Arrêté à Alger le 12 novembre 2024, Boualem Sansal vient enfin d’être libéré par le Président algérien alors qu’il avait été condamné à cinq ans de prison pour atteinte à l’intégrité du territoire de l’Algérie pour avoir mis en cause le tracé des frontières du pays avec le Maroc. En France et naturellement à Mondafrique, la détention d’un citoyen, écrivain ou pas, pour délit d’opinion est jugée inacceptable. Nous serons toujours là pour nous battre sur ce terrain là. Pour autant, il faut pourtant comprendre qu’en Algérie, beaucoup ne sont pas choqués outre mesure par une loi qui interdit, sous peine de prison, toute remise en cause du tracé des frontières nationales dans un pays qui a payé si cher son indépendance face au colonialisme.
Nous nous penchons dans cette chronique sur les raisons qui ont permis que l’écrivain malade et âgé soit enfin libéré.
Rappelons d’emblée que l’auteur franco-algérien du « serment des barbares », Boualem Sansal, dont nous redisons combien nous saluons la libération, n’est pas un perdreau de l’année, loin de là. Cet ancien et haut responsable du ministère de l’industrie algérien qui jouissait d’une très grande estime de l’ancien Président Bouteflika et de son clan qui lui ont confié longtemps de discrètes missions notamment avec les Israéliens, connaissait parfaitement la loi algérienne sur les remises en cause des frontières du pays et les risques qu’il encourait en se rendant à Alger. Pourquoi a-t-il agi ainsi? Comment cet homme informé a eu l’étrange idée de se rendre en novembre 2024 en Algérie dont il connaissait parfaitement la législation relative à l’atteinte à l’intégrité nationale du pays? D’autant plus que la France et l’Algérie traversaient alors la plus grave crise diplomatique de leur histoire tumultueuse qui n’incitait pas les tribunaux à Alger à manifester la moindre indulgence.
Autre obstacle à toute amnistie, les relations coupables de l’écrivain avec la droite extrême et ses liens avec d’anciens diplomates en poste à Alger convertis à une croisade contre l’immigration en faisaient de plus une cible désignée pour tous les dirigeants algériens soucieux du sort de leurs ressortissants en France.
Arrêté en novembre dernier pour être condamné à cinq années de prison, l’écrivain ne purgera qu’une année de détention avant d’être gracié par le président algérien le 12 Octobre, un an jour pour jour après la date de son arrestation. Durant toute cette période, Boualem Sansal aura suscité des engagements passionnés du milieu politique et littéraire parisien et des critiques sans fin du pouvoir algérien. Seul souci de ces interventions contre productives, les vraies raisons de son maintien en détention ont été passées sous silence alors que les deux présidents Tebboune et Macron souhaitaient trouver vite une issue et relancer la coopération entre Paris et Alger.
Le primat de la politique interne
Bruno Retailleau, l’ex ministre français de l’Intérieur qui avait fait de sa répulsion pour l’Algérie un fonds de commerce électoral en vue de sa candidature à la Présidentielle et le général Abdelkader Heddad, surnommé « El Ginn », l’ancien patron du contre espionnage algérien fut l’instigateur, cet hiver, d’opérations de commandos sur le sol français contre des opposants ainsi que de la campagne anti française de pseudos lanceurs d’alerte mi délinquants et mi barbouzes. Paris demandait son départ depuis longtemps. Ce haut gradé a été chassé de son poste l’hiver dernier avant d’être traduit en justice, pplacé en résidence surveillée, avant de s’enfuir en Espagne. Il sera récupéré finalement par les services algériens après un détour pour l’Espagne .(2)
Ces deux personnages toxiques ont attisé le contentieux entre les deux pays en maintenant des positions inflexibles pour des raisons qui répondent pà des exigences des politiques intérieures des deux pays. Un ministre de l’intérieur aspirant à jouer un rôle politique de premier plan au sein de son parti et, pourquoi pas, s’assurer une place candidat à la présidentielle de 2027. A Alger, un système, toujours en quête de stabilité au sein de ses services de sécurité, soucieux de garder une posture intransigeante vis à vis de l’ancienne puissance coloniale pour renforcer le front intérieur après la débâcle diplomatique à l’ONU concernant le dossier du Sahara Occidental.
La mise à l’écart de ces deux personnalités toxiques a redonné un nouveau souffle aux négociations entamées depuis l’arrestation de l’écrivain.
Des multiples passerelles
L’historien et spécialiste de l’Algérie, Benjamin Stora, proche de l’Élysée, évoque les nombreuses médiations qui ont été tentées entre Tebboune et Macron, longtemps impuissants hélas. « Les négociations se sont faites dans la discrétion, loin des vacarmes et du bruit » insiste l’historien. Les négociations étaient multiples, les Italiens au début, un canal constant avec le Vatican via l’archevêque franco algérien, Jean Paul Vesco présent à Alger, la diplomatie allemande Dans ces liens souterrains entre Paris et Alger, un homme de l’ombre insubmersible et influent, proche d’Emmanuel Macron, aura joué un rôle décisif. Il s’agit de l’industriel et millionnaire franco algérien Prosper Amouyal.
Prosper Amouyal et Emmanuel Macron
Le clan Amouyal d’origine sépharade a joué un rôle historique essentiel dans l’import-export de blé et de semoule entre les deux pays avant l’indépendance de l’Algérie, mais également après 1962 en bonne intelligence avec les militaires algériens. Au mieux avec feu l’ex Président français Jacques Chirac ainsi qu’avec Abdelaziz Bouteflika, avec la monarchie marocaine ou encore avec la communauté juive française, cet industriel talentueux et fin diplomate qui vit avenue Montaigne et collectionne les peintures orientalistes sait jouer, même à un âge avancé, les intermédiaires efficaces.
