Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

lundi 23 juin 2025

Les guerres inachevées de Trump ressemblent à des défaites

 

La trajectoire politique de Trump est audacieuse, spectaculaire, mais fondamentalement insoutenable. Ses projets — sérieux ou absurdes — consomment une énorme énergie politique, non parce qu’ils fonctionnent, mais parce qu’il ne peut admettre qu’ils n’ont jamais été conçus pour durer. Aux élections à mi mandat de 2026, les Républicains ont le choix soit de le faire voler jusqu’au crash, soit de couper les moteurs pour changer de cap.

La marque politique de Donald Trump repose sur la disruption, la confrontation et le mouvement perpétuel. Mais à l’approche d’une nouvelle campagne, il ne porte pas de nouvelles idées audacieuses, mais les vieux combats qu’il refuse d’abandonner. De l’immigration à l’Iran, des purges bureaucratiques à Gaza et à l’Ukraine, Trump est piégé dans ce que les économistes appellent le dilemme du Concorde : un engagement irrationnel dans une entreprise en échec, simplement parce qu’on y a déjà trop investi.

Pour Trump et son mouvement, ce n’est pas qu’un schéma répétitif : c’est une philosophie de gouvernance. Et cela pourrait façonner les élections de mi-mandat de 2026, en posant un choix pour les Républicains : prolonger les projets inachevés de Trump, ou bien pivoter vers un conservatisme pragmatique. Comme le Concorde, les projets de Trump pourraient continuer à voler s’il disposait de temps illimité et de ressources infinies. Mais le temps presse, et la piste d’atterrissage se rétrécit.

Les guerres qu’il avait promis de terminer

Trump avait juré de mettre fin aux « guerres éternelles » de l’Amérique. Aucune n’a cessé — et certaines, comme celle avec l’Iran, ont même empiré sous sa surveillance. Le résultat n’a pas été un retrait, mais une incohérence : un président qui déclara la guerre à la guerre, mais perdit le contrôle de la paix.

Trump s’est montré plus virulent que n’importe quel président moderne à l’égard de la Chine. Pourtant, aucune doctrine de confinement cohérente n’a vu le jour. Les tarifs douaniers ont été imposés à l’aveugle, sans coordination stratégique ni vision économique. Les alliances ont été fragilisées. La posture militaire est restée confuse. Ce prétendu « pivot vers l’Asie » s’est transformé en une collection de griefs et d’extraits sonores.

Aujourd’hui, la Chine est plus audacieuse. La base électorale de Trump se montre plus agressive dans ses propos. Mais le pivot reste une politique fantôme : trop précieuse pour être abandonnée, trop confuse pour être menée à terme.

Ukraine, l’OTAN et le faux visage de l’isolationnisme

Le discours de Trump flirte avec l’isolationnisme, en phase avec les instincts anti-guerre de la base MAGA. Mais ses actes sont ambivalents : il a fait pression sur l’Ukraine pour des avantages politiques tout en autorisant une aide létale. Aujourd’hui, il est coincé entre les Républicains pro-MAGA, désireux d’abandonner Kiev, et les néoconservateurs, qui exigent plus de soutien. Il refuse de trancher, faisant juste assez pour apaiser les deux camps, sans satisfaire aucun.

C’est la logique du Concorde : changer de cap risquerait l’humiliation, continuer risquerait la révolte interne. Résultat : la campagne plane sans direction.

L’affrontement actuel avec l’Iran révèle la contradiction la plus dangereuse de Trump. Tout en séduisant la droite anti-interventionniste, il a permis à Netanyahu de mener une stratégie maximaliste — offrant à Israël une liberté inédite d’action à Gaza, en Syrie, au Liban et contre l’Iran, souvent en contradiction avec la politique américaine. Se réclamant de la fin des « guerres sans fin », il a sous-traité l’escalade à Israël, transformant la puissance américaine en bouclier et en épée.

Aujourd’hui, alors que le conflit s’étend, Trump répète les objectifs de guerre d’Israël sans proposer de stratégie américaine cohérente. Les néoconservateurs y voient une opportunité ; sa base y voit un piège. Coincé entre ses impulsions, Trump ne produit qu’une inertie prolongée — prolongeant une posture guerrière qu’il avait promis d’abandonner, comme le Concorde poursuivant un vol devenu irréversible.

