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mercredi 12 novembre 2025

Les relations Chine-Brésil : un modèle pour le Sud global ?

 

Les relations entre la Chine et le Brésil sont au beau fixe, avec la volonté d’un front commun face au nouvel « impérialisme américain » incarné par Donald Trump. Pour autant ces relations, présentées comme un modèle pour le monde en développement, restent profondément asymétriques et suscitent des interrogations persistantes à Brasilia.

« Nos liens sont à leur meilleur moment dans l’histoire. La Chine est prête à travailler avec le Brésil pour donner un exemple d’unité et d’autonomie parmi les principaux pays du Sud global, pour construire ensemble un monde plus juste et une planète plus durable. » C’est en ces termes que l’agence de presse officielle chinoise Xinhua rapportait la dernière conversation téléphonique entre Xi Jinping et son homologue brésilien Luiz Inácio Lula da Silva le 8 août dernier.

Donald Trump a largement contribué au rapprochement politique entre les deux pays, qui subissent (avec l’Inde) les barrières douanières les plus élevées au monde pour l’entrée de leurs produits sur le marché américain. Une situation perçue comme d’autant plus injuste au Brésil (avec des droits de douanes fixés par Washington à 50%) que le pays entretenait déjà un déficit commercial avec les États-Unis avant l’imposition de ces mesures, qui ont essentiellement une justification politique.

La dynamique déjà ancienne des relations économiques sino-brésiliennes

Si la relation politique entre les deux pays a pris un nouvel élan avec l’aide de Donald Trump, la relation économique est pour sa part en progression constante sur les vingt dernières années. La Chine est le premier partenaire commercial du Brésil dès 2009, au coude à coude avec l’Union européenne à l’époque. Son poids dans le commerce extérieur du Brésil s’accentue à partir de 2016 et dépasse le seuil de 25% à partir de 2020, pour se situer au-dessus de 26% en 2024, très nettement devant l’Union européenne (16%) et les États-Unis (13,7%).


Source : International Trade Center. Calculs de l’auteur


Le Brésil dégage des excédents commerciaux structurels avec la Chine – avec des exportations bilatérales qui représentent 1,5 fois le niveau des importations en 2024 -, alors que les échanges du pays sont à peu près à l’équilibre avec l’Union européenne et légèrement déficitaires avec les États-Unis en 2024, avant le coup de massue tarifaire imposé par Trump.

Concernant les investissements étrangers, la Chine est un acteur relativement récent, avec une présence qui s’est affirmée au cours des 25 dernières années. Historiquement ce sont les Européens et les Nord-Américains qui détenaient les actifs étrangers les plus importants au Brésil, avec respectivement 61% et 23% du stock d’investissements étrangers dans le pays fin 2024, la Chine se situant autour de 6-7%.
Mais la montée en puissance des investissements chinois est aujourd’hui très visible. Elle s’est faite en plusieurs vagues. En 2010-2011 dans le secteur pétrolier et minier, entre 2015 et 2017 dans la transmission électrique – la « State Grid » chinoise possède 14 000 km de lignes électriques au Brésil – et dans l’énergie hydraulique, plus récemment dans l’énergie solaire et le secteur des véhicules électriques, sans oublier les télécom avec le choix de Huawei pour installer la 5G au Brésil. 

Globalement le Brésil représente aujourd’hui la moitié des investissements chinois en Amérique Latine.
La question de l’asymétrie

Le rapprochement économique a cependant une importance inégale pour les deux pays. La Chine peut se passer du Brésil beaucoup plus facilement que le Brésil ne peut le faire à l’égard de la Chine. Si celle-ci est depuis plus de dix ans le premier partenaire commercial du Brésil, le marché brésilien n’est que la dix-septième destination des exportations chinoises (soit à peine 2% du total des ventes chinoises dans le monde en 2024). La dissymétrie est comparable dans le domaine des investissements, où les implantations chinoises au Brésil représentaient 2,2% des investissements à l’étranger du pays en 2024.

Cette asymétrie reflète la différence structurelle des dynamiques économiques entre les deux pays. Leurs PIB en dollars courants étaient comparables au milieu des années quatre-vingt-dix. Trente ans plus tard, le PIB chinois est neuf fois supérieur à celui du Brésil, qui a cessé d’émerger, c’est-à-dire de dépasser le rythme de la croissance mondiale, à partir de 2011.

Source : Banque Mondiale. Word Development Indicators


Le glissement vers une relation néocoloniale

L’asymétrie de taille n’est pas le principal problème du Brésil dans sa relation avec la Chine. Le sujet qui préoccupe le plus les économistes brésiliens est celui de la désindustrialisation du pays et du retour à un commerce extérieur de type néocolonial, avec des exportations dominées par les produits agricoles et les minerais, et des importations massives de biens de consommation et de produits industriels.

