euronews.com

Hallucinant: Trump défend avec vigueur le prince héritier MBS concernant l’assassinat de Jamal Khashoggi

 

En plus d’offrir à «MBS» une spectaculaire réhabilitation diplomatique assortie d’importants accords dans la défense et l’énergie, Donald Trump a défendu avec vigueur mardi le prince héritier saoudien concernant l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en 2018.

Ce dernier a obtenu plusieurs faveurs du président des Etats-Unis, comme la désignation de l’Arabie saoudite comme «allié majeur non-membre de l’Otan», mais aussi la promesse d’une livraison «future» d’avions de combat F-35, d’une coopération renforcée dans le nucléaire civil, et d’un accès aux technologies américaines avancées en matière d’intelligence artificielle.

«Vous parlez d’une personne extrêmement controversée. Beaucoup de gens n’aimaient pas ce monsieur dont vous parlez. Que vous l’aimiez ou pas, des choses se sont produites», a lancé le républicain de 79 ans en réponse à une question sur Jamal Khashoggi, ancien chroniqueur du Washington Post.

Mohammed ben Salmane «n’était au courant de rien», a affirmé Donald Trump, qui s’en est pris violemment à la journaliste de la chaîne ABC qui posait la question. Il l’a accusée, pendant un échange dans le Bureau ovale en compagnie du prince héritier, de chercher à «embarrasser» celui qu’il qualifie de «très bon ami».

Reçu avec une garde à cheval, des coups de canon et un survol d’avions de combat, le dirigeant de facto du royaume saoudien a même eu droit aux louanges du président américain pour son bilan «incroyable en matière de droits humains.»

Résidant aux Etats-Unis, critique du pouvoir saoudien après en avoir été proche, Jamal Khashoggi a été tué dans le consulat saoudien à Istanbul par des agents venus d’Arabie saoudite.

Enorme erreur

Son corps, démembré, n’a jamais été retrouvé. Les services secrets américains ont pointé une responsabilité directe de Mohammed ben Salmane, ce qui a quasiment gelé, pendant un temps, la relation avec les Etats-Unis.

«C’est douloureux et c’est une énorme erreur et nous faisons de notre mieux pour que cela n’arrive pas à nouveau», a dit mardi le prince héritier saoudien, surnommé MBS.

La veuve de Jamal Khashoggi l’a ensuite interpellé. «Le prince héritier a dit qu’il était désolé, il devrait donc me rencontrer, me présenter ses excuses et m’indemniser pour le meurtre de mon mari», a écrit Hanan Elatr Khashoggi sur X.

Alors que son prédécesseur démocrate Joe Biden voulait traiter Mohammed ben Salmane en «paria», le président américain l’a reçu avec autant d’égards que s’il était un chef d’Etat, alors même que son père le roi Salmane reste le souverain en titre.

Il a aussi accédé à des demandes insistantes de l’Arabie saoudite.

Les deux Etats ont ratifié une «déclaration commune» sur l’énergie nucléaire civile qui «crée la base légale pour une coopération se chiffrant en milliards de dollars sur plusieurs décennies» et «menée dans le respect de règles fortes de non-prolifération», selon l’exécutif américain.

Reconnaissance d’Israël

Par ailleurs, Donald Trump «a donné son feu vert» à de futures livraisons de F-35», des avions de combat américains de technologie avancée dans le cadre d’un «Accord de défense» bilatéral, selon la même source.

Arabie saoudite et Etats-Unis ont enfin signé un accord donnant à la monarchie pétrolière, qui cherche à diversifier son économie, «l’accès à des systèmes américains de pointe» d’intelligence artificielle tout en protégeant ces technologies de «toute ingérence étrangère».

Washington cherche à assurer que la Chine, dont l’Arabie saoudite est proche, ne mettra pas la main sur les dernières innovations américaines en matière de puces.

Mohammed ben Salmane a lui promis de porter à 1000 milliards de dollars, contre 600 auparavant, le montant des futurs investissements saoudiens aux Etats-Unis, comme Donald Trump le réclamait.

Il a en revanche temporisé sur une demande insistante du président américain, qui voudrait que l’Arabie saoudite rejoigne les accords d’Abraham, son grand projet de normalisation des liens entre les pays arabes et Israël.

«Nous souhaitons faire partie des accords d’Abraham. Mais nous voulons également nous assurer que la voie vers une solution à deux Etats est clairement tracée», alors qu’Israël refuse toute création d’un Etat palestinien, a dit le prince héritier.