Les Accords d’Abraham sans l’Arabie Saoudite

Trump célèbre les Accords d’Abraham comme une percée historique. Mais l’objectif central — la normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite — ne s’est jamais concrétisé. Après la guerre à Gaza, Riyad est devenu encore plus réticent. Pourtant, Trump revendique la victoire. Mais sans Riyad, les Accords ne forment pas une architecture de paix — juste un squelette diplomatique. Au lieu de s’adapter, l’univers trumpien s’accroche à un trophée jamais conquis.Sur le front intérieur, la guerre de Trump contre le soi-disant « État profond » a repris de plus belle, sous la forme de projets comme Schedule F, un plan visant à purger la fonction publique fédérale des voix « déloyales ». Les Républicains modérés, même les anciens alliés, sont désormais qualifiés de traîtres.

Trump ne cherche pas une simple réorientation politique — mais une ingénierie idéologique par tri de loyauté. L’objectif : refaçonner le Parti républicain en instrument d’allégeance personnelle. La dissidence est disqualifiante ; l’obéissance, la seule valeur. Sa guerre contre la bureaucratie fédérale — une machine construite sur des générations — exigerait plusieurs mandats. Il la traite comme une livraison rapide. L’écart entre ambition et faisabilité ne cesse de s’élargir.

Immigration : du mur aux déploiements militaires

Le mur à la frontière n’a jamais été achevé. Le système d’asile est toujours brisé. Désormais, Trump promet des déportations massives, des expulsions dirigées par l’armée, et des décrets qui ont déjà conduit à des déploiements de la Garde nationale dans des États comme la Californie, où des troubles liés à l’immigration ont provoqué des urgences.

Il ne s’agit plus de résoudre une crise — mais de venger un symbole. Comme le Concorde, cela n’a pas besoin de fonctionner : il suffit que ça continue à voler pour préserver le mythe.Le mouvement de Trump s’alimente d’une guerre culturelle contre les élites — universités, départements DEI, multinationales. Les procès et décrets s’accumulent, les récits se recyclent. Mais les institutions ciblées tiennent bon.

Ce ne sont pas des campagnes gagnables — ce sont des rituels de ressentiment, des machines à mouvement perpétuel qui définissent l’identité MAGA. S’arrêter serait reconnaître la défaite.

Le théâtre : le Groenland, Panama et le 51e État

Certains projets trumpiens n’étaient jamais censés être sérieux — mais ils comptent tout de même. Acheter le Groenland, reprendre le canal de Panama, annexer le Canada — autant d’idées évoquées, défendues à moitié, jamais reniées. Pourquoi ? Parce que la grandiloquence fait partie de la marque. Ces idées entretiennent le mythe d’omnipotence. Et comme le Concorde, elles sont élégantes, coûteuses, et définitivement clouées au sol.Les élections de mi-mandat de 2026 ne détermineront pas seulement le contrôle du Congrès. Elles diront si le Parti républicain continue à faire voler les projets inachevés de Trump — ou s’il décide enfin de les abandonner.

De Gaza à Pékin, de la frontière au fisc, les combats de Trump sont devenus moins des politiques que des récits à préserver. Mais l’électorat — surtout les indépendants et les conservateurs des banlieues — ne voit peut-être plus un perturbateur. Il voit un homme entouré des ruines qu’il refuse de dégager.

Les guerres inachevées commencent à ressembler à des défaites. Et les campagnes qui ne se posent jamais finissent par s’écraser.

Pour le meilleur ou pour le pire : en matière d’armement, l’UE s’active

 

Difficile de surestimer l’ampleur du changement opéré par l’Union européenne en matière de défense ces derniers temps. Il y a dix ans, la haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, la Britannique Catherine Ashton, interdisait encore les uniformes dans les couloirs du Conseil, enceinte pourtant censée mettre en œuvre la « politique de défense » de l’UE.