La part de l’industrie manufacturière dans le PIB brésilien a diminué de moitié depuis 1993 et plafonne actuellement autour de 12%. Dès 2015, l’économiste britannique Rhys Jenkins concluait, dans une étude sur l’impact de la compétition chinoise sur le marché brésilien, que « le Brésil a connu une relative désindustrialisation, qui est principalement due aux changements dans son commerce extérieur de biens industriels, la compétition chinoise jouant un rôle significatif dans ce processus. »

L’industrie chinoise pèse aujourd’hui vingt fois plus lourd que celle du Brésil. Cette énorme différence de potentiel se reflète dans les échanges entre les deux pays. Les exportations brésiliennes vers la Chine sont composées à plus de 90% de produits de base – soja, minerai de fer, pétrole, coton, sucre, viandes, cellulose – alors que les exportations chinoises sont composées à plus de 90% par une large gamme de produits industriels (électronique, équipements mécaniques, télécommunications, automobile) et de biens de consommation (électroménager, textiles, chaussures, jouets). Une structure d’échanges qui fait penser à ceux que le Royaume-Uni entretenait avec son empire colonial au 19ème siècle.

Le soja à lui seul représente un tiers des exportations brésiliennes vers la Chine. Celle-ci a le choix entre trois grands fournisseurs – Brésil, Argentine, États-Unis – et peut modifier la répartition de ses achats entre ces trois fournisseurs au gré de ses priorités géopolitiques. Le Brésil a profité à plein de la brouille tarifaire entre Pékin et Washington : les exportations brésiliennes vers la Chine ont représenté 84% des importations chinoises de soja au deuxième trimestre 2025, la part américaine ayant été ramenée à zéro. L’accord intervenu entre Donald Trump et Xi Jinping le 30 octobre dernier va relancer les ventes de soja américain, mais le Brésil devrait demeurer le premier fournisseur de la Chine comme il l’a été sur la période récente. Le sujet est très sensible pour Brasilia car la dépendance des exportateurs brésiliens de soja à l’égard du marché chinois est très forte (en moyenne autour de 70%).

L’équilibre délicat de la diplomatie brésilienne à l’égard de Pékin

Lors de la visite de Xi Jinping au Brésil en novembre 2024, la Chine avait proposé que le Brésil rejoigne formellement la BRI (Belt and Road Initiative). Lula avait décliné cette invitation, préférant « établir des synergies » entre son pays et la BRI. Une réaction prudente qui illustre le « non-alignement actif » de la diplomatie brésilienne. L’autonomie formelle que Brasilia entend conserver n’interdit pas des coopérations actives pour développer les infrastructures du pays et pour relancer la production industrielle. En juillet dernier, lors du sommet des BRICS dont le Brésil était l’hôte, les deux pays ont annoncé un accord pour construire une liaison ferroviaire transocéanique entre la côte pacifique et le Pérou d’une part, la côte atlantique et le Brésil d’autre part. Une liaison qui facilitera les échanges directs entre les deux pays à travers le Pacifique. Dans le même temps, le fabriquant automobile chinois BYD annonçait la construction de sa première usine de voitures électriques sud-américaine à Camaçari dans l’État de Bahia. Une décision qui fait suite à la création d’une autre usine de véhicules électriques par Great Wall Motors à Iracemápolis près de São Paulo.

Pour le Brésil, le premier levier du partenariat international entre les deux pays reste les BRICS, dont ils sont membres fondateurs et de fait coleaders. Mais, pour la première fois depuis 2013, Xi Jinping n’a pas participé au dernier sommet des BRICS organisé par Lula à Rio de Janeiro en juillet dernier, une absence liée sans doute à l’urgence des priorités domestiques face à une économie chinoise tournant au ralenti. Par ailleurs l’une des idées « révolutionnaires » avancée par Lula en 2023, consistant à créer une « monnaie commune » entre les BRICS, a provoqué des menaces de nouvelles sanctions commerciales par Donald Trump. Soucieux d’éviter une surenchère avec les États-Unis et de réussir la COP 30, qui se déroule jusqu’au 21 novembre 2025 à Belém, Lula a mis sous le boisseau ses ambitions monétaires lors du sommet des BRICS, dont les conclusions sont restées vagues.