AFP

lundi 17 novembre 2025

Les sécuritaires français, Laurent Nunez en tète, ont pesé pour libérer Boualem Sansal

 

Arrêté à Alger le 12 novembre 2024, Boualem Sansal vient enfin d’être libéré par le Président algérien alors qu’il avait été condamné à cinq ans de prison pour atteinte à l’intégrité du territoire de l’Algérie pour avoir mis en cause le tracé des frontières du pays avec le Maroc. En France et naturellement à Mondafrique, la détention d’un citoyen, écrivain ou pas,  pour délit d’opinion est jugée inacceptable. Nous serons toujours là pour nous battre sur ce terrain là. Pour autant, il faut pourtant comprendre qu’en Algérie, beaucoup ne sont pas choqués outre mesure par une loi qui interdit, sous peine de prison, toute remise en cause du tracé des frontières nationales dans un pays qui a payé si cher son indépendance face au colonialisme.

Nous nous penchons dans cette chronique sur les raisons qui ont permis que l’écrivain malade et âgé soit enfin libéré.

Rappelons d’emblée que l’auteur franco-algérien du « serment des barbares », Boualem Sansal, dont nous redisons combien nous saluons la libération, n’est pas un perdreau de l’année, loin de là. Cet ancien et haut responsable du ministère de l’industrie algérien qui jouissait d’une très grande estime de l’ancien Président Bouteflika et de son clan qui lui ont confié longtemps de discrètes missions notamment avec les Israéliens, connaissait parfaitement la loi algérienne sur les remises en cause des frontières du pays et les risques qu’il encourait en se rendant à Alger. Pourquoi a-t-il agi ainsi? Comment cet homme informé a eu l’étrange idée de se rendre en novembre 2024 en Algérie dont il connaissait parfaitement la législation relative à l’atteinte à l’intégrité nationale du pays? D’autant plus que la France et l’Algérie traversaient alors la plus grave crise diplomatique de leur histoire tumultueuse qui n’incitait pas les tribunaux à Alger à manifester la moindre indulgence.

Autre obstacle à toute amnistie, les relations coupables de l’écrivain avec la droite extrême et ses liens avec d’anciens diplomates en poste à Alger convertis à une croisade contre l’immigration en faisaient de plus une cible désignée pour tous les dirigeants algériens soucieux du sort de leurs ressortissants en France. 

Arrêté en novembre dernier pour être condamné à cinq années de prison, l’écrivain ne purgera qu’une année de détention avant d’être gracié par le président algérien le 12 Octobre, un an jour pour jour après la date de son arrestation. Durant toute cette période, Boualem Sansal aura suscité des engagements passionnés du milieu politique et littéraire parisien et des critiques sans fin du pouvoir algérien. Seul souci de ces interventions contre productives, les vraies raisons de son maintien en détention ont été passées sous silence alors que les deux présidents Tebboune et Macron souhaitaient trouver vite une issue et relancer la coopération entre Paris et Alger.

Le primat de la politique interne 

Bruno Retailleau, l’ex ministre français de l’Intérieur qui avait fait de sa répulsion pour l’Algérie un fonds de commerce électoral en vue de sa candidature à la Présidentielle et le général Abdelkader Heddad, surnommé « El Ginn », l’ancien patron du contre espionnage algérien fut l’instigateur, cet hiver, d’opérations de commandos sur le sol français contre des opposants ainsi que de la campagne anti française de pseudos lanceurs d’alerte mi délinquants et mi barbouzes. Paris demandait son départ depuis longtemps. Ce haut gradé a été chassé de son poste l’hiver dernier avant d’être traduit en justice, pplacé en résidence surveillée, avant de s’enfuir en Espagne. Il sera récupéré finalement par les services algériens après un détour pour l’Espagne .(2) 

Ces deux personnages toxiques ont attisé le contentieux entre les deux pays en maintenant des positions inflexibles pour des raisons qui répondent pà des exigences des politiques intérieures des deux pays. Un ministre de l’intérieur aspirant à jouer un rôle politique de premier plan au sein de son parti et, pourquoi pas, s’assurer une place candidat à la présidentielle de 2027. A Alger, un système, toujours en quête de stabilité au sein de ses services de sécurité, soucieux de garder une posture intransigeante vis à vis de l’ancienne puissance coloniale pour renforcer le front intérieur après la débâcle diplomatique à l’ONU concernant le dossier du Sahara Occidental.

La mise à l’écart de ces deux personnalités toxiques  a redonné un nouveau souffle aux négociations entamées depuis l’arrestation de l’écrivain.