À Alger, le principal interlocuteur de Prosper Amouyal aura été longtemps le général-major Mansour Benamara, appelé communément Hadj Redouane, revenu précipitamment aux affaires après la mort de Gaïd Salah, après avoir été l’ancien chef de cabinet pendant dix-neuf ans du tout puissant patron du DRS (ex services secrets) et maitre du pays pendant un quart de siècle, le général Toufik. Ce haut gradé sans états d’âme est très impliqué dans les relations sécuritaires avec la France, y compris dans le contrôle politique de la diaspora algérienne.
L’ascension de Laurent Nunez
À Paris, un des contacts privilégiés de Prosper Amouyal n’est autre que l’ancien coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme d’Emmanuel Macron devenu ministre de l’Intérieur, Laurent Nunez, dont la famille est également originaire d’Oran en Algérie. Son arrivée place Beauvau aura certainement constitué un signe d’apaisement très fort pour les autorités algériennes. Ce protégé d’Emmanuel Macron a toujours cultivé des relations outre Méditerranée.
Outre cet héritage familial, l’ancien responsable de la DGSI (contre espionnage français) est très attaché comme la plupart des patrons des services français aux liens entretenus traditionnellement avec leurs homologues algériens. Sans parler de l’aide pathétique que Charles Pasqua a apporté durant son passage au ministère de l’Intérieur zn 1987 à l’assassin de l’opposant historique d’Alger, Ali Mecili, qui a pu regagner son pays sans être arrêté, la coopération sécuritaire entre Paris et Alger a atteint son apogée au début du deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron. Passé inaperçu, un accord sécuritaire avait été conclu en 2022 entre Paris et Alger lors de la visite d’État du président franças et dix de ses ministres en Algérie. Cette coopération concernait notamment le terrorisme au Mali, le grand banditisme international et la situation des djihadistes franco-maghrébins qui sévissent encore en Irak et en Syrie. Le 11 mai dernier, Alger expulsait douze agents consulaires, dont deux appartenaient à la DGSI et en charge de veiller au bon fonctionnement de cet accord devenu depuis sans objet.
Ainsi avec l’affaire Sansal qui s’ajoutait à la reconnaissance de la marocanité du Sahara par la France, on assistait à l’enterrement de la coopération sécuritaire relancée avec force alors que les relations entre Paris et Alger étaient au beau fixe. Dés sa prise de fonction, Laurent Nunez annonce d’emblée « être favorable à un compromis ». Le ministre est déjà annoncé au début décembre à Alger. « Nos relations sur le plan sécuritaire, notamment en matière de terrorisme, ont été réduites à leur plus simple expression, une situation que je regrette ». estimait cet été sur France Info Cécile Berthon, qui a succédé à Laurent Nunez comme patronne du contre espionnage français. Les expulsions à répétition de deux agents de la DGSI en poste à Alger dans le cadre de cette coopération témoignent de la gravité de la crise entre les deux pays et des dommages causés en matière de lutte contre le terrorisme.
Ces derniers jours, les sécuritaires français avaient été chargés de préparer les esprits à la nouvelle donne « Aujourd’hui, nous avons des signaux qui viennent de la partie algérienne sur la volonté de la reprise du dialogue», déclarait la semaine dernière, Nicolas Lerner, le patron de la DGSE, sur les ondes de France-Inter.
Des retrouvailles désormais possibles
Plus généralement, la France, écartée d’un grand nombre de projets économiques et commerciaux, voit sa place en Algérie se réduire en peau de chagrin. On parle de 18 milliards de pertes pour l’Héxagone, aussi bien dans le secteur agricole que pour l’annulation de projets, du métro d’Alger à la gestion de l’eau par le groupe Suez. D’autres projets en étude voyaient la Chine, la Turquie, l’Italie se positionner au détriment de Paris.
Encore fallait-il « habiller » l’amnistie concédée par le président Tebboune à Boualem Sansal sous une forme acceptable qui ne laisse pas se développer le sentiment d’une reddition face à Paris. Dans le role de médiateur, le partenaire allemand dispose de nombreux atouts. Coté algérien, il est apprécié pour une position équilibrée sur le dossier du Sahara occidental et une discrétion exemplaire sur les soins prodigués au président Tebboune atteint du covid. Plus récemment, l’ambassadeur d’Allemagne à Alger avait intercédé auprès des autorités algériennes pour assouplir les conditions des visites des familles de Boualem Sansal et du journaliste Christophe Gleize.
L’intervention du président allemand, Frank-walter Steinmeier, pour des raisons humanitaires, des éléments de langage qui ne trompent personne, permet à Alger de sauver la face et à Paris de retrouver un interlocuteur valable sur les dossiers du Mali et du Sahel.
Notes
(1) L’écrivain avait remis en cause les frontières occidentales de son pays, lors d’une interview accordée au média « Frontières », un magazine très à droite et avait défendu l’appartenance de certaines zones tribales au Royaume du Maroc durant la colonisation et que la France avait finalement attribué à l’Algérie..La loi 87 bis en Algérie prévoit que quiconque reproduit ou diffuse sciemment des documents, imprimés ou renseignements faisant l’apologie des actes visés, est puni d’une peine de réclusion
(2) Il semble, d’après nos sources, que parvenu effectivement en Espagne grâce à ses nombreux réseaux, le général El Djinn ait été renvoyé en Algérie par le gouvernement socialiste espagnol, dont certains ministres ont bénéficié des largesses marocaines et qui est acquis aux thèses du Maroc sur le Sahara occidental. Les Espagnols étaient apparemment soucieux de rétablir de meilleures relations avec leurs anciens amis algériens pour des raisons de fourniture de gaz.
Nicolas Beau