Aujourd’hui, l’expertise militaire est très demandée, jusque dans les bureaux de la Commission qui, auparavant, fut soigneusement tenue à l’écart de tout ce qui s’y rapportait. Le collège bruxellois s’engouffre dans la brèche ouverte par la guerre en Ukraine. Au motif de l’urgence et de l’efficacité, il part à l’assaut de l’article 346 du traité qui garantit la maîtrise des États dans ce secteur clé. Le but : devenir un « facilitateur » incontournable dans l’armement, au carrefour de la politique industrielle et de la politique étrangère et de défense. Début mars 2024, la Commission a présenté sa nouvelle Stratégie industrielle de défense (European Defence Industrial Strategy ou EDIS), déclinée dans une proposition de règlement établissant l’EDIP (Programme pour l’industrie européenne de défense). Elle vise à étendre le champ et le temps d’application des instruments mis en place récemment, tels l’ASAP, règlement relatif au soutien à la production de munitions (mai 2023), et l’EDIRPA, instrument visant à renforcer l’industrie européenne de la défense au moyen d’acquisitions conjointes (juillet 2022). Passer de mesures ponctuelles d’urgence à des structures pérennes n’est pas anodin. Les concessions que l’on est prêt à tolérer à titre provisoire peuvent vite devenir inacceptables dès qu’il est question de les graver dans le marbre. Or la stratégie ambitionne d’investir « ensemble et européen » et lève ainsi deux lièvres. Elle ravive les débats sur les risques et les mérites de la logique supranationale d’un côté, et sur l’approche dite protectionniste de l’autre, jugée anti-américaine, voire anti-OTAN, par certains.

Une ambition qui remonte à loin

Depuis les années 1990, la coopération européenne en matière d’armement emprunte deux voies parallèles. S’agissant d’un secteur crucial conditionnant l’action politique dans les domaines les plus sensibles, les États privilégient la logique intergouvernementale : dans le cadre de l’OCCAR (Organisation conjointe de coopération en matière d’armement, créée en 1998), de la LoI (Letter of Intent, signée en 2000) ou encore de l’Agence européenne de défense (AED) mise en place en 2004 et associée à la PSDC, la politique de sécurité et de défense commune de l’UE, pilotée par le Conseil. Simultanément, la Commission tente de s’immiscer dans le secteur, à coups de Livres verts et de communications, en empiétant sur l’article 346 (article 296 avant le traité de Lisbonne).

Promoteur d’une approche de marché, éludant toute dimension politique, le collège bruxellois cherchait des brèches pour attirer dans son champ de compétence tel ou tel aspect de l’industrie de défense. En 2007, il a proposé « un paquet défense » contenant deux directives pour « normaliser » l’une, le transfert d’armes dans l’espace communautaire et l’autre, les marchés publics. Adoptées, elles n’ont pas été suivies d’effet visible, les États s’abritant derrière la dérogation offerte par l’article 346. Il aura fallu attendre encore dix ans et la relance de la PSDC en 2016, pour assister à l’amorce de ce qui pourrait devenir un changement de paradigme. Car le Fonds européen de défense établi dans la foulée participe d’une nouvelle logique. Il permet de financer à partir du budget communautaire des activités de R&D liées à la défense. Environ 1 milliard d’euros par an sont ainsi gérés directement par la Commission, l’AED et les États membres étant cantonnés dans un rôle d’assistant. Entre-temps, la Commission a découvert le concept de « sécurité économique », et multiplié les propositions « géopolitiques » dans de nombreux secteurs clés, hors défense, comme les semi­conducteurs, les investissements étrangers, les matières premières critiques. Le déclenchement de la guerre en Ukraine a redirigé les efforts vers les aspects militaires proprement dits. Dès le Conseil européen de mai 2022, la livraison d’armes, le renforcement de la BITD, la coordination des marchés publics de défense et la reconstitution des stocks deviennent des objectifs primordiaux. Très vite, la Commission a su se placer au centre du jeu. Tantôt dans la droite ligne de ses précédentes tentatives (en termes d’unification du marché), tantôt en rupture avec celles-ci (sur la question de la préférence européenne ou de la taxonomie), elle apparut comme l’instance la plus à même d’orchestrer à la fois une agrégation de la demande, une restructuration de l’offre et l’attrait de capitaux privés.