Des multiples passerelles

L’historien et  spécialiste de l’Algérie, Benjamin Stora, proche de l’Élysée, évoque les nombreuses médiations qui ont été tentées entre Tebboune et Macron, longtemps impuissants hélas. « Les négociations se sont faites dans la discrétion, loin des vacarmes et du bruit » insiste l’historien. Les négociations étaient multiples, les Italiens au début, un canal constant avec le Vatican via l’archevêque franco algérien, Jean Paul Vesco présent à Alger, la diplomatie allemande  Dans ces liens souterrains entre Paris et Alger, un homme de l’ombre insubmersible et influent, proche d’Emmanuel Macron, aura joué un rôle décisif. Il s’agit de l’industriel et millionnaire franco algérien Prosper Amouyal.

Prosper Amouyal et Emmanuel Macron

Le clan Amouyal d’origine sépharade a joué un rôle historique essentiel dans l’import-export de blé et de semoule entre les deux pays avant l’indépendance de l’Algérie, mais également après 1962 en bonne intelligence avec les militaires algériens. Au mieux avec feu l’ex Président français Jacques Chirac ainsi qu’avec Abdelaziz Bouteflika,  avec la monarchie marocaine ou encore avec la communauté juive française, cet industriel talentueux et fin diplomate qui vit avenue Montaigne et collectionne les peintures orientalistes sait jouer, même à un âge avancé, les intermédiaires efficaces.

À Alger, le principal interlocuteur de Prosper Amouyal aura été longtemps le général-major Mansour Benamara, appelé communément Hadj Redouane, revenu précipitamment aux affaires après la mort de Gaïd Salah, après avoir été l’ancien chef de cabinet pendant dix-neuf ans du tout puissant patron du DRS (ex services secrets) et maitre du pays pendant un quart de siècle, le général Toufik. Ce haut gradé sans états d’âme est très impliqué dans les relations sécuritaires avec la France, y compris dans le contrôle politique de la diaspora algérienne. 

L’ascension de Laurent Nunez

À Paris, un des contacts privilégiés de Prosper Amouyal n’est autre que l’ancien coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme d’Emmanuel  Macron devenu ministre de l’Intérieur, Laurent Nunez, dont la famille est également originaire d’Oran en Algérie. Son arrivée place Beauvau  aura certainement constitué un signe d’apaisement très fort pour les autorités algériennes. Ce protégé d’Emmanuel Macron a toujours cultivé des relations outre Méditerranée. 

Outre cet héritage familial, l’ancien responsable de la DGSI (contre espionnage français) est très attaché comme la plupart des patrons des services français aux liens entretenus traditionnellement avec leurs homologues algériens. Sans parler de l’aide pathétique que Charles Pasqua a apporté durant son passage au ministère de l’Intérieur zn 1987 à l’assassin de l’opposant historique d’Alger, Ali Mecili, qui a pu regagner son pays sans être arrêté, la coopération sécuritaire entre Paris et Alger a atteint son apogée au début du deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron. Passé inaperçu, un accord sécuritaire  avait été conclu en 2022 entre Paris et Alger lors de la visite d’État du président franças et dix de ses ministres en Algérie. Cette coopération concernait notamment le terrorisme au Mali, le grand banditisme international et la situation des djihadistes franco-maghrébins qui sévissent encore en Irak et en Syrie. Le 11 mai dernier, Alger expulsait douze agents consulaires, dont deux appartenaient à la DGSI et en charge de veiller au bon fonctionnement de cet accord devenu depuis sans objet.

Ainsi avec l’affaire Sansal qui s’ajoutait à la reconnaissance de la marocanité du Sahara par la France, on assistait à l’enterrement de la coopération sécuritaire relancée avec force alors que les relations entre Paris et Alger étaient au beau fixe. Dés sa prise de fonction, Laurent Nunez  annonce d’emblée « être favorable à un compromis ». Le ministre est déjà annoncé au début décembre à Alger. « Nos relations sur le plan sécuritaire, notamment en matière de terrorisme, ont été réduites à leur plus simple expression, une situation que je regrette ». estimait cet été sur France Info Cécile Berthon, qui a succédé à Laurent Nunez comme patronne du contre espionnage français. Les expulsions à répétition de deux agents de la DGSI en poste à Alger dans le cadre de cette coopération témoignent de la gravité de la crise entre les deux pays et des dommages causés en matière de lutte contre le terrorisme.

Ces derniers jours, les sécuritaires français avaient été chargés de préparer les esprits à la nouvelle donne « Aujourd’hui, nous avons des signaux qui viennent de la partie algérienne sur la volonté de la reprise du dialogue», déclarait la semaine dernière, Nicolas Lerner, le patron de la DGSE, sur les ondes de France-Inter.  