Le second axe du partenariat international sino-brésilien est celui de l’environnement et du changement climatique. Là encore, Xi Jinping n’a pas jugé nécessaire de faire le déplacement à Belém pour le lancement de la COP 30. Il s’est fait représenter par son vice-premier ministre, Ding Xuexiang, dont l’intervention lors du sommet inaugural du 6 novembre ne comportait aucune annonce nouvelle. Le Brésil pourra tout de même compter sur la Chine pour tenter de dégager un consensus final, essentiel pour maintenir une dynamique multilatérale face au retrait des États-Unis et à la coopération minimale de l’Inde, représentée à la conférence de Belém seulement par son ambassadeur à Brasilia.

Hubert Testard

Le rôle de l’IA dans les campagnes informationnelles

 

Manipuler l’information pour fragiliser le moral, semer le doute, déstructurer les sociétés, subvertir plutôt que combattre : voilà une grande partie de l’art de la guerre. Si cette pratique accompagne les affrontements depuis toujours, la technologie en augmente aujourd’hui exponentiellement l’impact.

Du bombardement de tracts aux réseaux sociaux, les vecteurs d’influence n’ont cessé d’évoluer, suivant les mutations technologiques des moyens de communication. L’intelligence artificielle (IA) (1) est la dernière révolution qui prolonge toujours plus la courbe exponentielle de la viralité informationnelle, où la création et la diffusion s’accélèrent au fur et à mesure qu’elle s’automatise. L’IA, surtout générative, contribue de manière inédite à la transformation numérique de la guerre des récits.

Elle accroit l’asymétrie des rapports de force : en démocratisant l’accès à des capacités offensives de pointe, elle abaisse les barrières technologiques pour des acteurs hostiles. L’IA générative (IAG) accentue aussi une asymétrie de combat plus structurelle : celle qui oppose des espaces informationnels ouverts, soumis à la transparence et au pluralisme, à des environnements fermés, strictement contrôlés par des régimes autoritaires.

L’IAG permet aux assaillants informationnels d’envahir les espaces numériques avec une création de contenus toujours plus rapide, crédible et coordonnée. En quelques minutes, des milliers d’articles sont écrits, des photos sont générées ou détournées. Sont également écrites les lignes de codes qui automatisent leur diffusion, puis leur amplification par des réseaux de robots virtuels (bots) (2). En clair : c’est toute la mécanique de l’influence qui change d’échelle.

Aujourd’hui, les acteurs étatiques hostiles, leurs proxies et les cybercriminels s’emparent de ces méthodes. Demain, elles seront omniprésentes. Pour la première fois, en 2024, la menace informationnelle avait pris la tête du classement du World Economic Forum. Cette première place était avant tout due à de multiples échéances électorales, liées à un alignement extraordinaire des calendriers au niveau mondial. Cette année, le risque est maintenu à la première position, car il transcende les élections, devenant une menace constante et protéiforme, en partie grâce à l’IA (3).

Face à cette menace croissante, l’IA elle-même peut constituer un levier de défense, à condition d’être maitrisée, encadrée et utilisée à bon escient. Car il convient de le rappeler : l’IA n’est qu’un outil, et peut aussi, à ce titre, constituer une nouvelle ligne de défense, au service de la résilience démocratique et de la lutte contre la manipulation de l’information.

L’IA, une formidable arme informationnelle

Dès 2016, l’affaire Cambridge Analytica révélait comment l’apprentissage automatique, une forme d’IA, avait servi à cibler des individus sur les réseaux sociaux en fonction de leurs publications, de leurs likes et de leurs réactions. Les mêmes procédés, qui consistaient à collecter et à analyser des données personnelles pour vendre des espaces de publicités — ce que la sociologue américaine Shoshana Zuboff appelle le « capitalisme de surveillance » (4) —, ont pour la première fois été appliqués à la sphère politique, permettant un microciblage électoral d’une efficacité inédite. L’IA avait alors servi à identifier des vulnérabilités psychosociales, à ajuster des messages individualisés, et à automatiser leur diffusion dans des environnements informationnels fragmentés. Ce tournant marqua l’émergence d’une nouvelle grammaire de l’influence numérique, fondée sur l’analyse prédictive et l’optimisation comportementale.

Fin 2022, OpenAI amorçait une seconde vague dans la révolution de l’IA en déployant son premier chatbot conversationnel grand public : ChatGPT. Contrairement aux approches antérieures centrées sur la recommandation et le ciblage, les modèles génératifs permettent la production automatisée et massive de contenus réalistes.