Un empilement d’acronymes

Un mois après la publication de la Stratégie EDIS, le journal Politico titrait : « L’UE déploie un arsenal d’acronymes de défense pour combattre Poutine ». Allusion cruelle, mais drôle, au goût de l’UE pour les organigrammes et les abréviations, en lieu et place de l’action. Toutefois, cette fois-ci, certains de ces acronymes cachent de véritables changements d’approche, et la bataille porte moins sur l’Ukraine que sur la future direction de l’Union. Le trio de départ (FEP, Facilité européenne pour la paix, reconvertie en fonds pour rembourser les livraisons de matériels de guerre, l’EDIRPA et l’ASAP) sert surtout de matrice pour la suite. La Stratégie précise : « Il est temps de passer des réponses d’urgence à la préparation structurelle de l’UE en matière de défense. »

Comment procéder ? Du côté de la demande, l’EDIRPA a déjà établi le principe d’un fonds consacré à l’achat en commun de matériel militaire, financé par le budget communautaire (avec une enveloppe de 300 millions d’euros jusqu’en 2025). Avec l’EDIP, la Commission propose « d’étendre le domaine d’intervention de l’EDIRPA » afin que l’acquisition collaborative « devienne progressivement la norme » et passe du niveau d’aujourd’hui, à savoir 18 % du total des dépenses d’équipements, à 40 % d’ici à 2030. Qui plus est, Bruxelles prend exemple sur le dispositif FMS (Foreign Military Sales) américain pour « créer un mécanisme européen de ventes militaires » (EU FMS). Le commissaire Thierry Breton explique les avantages du modèle américain : « Lorsque le gouvernement passe une commande, il réserve également un pourcentage en stocks, pour donner plus de profondeur à son industrie de défense et avoir la capacité de fournir et vendre » à des tiers. Il s’agit surtout d’améliorer la disponibilité ou, dit-il, la « defense readiness ».

Du côté de l’offre, l’ASAP a posé les bases d’une intervention, sur fonds communautaires, pour soutenir la montée en cadence de la production dans l’industrie de défense. L’enveloppe de 500 millions d’euros est partagée entre 31 projets sélectionnés dans 15 pays. L’EDIP « propose d’étendre la logique d’intervention du règlement ASAP, en ne la limitant pas aux munitions et missiles ; et de la compléter par le développement d’installations mobilisables en permanence et l’éventuelle réaffectation de lignes de production civiles ». S’y ajoute le FAST (Fonds pour l’accélération de la transformation des chaînes d’approvisionnement) censé faciliter l’accès au financement des PME, ainsi qu’un nouveau cadre juridique, la SEAP (Structure pour programmes d’armement européens), et une nouvelle enceinte de pilotage, le Conseil de préparation industrielle pour la défense, réunissant la Commission, le haut représentant/chef de l’AED et les États.

L’EDIP prendra donc le relais à la fois de l’EDIRPA et de l’ASAP, en les étendant et en les généralisant, avec une enveloppe de 1,5 milliard d’euros sur trois ans. Un montant particulièrement modeste au regard des objectifs, même si « toutes les possibilités de mobilisation de fonds » seront étudiées : du recours aux intérêts des avoirs russes gelés et de l’exonération de TVA jusqu’à l’idée d’un grand emprunt commun. Les négociations pour l’adoption de l’EDIP s’annoncent difficiles, mais l’ASAP et l’EDIRPA montrent que le ver est déjà dans le fruit. L’idée d’un rôle accru de la Commission en matière d’armement est acquise et, à partir de là, les budgets alloués seront réduits ou gonflés en fonction de la volonté politique. Pour l’heure, les États émettent de sérieuses réserves, de plusieurs types, par rapport aux initiatives.

Autonomie en trompe-l’œil

De tout temps, la question de la participation d’alliés non membres de l’UE aux projets de défense européenne fut la principale pierre d’achoppement des discussions entre États membres. Qu’on la désigne par « accès de pays tiers » ou « critères d’éligibilité », c’est toujours la même problématique et elle concerne, en premier lieu, Américains et Britanniques. Cette fois-ci, la Commission assume une ligne clairement « autonomiste ». Elle déplore le fait que 78 % des achats d’armes depuis le début de la guerre en Ukraine ont été réalisés auprès de tiers (l’Amérique représente à elle seule 63 %) et invite les États membres à « faire en sorte qu’au moins 50 % de leurs investissements en matière de défense soient réalisés au sein de l’UE d’ici à 2030, et 60 % d’ici à 2035 ». La Commission observe que « la dépendance excessive à l’égard des approvisionnements des pays tiers nuit à la liberté d’action en cas de crise ». Qui l’eût cru ?