Des retrouvailles désormais possibles

Plus généralement, la France, écartée d’un grand nombre de projets économiques et commerciaux, voit sa place en Algérie se réduire en peau de chagrin. On parle de 18 milliards de pertes pour l’Héxagone, aussi bien dans le secteur agricole que pour l’annulation de projets, du métro d’Alger à la gestion de l’eau par le groupe Suez. D’autres projets en étude voyaient la Chine, la Turquie, l’Italie se positionner au détriment de Paris.

Encore fallait-il « habiller » l’amnistie concédée par le président Tebboune à Boualem Sansal sous une forme acceptable qui ne laisse pas se développer le sentiment d’une reddition face à Paris. Dans le role de médiateur, le partenaire allemand dispose de nombreux atouts. Coté algérien, il est apprécié pour une position équilibrée sur le dossier du Sahara occidental et une discrétion exemplaire sur les soins prodigués au président Tebboune atteint du covid. Plus récemment, l’ambassadeur d’Allemagne à Alger avait intercédé auprès des autorités algériennes pour assouplir les conditions des visites des familles de Boualem Sansal et du journaliste Christophe Gleize.

L’intervention du président allemand, Frank-walter Steinmeier, pour des raisons humanitaires, des éléments de langage qui ne trompent personne, permet à Alger de sauver la face et à Paris de retrouver un interlocuteur valable sur les dossiers du Mali et du Sahel. 

Notes

(1) L’écrivain avait remis en cause les frontières occidentales de son pays, lors d’une interview accordée au média « Frontières », un magazine très à droite et avait défendu l’appartenance de certaines zones tribales au Royaume du Maroc durant la colonisation et que la France avait finalement attribué à l’Algérie..La loi 87 bis en Algérie prévoit que quiconque reproduit ou diffuse sciemment des documents, imprimés ou renseignements faisant l’apologie des actes visés, est puni d’une peine de réclusion 

(2) Il semble, d’après nos sources, que parvenu effectivement en Espagne grâce à ses nombreux réseaux, le général El Djinn ait été renvoyé en Algérie par le gouvernement socialiste espagnol, dont certains ministres ont bénéficié des largesses marocaines et qui est acquis aux thèses du Maroc sur le Sahara occidental. Les Espagnols étaient apparemment soucieux de rétablir de meilleures relations avec leurs anciens amis algériens pour des raisons de fourniture de gaz.

Nicolas Beau

mondafrique.com

Les sociétés militaires privées : vers une privatisation de la guerre ?

 

Comme vous l’expliquez dans votre ouvrage Guerres privées, les sociétés militaires privées (SMP) sont aujourd’hui devenues des acteurs internationaux incontournables. Mais qu’entend-on exactement par « société militaire privée » ? Quelle est la différence  s’il y en a une  avec des mercenaires ?

Une société militaire privée, ou SMP, est définie, selon le Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale de 2008, comme une entreprise civile qui fournit des services de soutien, de conseil ou d’appui, traditionnellement assurés par les forces armées régulières. Autrement dit, ce sont des sociétés commerciales intervenant dans des domaines qui sont habituellement réservés aux forces armées nationales.

La grande différence avec les mercenaires réside justement dans cette dimension institutionnalisée. Là où les mercenaires sont, par essence, des combattants engagés au service du plus offrant, dans une logique individuelle, opportuniste et souvent illégale, les SMP, elles, sont des structures enregistrées, encadrées juridiquement, qui proposent des prestations à des clients, souvent étatiques ou parapublics, dans une logique contractuelle et commerciale.

La frontière peut sembler floue entre SMP et mercenariat, mais cette ambiguïté fait tout l’intérêt du fonctionnement de ces structures. D’ailleurs, selon les pays, la terminologie elle-même varie. En France, on préfère parler d’ESSD, pour « entreprises de services de sécurité et de défense ». D’autres préfèrent ESP, pour « entreprises de sécurité privée », ou encore EMSP, pour « entreprises militaires et de sécurité privée ». Proches, ces termes décrivent une même réalité.

Depuis quand existe ce type de société ?