La vitesse et l’amplitude du contenu créé

Avec l’essor des modèles génératifs, la production d’articles, de textes et de publications sur les réseaux sociaux ou les forums en ligne connait une accélération sans précédent. Là où les campagnes d’influence traditionnelles nécessitaient d’importantes ressources, quelques instructions, ou prompts, suffisent désormais à générer automatiquement une multitude de messages, textuels ou visuels. Cette capacité à produire à la fois rapidement et massivement transforme l’échelle des opérations informationnelles : elle permet de saturer les espaces numériques en un temps réduit, de multiplier les angles d’attaque et de maintenir une pression constante sur les opinions publiques. Le réseau Pravda​.network (ou Portal Kombat) en est un parfait exemple. Il a permis de publier plus de 3,6 millions d’articles prorusses la même année (5). Souvent sans intérêt pour un lectorat humain, ces articles visaient à saturer les sources d’apprentissage des IA via une technique nommée LLM grooming, entrainant une contamination algorithmique à grande échelle. En deux mots : à biberonner nos outils quotidiens (ChatGPT, Gemini et autres IAG) de narratifs prorusses, jusqu’à ce que ces mêmes récits figurent dans leurs réponses à nos prompts.

La crédibilité des outils

L’un des effets les plus préoccupants de l’IAG réside dans sa capacité à produire des contenus dont la crédibilité visuelle ou sonore rend leur vérification extrêmement difficile. En quelques secondes, il est possible de générer des visuels ou des voix synthétiques fidèles à des figures publiques, rendant la frontière entre réel et artificiel de plus en plus floue.

Certains outils, comme Grok — le chatbot de xAI, une branche de X, ex-Twitter, dédiée au développement de l’IA —, permettent la création de deepfakes sans la moindre restriction, au détriment des enjeux de sécurité informationnelle. Cette dynamique s’étend désormais à la vidéo, avec des systèmes comme Veo, développé par Google. Dans ce contexte, la capacité à distinguer le vrai du faux devient une priorité stratégique. Si le contenu artificiel est voué à devenir la norme, la transparence quant à son caractère artificiel et à sa source devient un enjeu essentiel.

La coordination des bots : vers des campagnes autonomes ?

Les dernières avancées en matière d’IA permettent d’envisager des campagnes de manipulation de l’information menées non plus par des individus ou des équipes humaines, mais par des essaims (swarms) d’agents automatisés, agissant de manière coordonnée et autonome. Ces systèmes multi-agents reposent sur la collaboration entre différents modèles d’IA — génératifs, prédictifs, conversationnels — capables de produire, relayer, adapter et amplifier des contenus informationnels à grande échelle (6). Chaque agent peut cibler une audience spécifique, réagir en temps réel aux signaux comportementaux, ajuster le ton, le lexique ou le narratif en fonction du contexte, tout en maintenant une illusion de diversité et d’authenticité.

Ces essaims pourraient analyser en continu les effets de leurs actions et affinant leurs stratégies sans intervention humaine. Cette architecture distribuée annonce une transformation profonde du paysage informationnel, où l’autonomie algorithmique remplace progressivement la centralisation humaine dans la conduite des campagnes d’influence.

L’IA face à l’IA : détecter, qualifier, riposter

Face à cette menace, l’IA représente également une partie de la solution. De nombreux acteurs aussi bien publics que privés s’emploient à développer des outils capables de repérer les signaux faibles et de cartographier les narratifs émergents avant qu’ils n’impactent l’opinion publique. La détection de contenus falsifiés est ainsi également devenue une priorité. Grâce à ces outils, les décideurs civils et militaires peuvent bénéficier d’une lecture affinée de l’environnement informationnel.

La détection automatisée des campagnes d’influence progresse rapidement, incluant l’analyse émotionnelle, l’authentification des sources et le fact-checking algorithmique. L’un des défis actuels de la recherche réside dans la fusion multisource de données, combinant sources ouvertes, réseaux sociaux et bases spécialisées, ainsi que dans l’identification automatique des contenus générés par IA à travers le marquage ou la labellisation.

À terme, l’émergence de contre-narratifs automatisés pourrait compléter cet arsenal technologique. L’enjeu stratégique consiste ainsi à encadrer l’IA pour en faire un pilier de la résilience cognitive face aux menaces hybrides.

L’IA générative en pratique : une arme puissante

Alors que la Revue nationale stratégique, actualisée en juillet 2025, réaffirme la centralité de la lutte informationnelle dans les conflits hybrides contemporains (7), le chef d’état-major des armées, le général Burkhard, ainsi que le Service européen pour l’action extérieure, alertaient récemment sur la place singulière de la France comme cible prioritaire des campagnes russes en Europe. Dans un contexte de guerre cognitive exacerbée, les acteurs hostiles, étatiques ou non, cherchent à tirer parti des technologies les plus récentes pour affaiblir nos démocraties.