Les partenaires, eux, n’en reviennent pas. Londres regrette que les initiatives de l’UE en matière de défense « ne permettent pas de participation significative des alliés OTAN non membres de l’UE » et s’offusque de ces règles inhabituellement « restrictives ». La Chambre de commerce américaine se plaint qu’il n’y ait « pas suffisamment de discussion substantielle sur la manière dont l’UE envisage la collaboration industrielle avec ses proches alliés ». En réalité, les États membres restent profondément divisés. Les uns dénoncent l’absurdité de l’idée même de financer, sur fonds européens, des concurrents étrangers au lieu de renforcer notre propre BITD. Les autres font valoir le double argument de l’urgence et des économies. Les initiatives actuelles laissent les deux camps sur leur faim. Pour les premiers, il n’y a pas de garanties assez solides : les partisans de l’achat sur étagère, majoritaires, pourront exploiter les exceptions contenues dans les dispositions. Pour les seconds, le principe d’autonomie risque d’aliéner les protecteurs-partenaires et de fragiliser ainsi leur précieux parapluie. En fin de compte, les deux types de réserves s’additionnent pour freiner les poussées fédéralistes de la Commission. Aucun des deux camps ne sera prêt à abandonner le contrôle national tant qu’il n’obtiendra pas entière satisfaction.

Haro sur l’article 346

La Commission européenne dit « ne pas être intéressée par un accaparement de pouvoir », mais ses initiatives ressemblent bel et bien à un assaut contre ce qui est conçu par les traités comme étant la chasse gardée des États. L’article 346 établit une dérogation aux règles du marché commun et donne à chaque État membre le droit à la fois d’exclure du champ communautaire tout ce qui se rapporte à la production et au commerce de matériel de guerre et de ne divulguer aucune information aux autorités de Bruxelles (1). Avec l’EDIP, cette exemption est sous attaque. À commencer par le droit au secret : la cartographie des chaînes d’approvisionnement, le catalogue centralisé des produits de défense et le suivi des capacités de fabrication que propose la Commission constitueraient une intrusion au cœur des informations sensibles des nations. Thierry Breton se félicite qu’une « autorité politique européenne [puisse] voir ce qui se passe dans toutes les usines du continent quand auparavant elles étaient jalousement cachées par chaque pays ».

Et ce n’est que le début. Sur la base de ces informations, la Commission aurait le droit d’adopter des mesures d’intervention directe et de passer des commandes prioritaires si un « état de crise d’approvisionnement » était déclaré par le Conseil… à la majorité qualifiée. La Commission s’introduirait aussi dans ce qui relève de l’intergouvernemental en présidant le nouveau Conseil de préparation industrielle pour la défense. Autant de tentatives d’empiétement juridiquement contestables, et contestées. Trois mois jour pour jour après l’annonce de l’EDIP, le Sénat français conclut à la non-­conformité de la proposition de règlement avec les principes énoncés dans les traités (2). Il note que la Commission fait reposer son texte sur quatre bases légales (articles 173, 114, 212 et 322), en écartant l’article 42 qui est pourtant celui qui régit le domaine de la défense. La proposition donnerait à la Commission un rôle que les traités ne lui attribuent pas, dans un domaine de compétence nationale où le cadre naturel de la co-

opération est intergouvernemental. D’après le Sénat, l’intention est claire : « La Commission voulait proposer un texte d’ensemble, dans une logique exclusivement communautaire. »