Le mercenariat a toujours existé ; c’est l’un des métiers les plus vieux du monde. Mais les SMP, en tant qu’entités commerciales structurées, apparaissent bien plus récemment. L’une des premières incarnations de ce modèle remonte à la seconde guerre sino-japonaise, juste avant la Seconde Guerre mondiale. C’est à cette période que les États-Unis créent une organisation connue sous le nom de Flying Tigers. Officiellement civile, cette société regroupait en réalité des pilotes de l’armée de l’air américaine envoyés pour soutenir la Chine contre l’envahisseur japonais, à un moment où Washington n’était pas encore entré en guerre contre le Japon. Il s’agissait donc d’un contournement habile de la neutralité officielle par le biais d’une structure privée. Bien que les Américains aient été les premiers à initier ce modèle des SMP, ce sont les Britanniques qui l’exploitent véritablement après 1945, grâce à une figure centrale : David Stirling, le fondateur du Special Air Service (SAS) britannique. Pendant la guerre froide, le gouvernement britannique fait appel à ses compétences en guerre asymétrique pour mener des opérations dans des zones où Londres ne peut pas intervenir officiellement. C’est donc Stirling qui a jeté les bases des SMP telles qu’on les connait aujourd’hui. Elles commencent d’abord à être actives en Afrique, puis au Moyen-Orient, notamment au Yémen.

Mais c’est véritablement dans les années 1990, après la chute du mur de Berlin, que le phénomène prend de l’ampleur. La première SMP à vraiment faire parler d’elle est la société sud-africaine Executive Outcomes, qui marque un tournant. À partir de là, le marché explose : les Américains suivent le modèle britannique et commencent à développer leurs propres sociétés. Celles-ci se développent discrètement entre la chute du Mur et les guerres d’Afghanistan (2001) et d’Irak (2003), avant d’apparaitre en pleine lumière avec le groupe Blackwater lors du massacre de la place Nisour, en 2007 à Bagdad. Ce scandale provoque une onde de choc internationale en révélant au grand public le rôle tentaculaire de ces sociétés dans les zones de conflit.

C’est à partir de ce moment que des efforts sont engagés pour encadrer juridiquement ces acteurs. Le droit international étant contraignant, seuls les droits nationaux régulent ce type de société. En parallèle, de nombreux pays, séduits par les avantages de ces entités, notamment leur flexibilité et le flou juridique, commencent à développer leurs propres SMP, à l’image de la Russie, de la Turquie ou encore de la Chine. Aujourd’hui, on trouve ces sociétés sur tous les continents.

Dans votre ouvrage, vous dites que si ces sociétés existent, c’est avant tout parce qu’elles répondent à une demande toujours croissante sur l’ensemble des continents. Quelles sont les principales vocations de ces sociétés ?

Les missions de ces SMP sont multiples et leur spectre d’intervention ne cesse de s’élargir. Certaines sont très spécialisées, concentrées sur un seul domaine d’expertise, tandis que d’autres couvrent de vastes champs d’activités et occupent des parts de marché considérables dans l’industrie globale de la sécurité et de la défense privée. On retrouve donc des SMP dans des fonctions variées telles que le gardiennage de sites ou d’emprises militaires, la protection de personnalités ou d’infrastructures sensibles, la formation de troupes locales, le soutien logistique, la médecine de guerre, le pilotage de drones, ou encore le renseignement. Elles agissent souvent en appui des armées régulières ou d’organisations internationales, notamment dans des zones à haut risque où les États rechignent à envoyer leurs propres forces.

Mais certaines SMP vont plus loin et interviennent directement dans des combats. Dès lors qu’une société prend part à des opérations armées offensives, elle franchit la ligne rouge juridique du mercenariat et tombe dans l’illégalité.

Si les États-Unis, et plus largement le monde anglo-saxon, concentraient l’essentiel des activités de ce secteur dans les années 1990, celui-ci est aujourd’hui très lucratif — avec un marché estimé à 338 milliards de dollars d’ici 2030 — et s’est internationalisé. Quels sont les principaux acteurs actuels sur ce marché ? Dans quels pays ou régions les SMP opèrent-elles le plus ?

Le marché des SMP est très segmenté. Presque chaque grande puissance dispose désormais de ses propres sociétés, avec des stratégies bien distinctes. La Chine, par exemple, s’est dotée d’un nombre croissant d’entreprises avec un objectif très clair : protéger les intérêts stratégiques de Pékin, notamment dans le cadre du programme des nouvelles routes de la soie. Ainsi, dès qu’un projet chinois est implanté dans une zone instable — en Afrique, en Asie centrale ou au Moyen-Orient —, ces SMP sont mobilisées pour sécuriser les infrastructures, le personnel et les investissements.

Les sociétés anglo-saxonnes, ainsi que les ESSD françaises, continuent de dominer en termes de qualité de service. Cependant, leurs couts sont beaucoup plus élevés que d’autres entreprises, notamment chinoises.