L’IAG constitue aujourd’hui un multiplicateur d’effet décisif, désormais intégré aux arsenaux informationnels de puissances telles que la Russie ou la Chine. Ces outils, loin d’être hypothétiques, sont d’ores et déjà à l’œuvre dans plusieurs campagnes documentées par des institutions telles que VIGINUM (8).

La désinformation visant les Jeux olympiques de Paris 2024, analysée par VIGINUM, a montré comment l’IAG a permis de créer à la chaine des messages mensongers sur la sécurité de l’événement ou sur la prétendue illégitimité de la France à l’accueillir, dans une logique de sabotage informationnel (9).

Autre cas emblématique : l’opération « Overload », analysée par CheckFirst (10), qui démontre l’usage massif d’IAG en vue d’inonder les réseaux sociaux de contenus falsifiés, souvent diffusés sous l’apparence de médias crédibles. Cette stratégie vise à saturer les circuits de vérification de l’information tout en exploitant la puissance mimétique des contenus synthétiques — voix, vidéos, images — pour semer la confusion.

Enfin, nous pouvons citer le cas de l’attaque menée contre l’image du Rafale à la suite d’un affrontement entre l’Inde et le Pakistan en mai 2025. Exploitant l’annonce d’un Rafale indien présumé abattu, des réseaux liés au Pakistan et à la Chine ont diffusé en ligne, grâce à l’IAG, des fausses vidéos, des déclarations synthétiques et des contenus exagérant les pertes (11). L’objectif : discréditer l’industriel français dans un contexte de compétition commerciale stratégique.

Ces campagnes montrent que l’IAG n’est pas un enjeu à venir, mais une réalité déjà opérationnelle, mobilisée par des acteurs hostiles dans un cadre géopolitique tendu, au service d’objectifs de déstabilisation ciblée.

L’IA comme outil du quotidien, ou une augmentation de la surface de la menace

Si cet article s’est d’abord attaché à décrire l’IAG comme une arme informationnelle, cette dimension n’en représente pourtant qu’un usage parmi d’autres. Ces technologies se sont immiscées dans nos usages quotidiens, devenant un canal privilégié d’accès à l’information. Comme le souligne BPI France, un demi-milliard de personnes pourraient utiliser des outils liés à l’IA d’ici 2027 (12). Cela ouvre cependant de nouvelles brèches : les LLMs peuvent eux-mêmes devenir des agents de déstabilisation.

Le phénomène de LLM Grooming, décrit plus tôt dans cet article, illustre bien ce risque. Or les géants du numérique qui produisent ces modèles semblent peu réceptifs à ces alertes. OpenAI a ainsi cessé d’évaluer ses modèles d’IA avant leur mise sur le marché face au risque d’ingérences électorales et politiques. Dans ce contexte, la question de la souveraineté des IA devient cruciale, comme le souligne la Revue nationale stratégique, en appelant à une réduction des dépendances technologiques.

Ces enjeux ne concernent pas uniquement les IAG. Plus largement, l’ensemble des IA embarquées dans nos interfaces numériques méritent une attention particulière. Les utilisateurs des réseaux sociaux sont ainsi exposés en permanence à une autre forme d’IA, plus diffuse mais tout aussi déterminante : les algorithmes de recommandation, qui pilotent ce que chacun voit, lit ou partage. À cette couche algorithmique déjà structurante s’ajoute une dimension géopolitique préoccupante : certains de ces réseaux sont sous l’influence directe d’États. C’est le cas de TikTok, parfois qualifié de « bras armé de Pékin » dans la guerre informationnelle. Son algorithme de recommandation oscille entre la censure silencieuse (le shadowbanning), qui sévit particulièrement lorsque les utilisateurs s’interrogent quant au sort des Ouïghours, et l’amplification de contenus avec un fort potentiel de fracturation (13).

L’intelligence artificielle a pénétré nos sociétés numérisées pour le meilleur et pour le pire. Elle a la capacité de perturber les perceptions des populations, la réputation des entreprises et les capacités cognitives des responsables politiques, économiques ou militaires. L’enjeu de la recherche et du progrès technologique autour de l’IA est donc critique pour permettre à la France et à l’Europe de reprendre l’avantage dans cet « affrontement numérique de nouvelle génération » entre l’IA éthique et l’IA corrompue.

Notes

(1) L’IA désigne l’ensemble des procédés logiques et automatisés, reposant généralement sur des algorithmes, destinés à reproduire, au moins partiellement, des comportements humains, tels que l’apprentissage, le raisonnement, la planification ou la création.

(2) Programme informatique automatisé pour simuler le comportement humain sur les réseaux sociaux. Un bot est capable de créer des publications, de laisser des commentaires, de partager ou d’aimer d’autres publications (définition de VIGINUM).