Les « trucs » et les arrière-pensées

Jean-Laurens Delpech, directeur de ce qui était à l’époque la Délégation ministérielle pour l’armement, avait remarqué dès 1976 : « La coopération européenne est une nécessité et, malgré ses difficultés, elle devrait finir par s’imposer : elle suppose toutefois que les différents pays prennent conscience d’appartenir à un ensemble ayant des buts et des intérêts communs et coordonnent leurs actions en conséquence. » Il convient de noter qu’à l’époque les vingt-sept n’étaient que neuf et que Jean-Laurens Delpech parlait de coopération sans concevoir un quelconque rôle pour la Commission. Que les temps ont changé ! À mesure que l’UE s’élargit et que la dimension communautaire prend de l’ampleur, la tentation est grande de mettre la charrue avant les bœufs. Selon un membre du cabinet de l’ancien ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, l’un des artisans de la relance de 2016, « pour les diplomates, il faut faire des trucs européens dans le domaine de l’armement, même si c’est con. Ça les fait travailler. Ce n’est plus une logique industrielle, mais diplomatique (3) ». À quel prix ?

Certes, l’esprit des propositions de la Commission est souvent aux antipodes des positions qu’elle prenait jadis. Exit le mot d’ordre « best value for money » qui cherche, sans aucun autre souci, l’efficacité au moindre coût possible : il est maintenant très largement encadré par la prise en compte des considérations politiques. Exit aussi l’éloge de « l’efficience » et du flux tendu : l’heure est à la redécouverte de la sécurité d’approvisionnement et des stocks stratégiques. Oubliée, la volonté de « normalisation » du secteur de l’armement que l’exécutif bruxellois rêvait de soumettre aux habituelles lois du marché : le même souligne aujourd’hui la spécificité de ce domaine et prône l’intervention des pouvoirs publics. Miracle suprême, la préférence européenne cesse d’être un tabou, méprisable et malsain, et devient le fil directeur des réflexions officielles. Autant de virages à 180° pour épouser enfin des principes de bon sens, préconisés depuis toujours par la France. Sauf que la Commission a son propre agenda.

Si elle n’essaie plus d’imposer des règles contre nature en matière d’armement, c’est parce qu’elle estime que les temps sont mûrs pour que les États lui laissent de plus en plus les manettes de ce secteur. N’a-t‑elle pas réussi déjà, ces dernières années, à se frayer une place dans tout le cycle de l’armement, de la recherche et développement jusqu’au financement du transfert d’armes, en passant par la production et les achats ? Or l’expérience montre qu’une fois que l’exécutif bruxellois parvient à mettre le pied dans la porte, il élargit toujours davantage le périmètre de son intervention. Pourtant, dans ce domaine régalien, sa participation est basée sur une contradiction. D’un côté, la Commission souligne que la BITD constitue le fondement de toute crédibilité en matière de défense et de sécurité. De l’autre, elle assure que ses initiatives ne portent « que » sur la BITD et que les États restent donc maîtres de leurs propres politiques de défense et de sécurité. De deux choses l’une, il faut choisir.

L’EDIS invoque les défis géopolitiques (la guerre en Ukraine, l’imprévisibilité des États-Unis et la montée des rivalités internationales) pour justifier les initiatives « armement » et faire valoir l’argument selon lequel l’échelle européenne serait la seule capable de faire face. En théorie, c’est peut-être vrai. Dans la pratique, toutefois, l’Europe risque de s’affaiblir en déresponsabilisant les États. Les propos du général de Gaulle, prononcés en d’autres circonstances, anticipaient ce danger : « ll se produit que, dans l’intégration, le pays intégré est amené à se désintéresser de sa Défense nationale puisqu’il n’en est pas responsable. Alors tout l’ensemble y perd de son ressort et de sa force. » L’Europe deviendrait une Europe-­alibi, une simple addition de 27 abandons. Vouloir passer outre les « égoïsmes » nationaux dans ce domaine pourrait se révéler être l’exemple type des bonnes intentions dont sont pavés les chemins de l’enfer.

Notes

(1) Voir de l’auteur : « L’article 296 du TCE : obstacle ou garde-fou ? », Défense & Stratégie, no 18, automne 2006.

(2) Résolution du Sénat portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement, 5 juin 2024.

(3) Samuel B. H. Faure, Avec ou sans l’Europe – Le dilemme de la politique française d’armement, Éd. de l’Université de Bruxelles, 2020.