Il existe aussi une forme de « répartition géopolitique » du marché : les sociétés russes, à l’image de Wagner, opèrent principalement dans les zones où Moscou cherche à accroitre son influence, notamment en Afrique centrale, au Sahel, en Syrie ou en Libye. Elles combinent missions militaires, sécurité rapprochée et contrôle de ressources stratégiques.

De manière générale, le plus grand marché pour les SMP reste l’Afrique, le Moyen-Orient et la région pakistano-afghane.

Quelles sont les évolutions récentes du secteur des SMP et comment s’inscrivent-elles dans la reconfiguration géopolitique mondiale actuelle, face aux nouveaux rapports de force ?

Ce qu’on observe aujourd’hui, c’est la création d’oligopoles dans le secteur des SMP. Le marché, très mouvant à l’origine, tend désormais vers une plus grande pérennité, avec de grands groupes émergents qui absorbent des structures plus petites aux champs d’activité variés. En France, par exemple, dans le secteur des ESSD, le groupe ADIT possède désormais des acteurs comme DCI ou GEOS. De manière générale, la privatisation des fonctions régaliennes dans le domaine de la sécurité et de la défense continue de s’accélérer, ce qui s’inscrit dans une dynamique plus large de transformation géopolitique. L’exemple de Wagner est à ce titre révélateur : cette SMP russe a remis en lumière le rôle stratégique que ces structures peuvent jouer sur la scène internationale. L’offre et la demande explosent, et, surtout, on assiste à une forme de normalisation de leur existence.

Cette banalisation est d’ailleurs visible dans l’imaginaire collectif. Jusque dans les années 2010, les SMP étaient très souvent présentées comme les « méchants » dans la fiction. Après 2010, leur image s’est peu à peu « normalisée ». Un exemple récent illustre bien cette évolution : The Mozart Group, une SMP américaine qui opérait en Ukraine en se présentant comme une ONG. En réalité, il s’agissait d’une structure commerciale montée par des Américains, avec un mode de communication très assumé : la levée de fonds par crowdfunding et une image moderne sur les réseaux sociaux — le tout sans chercher à masquer leurs activités.

Quid de la France dans ce secteur ? Quels pourraient être ses intérêts à le développer davantage ?

En France, on préfère l’appellation d’ESSD. Sur le plan officiel, seule une société s’est revendiquée comme SMP : Secopex, dont le fondateur a été assassiné en Libye pendant la guerre civile en mai 2011.

Pour autant, la France compte plusieurs entreprises qui opèrent dans ce secteur, dans le strict respect du cadre légal, et qui rendent des services reconnus et nécessaires, notamment auprès des institutions. Sur le plan réglementaire, la France est souvent présentée comme l’un des meilleurs élèves. Dès 2003, l’adoption d’une loi contre le mercenariat a permis d’encadrer très tôt les activités privées dans le domaine de la défense et de limiter les dérives.

Mais cette rigueur a eu un contrecoup. Si, d’un point de vue éthique, on peut s’en féliciter, elle a aussi brimé les capacités d’exportation des sociétés françaises sur un marché international plus souple et concurrentiel. De ce fait, plusieurs entrepreneurs français ont choisi de créer leurs sociétés à l’étranger, notamment au Royaume-Uni ou aux États-Unis, afin de contourner le droit français et de bénéficier d’un environnement juridique plus favorable. C’est le cas, par exemple, d’Alexandre Benalla, dont la société est enregistrée au Royaume-Uni. Ce choix n’est pas anodin, car il permet de fonctionner en dehors du cadre juridique français, tout en opérant dans un secteur en pleine expansion.

La Turquie est-elle également un acteur présent dans ce secteur ?

En Turquie, plusieurs SMP existent, même si la plus connue reste Sadat. C’est celle qui communique le plus et qui se présente comme la seule SMP turque. En réalité, ce n’est pas exact. D’autres structures actives, comme Ekol Security, opèrent dans des domaines similaires. La Turquie s’est clairement inspirée du modèle anglo-saxon pour les développer. Des personnalités issues des milieux militaires, du renseignement et de l’appareil gouvernemental ont participé à leur création. Ces SMP turques sont avant tout des outils d’influence, directement alignés sur les objectifs stratégiques du gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan. Sadat en est l’exemple le plus emblématique. On les retrouve sur plusieurs théâtres d’opérations : au Haut-Karabagh, en Ukraine, en Libye. Leur mode opératoire inclut notamment le recours à des combattants djihadistes syriens, envoyés en première ligne de front pour appuyer les intérêts d’Ankara. Ces sociétés agissent donc comme des extensions non officielles de la politique extérieure turque, permettant à l’État d’intervenir sans apparaitre officiellement.