(3) Mark Elsner, Grace Atkinson, Saadia Zahidi, The Global Risks Report 2025, 20e édition, World Economic Forum, janvier 2025 (https://​www​.weforum​.org/​p​u​b​l​i​c​a​t​i​o​n​s​/​g​l​o​b​a​l​-​r​i​s​k​s​-​r​e​p​o​r​t​-​2​0​2​5​/​i​n​-​f​u​ll/).

(4) Shoshana Zuboff, The Age of Surveillance Capitalism: The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power, PublicAffairs, 2019.

(5) McKenzie Sadeghi, Isis Blachez, « Un réseau “d’actualité” mondial richement doté, basé à Moscou, a contaminé les outils occidentaux d’intelligence artificielle… », NewsGuard, 6 mars 2025 (https://​www​.newsguardtech​.com/​f​r​/​s​p​e​c​i​a​l​-​r​e​p​o​r​t​s​/​r​e​s​e​a​u​-​g​l​o​b​a​l​-​d​e​s​i​n​f​o​r​m​a​t​i​o​n​-​c​o​n​t​a​m​i​n​a​t​i​o​n​-​i​n​t​e​l​l​i​g​e​n​c​e​-​a​r​t​i​f​i​c​i​e​l​l​e​-​p​r​o​p​a​g​a​n​d​e​-​r​u​sse).

(6) Daniel Thilo Schroeder, Meeyoung Cha, et al., « How Malicious AI Swarms Can Threaten Democracy », Center for Open Science, juin 2025 (https://​doi​.org/​1​0​.​3​1​2​1​9​/​o​s​f​.​i​o​/​q​m​9​y​k​_v1).

(7) Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), Revue nationale stratégique 2025, juillet 2025 (http://​www​.sgdsn​.gouv​.fr/​p​u​b​l​i​c​a​t​i​o​n​s​/​r​e​v​u​e​-​n​a​t​i​o​n​a​l​e​-​s​t​r​a​t​e​g​i​q​u​e​-​2​025).

(8) SGDSN, VIGINUM, Défis et opportunités de l’intelligence artificielle dans la lutte contre les manipulations de l’information, 7 février 2025 (https://www.sgdsn.gouv.fr/files/files/Publications/20250207_NP_SGDSN_VIGINUM_Rapport%20menace%20informationnelle%20IA_VF.pdf).

(9) SGDSN, VIGINUM, Synthèse de la menace informationnelle ayant visé les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, 13 septembre 2024 (http://​www​.sgdsn​.gouv​.fr/​p​u​b​l​i​c​a​t​i​o​n​s​/​s​y​n​t​h​e​s​e​-​d​e​-​l​a​-​m​e​n​a​c​e​-​i​n​f​o​r​m​a​t​i​o​n​n​e​l​l​e​-​a​y​a​n​t​-​v​i​s​e​-​l​e​s​-​j​e​u​x​-​o​l​y​m​p​i​q​u​e​s​-​e​t​-​p​a​r​a​l​y​m​p​i​q​ues).

(10) Aleksandra Atanasova, Francesco Poldi, Guillaume Kuster, Operation Overload: More Platforms, New Techniques, Powered by AI, CheckFirst, juin 2025 (https://checkfirst.network/wp-content/uploads/2025/06/Overload%C2%A02_%20Main%20Draft%20Report_compressed.pdf).

(11) RFI, « French intel claims China launched disinformation campaign against Rafale jets », , 7 juillet 2025 (https://​www​.rfi​.fr/​e​n​/​f​r​a​n​c​e​/​2​0​2​5​0​7​0​7​-​f​r​e​n​c​h​-​i​n​t​e​l​-​c​l​a​i​m​s​-​c​h​i​n​a​-​l​a​u​n​c​h​e​d​-​d​i​s​i​n​f​o​r​m​a​t​i​o​n​-​c​a​m​p​a​i​g​n​-​a​g​a​i​n​s​t​-​r​a​f​a​l​e​-​j​ets).

(12) Sofia Ben Dhaya, « Marché de l’intelligence artificielle : où en sommes-nous ? », BIG média, BPI France, 4 juin 2024 (https://​bigmedia​.bpifrance​.fr/​n​o​s​-​a​c​t​u​a​l​i​t​e​s​/​m​a​r​c​h​e​-​d​e​-​l​i​n​t​e​l​l​i​g​e​n​c​e​-​a​r​t​i​f​i​c​i​e​l​l​e​-​o​u​-​e​n​-​s​o​m​m​e​s​-​n​ous) ; COMK, « Le marché de l’IA va doubler en 4 ans », 17 novembre 2023 (https://​comarketing​-news​.fr/​l​e​-​m​a​r​c​h​e​-​d​e​-​l​i​a​-​v​a​-​d​o​u​b​l​e​r​-​e​n​-​4​-​a​ns/).