Les SMP sont-elles avant tout au service des gouvernements ? Existe-t-il des cas particuliers ou des différences selon les États ?

De manière générale, une SMP n’est jamais totalement indépendante d’un État. Il existe toujours un lien plus ou moins direct, car les profils qui composent ces structures sont le plus souvent d’anciens militaires, ex-membres des forces spéciales, des services de renseignement ou de la police, issus des appareils sécuritaires nationaux. Autrement dit, ils ne peuvent pas opérer sans, au minimum, l’aval tacite de leur gouvernement d’origine.

Certes, il existe des cas marginaux où certaines SMP ont semblé s’éloigner de leur tutelle étatique, à l’instar de Secopex, précédemment mentionnée. Plusieurs hypothèses entourant l’assassinat de son fondateur en Libye reposent sur la possible divulgation d’informations sensibles, potentiellement compromettantes pour la France. Ce cas alimente l’idée qu’une SMP agissant à contre-courant des intérêts stratégiques de son État risque non seulement l’isolement, mais aussi un démantèlement rapide.

Un autre cas extrême et atypique est celui du groupe Malhama Tactical, une SMP djihadiste. Actif au Moyen-Orient, dans le Caucase et en Syrie, ce groupe ne s’aligne sur aucun État, mais sur des idéologies et des allégeances proches d’Al-Qaïda ou de l’État islamique. On est ici face à une dérive radicale du modèle des SMP : une structure privée créée pour former des djihadistes tout en poursuivant un objectif lucratif. C’est, d’une certaine manière, le pire scénario en matière de privatisation de la violence.

Cela dit, ces cas restent exceptionnels. Dans l’immense majorité des situations, les SMP sont l’émanation directe des intérêts étatiques. Et lorsque certaines prennent trop de distance, elles sont généralement ramenées dans le rang. Leur autonomie reste donc toujours relative, conditionnée par les équilibres politiques nationaux.

Vous expliquez que le groupe Wagner en Ukraine avait une structure correspondant davantage à la définition d’une milice qu’à celle d’une SMP. Pourquoi ? Quid des autres entreprises russes du secteur comme Afrika Corps ?

Wagner, en réalité, n’est pas une entité unique. C’est un nom générique qui regroupe plusieurs structures opérant sous la même bannière. Sous cette appellation coexistait plusieurs composantes, certaines liées au renseignement, d’autres à l’influence, chacune avec des fonctions bien distinctes. On trouve également des sociétés minières et des entreprises actives dans différentes régions du monde pour protéger des infrastructures ou mener des opérations armées. À l’origine, la mission principale de Wagner était claire : défendre les intérêts stratégiques de la Russie à l’étranger.

Mais la guerre en Ukraine a marqué un tournant. Le groupe s’est vu confier une autre mission : devenir un véritable supplétif de l’armée russe sur le front ukrainien. À partir de là, on a assisté à une rupture. Wagner a commencé à recruter massivement, notamment dans les prisons, et à engager un grand nombre de combattants. En Ukraine, Wagner est devenu une force combattante à part entière, intégrée à l’effort de guerre russe, ce qui l’éloigne du fonctionnement traditionnel d’une SMP telle qu’on l’entend. Elle est devenue une unité paramilitaire, avec un rôle stratégique majeur, mais toujours au service direct des objectifs militaires du Kremlin.

La tentative de rébellion du groupe Wagner contre l’État russe, menée par Evgueni Prigojine jusqu’à sa mort en 2023, reste entourée de zones d’ombre. Officiellement, l’une des explications avancées est la volonté du ministère russe de la Défense d’imposer des contrats aux membres de Wagner afin de mieux les contrôler. Mais il est probable que d’autres facteurs aient contribué à cette rupture. À la question : « Qui a tué Prigojine ? », il serait peut-être plus pertinent de se demander : « Qui ne voulait pas sa mort ? »

Aujourd’hui, on estime qu’il existe entre 30 et 40 structures associées à des SMP russes, du moins par la nationalité de leurs fondateurs, de leurs cadres ou de leurs combattants. Mais Wagner reste un cas à part. Ce qui subsiste désormais du groupe est tenu d’une main de fer et cohabite avec l’Africa Corps.

De manière générale, il est très difficile de dresser une cartographie précise de l’ensemble des SMP russes. Dans certains cas, on ignore même s’il s’agit de véritables SMP ou simplement d’unités de sécurité créées par des entreprises privées comme Gazprom.

Alors que le secteur demeure très opaque, quelles sont les principales sources de financement de ces entreprises ? Existe-t-il des passerelles avec l’économie criminelle ? Que représente réellement l’exploitation des ressources naturelles dans l’économie des SMP ?