(13) Arte, TikTok, un réseau sous influence, 2024 (deux épisodes de 45 minutes).

Thomas Delorme

Général Bruno Courtois

areion24.news

Des proches de Zelensky ciblés par une grande opération anticorruption

 

Les instances ukrainiennes de lutte contre la corruption ont annoncé lundi 10 novembre une vaste opération qui a permis de mettre au jour «une organisation criminelle de haut niveau» dans les secteurs de l'énergie et de la défense. Mais au-delà de la révélation de corruption, ce sont également les personnes ciblées qui pourraient venir ternir la réputation de Volodymyr Zelensky.

En effet, les domiciles de l’ancien ministre de l’Energie et de l'actuel ministre de la Justice, Guerman Galouchtchenko, et Timur Mindich, proche allié du président ukrainien, ont été perquisitionnés. Ce dernier aurait fui quelques heures avant, précise «Le Monde». Timur Mindich est un homme d'affaire discret, copropriétaire de la société de production de Volodymyr Zelensky. Il a vu son ascension débuter avec l’élection de Zelensky en 2019, puis son influence s’accroître surtout après l’invasion russe de 2022, au sein du gouvernement et dans les secteurs de la défense, de l’énergie et de la télévision.

L'Agence nationale anticorruption (NABU) a précisé que l'opération «Midas», menée après 15 mois d'enquête en collaboration avec le Parquet spécialisé anticorruption (SAP), avait abouti à «70 perquisitions» mettant au jour un système criminel qui extorquait des fonds à des sous-traitants de l'entreprise publique du nucléaire Energoatom, et «qu'environ 100 millions de dollars» avaient transité dans des opération de blanchiment.

La lutte contre la corruption est «absolument nécessaire»

Dans son allocution quotidienne lundi soir, le président Volodymyr Zelensky a déclaré que la lutte contre la corruption était «absolument nécessaire» et a appelé les responsables à coopérer avec le NABU. «La transparence au sein de l'entreprise (Energoatom) est une priorité», a affirmé le dirigeant ukrainien. «Des sanctions doivent être prises. Et les représentants du gouvernement doivent collaborer avec le NABU et les forces de l'ordre, selon les besoins, pour obtenir des résultats».

Energoatom a confirmé faire l'objet d'une perquisition et coopérer à l'enquête, sans commenter les accusations de corruption. De son côté, la ministre de l'Energie, Svitlana Grintchouk, a déclaré que le secteur énergétique public se soumettrait aux enquêtes, tout en se préparant à un nouvel hiver sous les frappes russes.

«Il est très important que les enquêtes soient menées de manière transparente», a-t-elle dit. «Dans le même temps, je veux vous rappeler que notre système énergétique est soumis à des attaques sévères et que, naturellement, tout événement chez Energoatom est scruté par chacun avec attention», a-t-elle ajouté.

Des sacs remplis de billets de banque

Plus tôt, le NABU avait publié des photos montrant des sacs de billets de banque en euros et en dollars, mais sans fournir davantage de détails sur l'opération. Le NABU et le SAP ont tous deux été la cible d'une loi portée par le gouvernement et promulguée en juillet, qui prévoyait de les placer sous la tutelle directe du procureur général, lui-même nommé par le président.

Face à la contestation de la société civile et de l'Union européenne, le gouvernement a finalement annoncé qu'il allait «corriger» cette loi. Le secteur énergétique ukrainien est considéré comme particulièrement stratégique, la Russie le pilonnant à coups de missiles et de drones depuis le début de son invasion.

Fin octobre, l'ex-directeur de la compagnie publique Ukrenergo, Volodymyr Koudrytsky, avait déjà été accusé d'avoir participé au détournement d'environ 283'000 euros en 2018 et a été brièvement placé en détention. Une affaire motivée selon lui par des raisons politiques.

Une corruption ukrainienne systémique

Plusieurs personnalités ont été ciblées, dont l’ex-directeur d’Ukrenergo Volodymyr Koudrytsky, déjà accusé de détournement en 2018. «La guerre d'aujourd'hui ne se déroule pas seulement sur le front. C'est aussi une guerre au sein du système, entre ceux qui veulent le changement et ceux qui veulent tout couvrir d'argent et de silence», a déclaré Martyna Bogouslavets, militante anticorruption, sur les réseaux sociaux.

L'Ukraine souffre, comme la Russie et d'autres pays de l'ex-URSS, d'une corruption endémique. Les réformes visant à l'éradiquer sont essentielles pour réaliser ses ambitions d'adhésion à l'Union européenne.

blick.ch

La Colombie suspend sa coopération avec les services de renseignement américains

 

Le président colombien Gustavo Petro a ordonné mardi aux forces de sécurité de son pays de cesser de partager des renseignements avec les États-Unis, tant que l’administration Trump n’aura pas mis fin à ses frappes contre des trafiquants de drogue présumés dans les Caraïbes.

Cette décision intervient alors que les relations entre les deux pays, autrefois partenaires étroits dans la lutte contre le trafic de drogue, se détériorent.

Dans un message publié sur le réseau social X, M. Petro a écrit que l’armée colombienne devait immédiatement rompre «toute communication et tout autre accord avec les agences de sécurité américaines» jusqu’à ce que les États-Unis cessent leurs attaques contre les bateaux soupçonnés de transporter de la drogue, des attaques que les critiques ont comparées à des exécutions extrajudiciaires.

M. Petro a écrit que «la lutte contre la drogue doit être subordonnée aux droits de la personne des populations caribéennes». On ignore pour l’instant la nature des informations que la Colombie cessera de partager avec les États-Unis.

Au moins 75 personnes ont été tuées par l’armée américaine lors de frappes en eaux internationales depuis août, selon les chiffres fournis par l’administration Trump. Ces frappes ont commencé dans le sud des Caraïbes, mais se sont récemment déplacées vers l’est du Pacifique, où les États-Unis ont ciblé des bateaux au large du Mexique.

Le président Petro a demandé qu’une enquête soit ouverte contre le président américain Donald Trump pour crimes de guerre liés aux frappes nucléaires qui ont touché des citoyens du Venezuela, de l’Équateur, de la Colombie et de Trinité-et-Tobago. En octobre, l’administration Trump a imposé des sanctions financières à M. Petro et à sa famille, les accusant d’être impliqués dans le trafic international de drogue.

«Petro a laissé les cartels de la drogue prospérer et a refusé de mettre fin à leurs activités, a déclaré le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, dans un communiqué publié après l’annonce des sanctions le 24 octobre. Le président Trump prend des mesures fermes pour protéger notre nation et affirmer clairement que nous ne tolérerons pas le trafic de drogue sur notre territoire.»

La Maison-Blanche n’a pas immédiatement réagi aux dernières déclarations de M. Petro.

lactualite.com

Corée du Sud : l'ex-chef des renseignements arrêté

 

Des procureurs spéciaux avaient émis un mandat d'arrêt contre Cho Tae-yong et, après l'avoir examiné mardi, un tribunal de Séoul l'a accordé en invoquant le «risque de destruction de preuves», indique-t-il dans un communiqué. «L'accusation principale est la négligence dans l'exercice des fonctions», précise-t-il.

Les procureurs reprochent à M. Cho, diplomate de carrière, qui dirigeait les services de renseignement de Corée du Sud au moment de la déclaration de loi martiale par l'ancien président Yoon Suk-yeol en décembre 2024, de n'avoir rien signalé au Parlement alors qu'il avait «compris le caractère illégal» de cette mesure présidentielle. Il est également accusé de fausses déclarations.

Ex-président Yoon inculpé

«La probabilité qu'il ait été impliqué dans l'insurrection a augmenté», avait déclaré la procureure adjointe Park Ji-young devant des journalistes la semaine dernière.

L'arrestation de M. Cho intervient alors que le parquet sud-coréen a inculpé lundi l'ex-président Yoon Suk-yeol d'aide à l'ennemi, l'accusant d'avoir nui aux intérêts militaires de son pays en ordonnant l'envoi de drones en Corée du Nord.

Les deux voisins sont techniquement toujours en guerre depuis leur conflit (1950-1953), qui s'est soldé par un armistice et non par un traité de paix.

En octobre 2024, la Corée du Nord avait affirmé détenir la preuve que le Sud avait fait voler des drones au-dessus de sa capitale, Pyongyang, pour y déverser des brochures de propagande. Séoul n'a pas confirmé. Lundi, Mme Park a expliqué que l'ancien président était accusé d'avoir «favorisé l'ennemi en général» et d'"abus de pouvoir».

Yoon Suk-yeol, actuellement en prison, a été destitué en avril au terme d'une séquence chaotique déclenchée par sa brève imposition de la loi martiale le 3 décembre 2024. Dans son allocution de ce jour-là, il avait notamment invoqué des menaces nord-coréennes pour justifier sa décision choc.

bluewin.ch