Tout dépend du type d’activité de la société concernée. La majorité des SMP tirent leurs revenus de contrats formels passés avec des États, des ONG ou des organisations internationales comme les Nations Unies. Ces prestations peuvent aller de la formation à la sécurité de sites sensibles, en passant par la protection de personnels ou d’infrastructures.

Mais d’autres sociétés, notamment dans les zones instables, opèrent dans des environnements où les ressources naturelles sont au cœur des enjeux économiques. C’est le cas par exemple d’Executive Outcomes, une SMP sud-africaine très active dans les années 1990, notamment en Angola et en Sierra Leone. Elle est intervenue dans des zones diamantifères et aurait perçu jusqu’à 40 millions de dollars pour sa participation au conflit angolais, en grande partie financés par les sociétés minières qu’elle était chargée de sécuriser.

Le modèle s’est renforcé avec des groupes plus récents comme Wagner, qui a développé une stratégie étroitement liée à l’exploitation des ressources naturelles. En République centrafricaine, au Soudan ou encore au Mali, Wagner n’exploitait pas directement les mines d’or, de diamant ou de lithium, mais assurait la protection des infrastructures minières, en échange de concessions ou d’un accès privilégié à certains gisements. Cette logique leur aurait permis de générer, entre février 2022 et décembre 2023, environ 2,5 milliards de dollars de revenus liés à leurs opérations.

Il est toutefois difficile d’évaluer précisément la part que représente ce type de financement dans l’économie globale des SMP, car la frontière entre opérations commerciales, soutien d’État et opportunisme géopolitique est souvent floue.

Quelles sont, selon vous, les principales évolutions possibles à court et moyen terme dans ce secteur ?

Aujourd’hui, nous observons déjà des cas où certaines SMP se retrouvent face à face sur un même théâtre d’opérations. L’exemple le plus emblématique est celui de l’Ukraine, où des SMP russes « affrontent » des SMP occidentales. Ce type de configuration pourrait se reproduire dans d’autres conflits à venir.

Le cas de Taïwan est souvent cité comme un scénario plausible. Certes, Taïwan n’utilise pas directement de SMP au sens strict, mais le territoire accueille déjà de nombreuses sociétés étrangères spécialisées dans la sécurité. Si Pékin décide un jour de reprendre le contrôle de l’ile, il est tout à fait envisageable que des SMP chinoises soient mobilisées en soutien à l’Armée populaire de libération (APL), par exemple pour assurer un blocus maritime.

Le secteur maritime, justement, constitue une zone de développement dynamique pour les SMP chinoises. Des sociétés telles que China Security Technology Group, China Overseas Security Group, Hua Xin Zhong An (Beijing) Security Service Co. Ltd., VSS Security Services, ou encore Zhongjun Junhong Security Service Co. Ltd., y sont de plus en plus actives. Le modèle des SMP, loin de reculer, s’ancre durablement dans les dynamiques sécuritaires contemporaines. Et les chiffres le confirment : le marché mondial de la sécurité privée est en pleine expansion. Les projections économiques tablent sur 338,3 milliards de dollars en 2030, et jusqu’à 385,35 milliards d’ici 2032.

Le recours à ces sociétés répond à un besoin croissant de spécialisation. Les institutions sécuritaires peinent à couvrir certains domaines très techniques. C’est là que les SMP trouvent leur place.

Un acteur à surveiller de près dans les années à venir est l’Ukraine. À l’issue du conflit, on verra émerger une nouvelle génération d’anciens combattants dotés de compétences avancées, aussi bien dans le maniement de matériels d’origine soviétique et occidentale que dans l’usage des drones. Ces profils, formés au combat dans des conditions extrêmes, seront hautement qualifiés pour intégrer ou fonder de nouvelles SMP. Des deux côtés du conflit, Russes comme Ukrainiens alimenteront ainsi le marché mondial de la privatisation de la sécurité et de la défense.

Quant à la question de savoir si le maintien de la paix peut être un marché pour les SMP, il ne s’agit en réalité pas d’un terrain inédit pour elles. Dès 2010, les Nations Unies avaient déjà dépensé 72 millions de dollars pour des prestations fournies par des sociétés privées. Dans ce contexte, il n’est pas tant question de morale que d’efficacité : lorsqu’il s’agit, par exemple, de former du personnel humanitaire à évoluer dans un champ de mines, les institutions internationales font tout simplement appel à des professionnels. Et souvent, ce sont les SMP qui détiennent ces savoir-faire.

Valère Llobet

areion24.news