Hajnalka Vincze

areion24.news

Drones espions: l’armée suisse veut pouvoir intervenir

 

L'armée suisse est confrontée à un grave problème de drones espions, écrit la «NZZ am Sonntag»: à plusieurs reprises, des soldats ont repéré de tels appareils suspects au-dessus de places d'armes, dont la dernière fois lors d'un récent exercice à l'aérodrome militaire de Meiringen (BE), où sont stationnés des F/A-18 et qui abritera dans quelques années des F-35 américains. L’incident présente des similitudes avec les observations de drones au-dessus de sites de l'armée allemande, soupçonnés d’appartenir aux services secrets russes, qui constituent «la plus grande menace actuelle d’espionnage pour la Suisse», indique Stefan Hofer, porte-parole de l’Armée suisse (lire encadré).

Or, «les possibilités de se protéger contre de telles activités d'espionnage sont limitées en temps de paix pour des raisons juridiques, et en raison de l'absence de systèmes de défense, il est délicat d’y répondre par des contre-mesures efficaces», note le porte-parole. En effet, la police militaire suisse n’a pas le droit d'arrêter et de contrôler les pilotes de drones volant à proximité d'installations sensibles sans violer leur périmètre. Les responsables de l’armée estiment que cette législation doit donc être adaptée.

De même que les responsables de la politique de sécurité. «Les événements de Meiringen sont inquiétants», dit notamment le conseiller aux États Josef Dittli (PLR/UR) qui attend de l'armée «qu'elle indique si d'autres installations sont aussi concernées.» Pour le conseiller national Fabian Molina (PS/SG), c’est un «problème de sécurité majeur» et il déplore que notre pays soit à la traîne «tant sur le plan technologique que juridique». Du côté des Verts, Gerhard Andrey (FR) dit son parti ouvert à discuter de la suppression de la limite de poids des drones dans le périmètre de protection des aérodromes militaires pour une interception efficace des petits appareils en cas de soupçon d’espionnage.

Espions russes et chinois

Que les drones suspects observés par les soldats à Meiringen soient russes semble plausible: «Il faut partir du principe que les services de renseignement étrangers mènent également des activités d'espionnage contre l'armée suisse», écrit ainsi Stefan Hofer, le porte-parole de l’Armée au journal dominical. Leurs actions portent notamment sur la reconnaissance d'«équipements militaires de haute technologie» tels que le F-35. À côté des services secrets russes, la menace des services secrets chinois pour notre pays «est également élevée», note-t-il.

Ellen Weigand

20min.ch

Le modèle technologique sud-coréen à la croisée des chemins

 

Si la Corée du Sud a opéré un spectaculaire rattrapage technologique, la compétition stratégique à l’œuvre à travers le monde pose un défi à son modèle d’innovation, essentiellement incrémental, alors que la course technologique actuelle suppose des investissements massifs dans des innovations de rupture. À cela s’ajoute la forte exposition du pays aux rivalités sino-américaines dans les chaines de valeur critiques.

Pour faire face à cette réalité, la Corée du Sud se réorganise à travers une stratégie mêlant protection de sa souveraineté technologique, soutien aux technologies émergentes et diversification de ses partenariats.

Le succès du rattrapage technologique sud-coréen

La maitrise par la Corée du Sud de plusieurs technologies clés est étroitement associée à son modèle exportateur, initialement basé sur les industries lourdes (chimie, sidérurgie) avant de s’orienter, à partir des années 1980, vers des biens de plus en plus technologiques (électronique, automobile, naval). Les grands groupes coréens, ou « chaebols », sont aujourd’hui dans le haut des classements mondiaux dans un grand nombre de technologies, comme celles des smartphones, des semi-conducteurs, des batteries pour véhicules électriques, ou encore des véhicules à hydrogène. Cette transformation est allée de pair avec des dépenses de plus en plus élevées en recherche et développement (R&D), la Corée du Sud étant aujourd’hui le deuxième pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) en R&D rapportée au produit intérieur brut (PIB.

Pour mener à bien ce rattrapage technologique, et donc devenir compétitive sur des technologies déjà maitrisées ailleurs dans le monde, la Corée du Sud a misé sur plusieurs atouts. On peut notamment citer la grande taille des groupes coréens, qui leur offre une capacité d’industrialisation très importante, le secteur manufacturier représentant le quart du PIB coréen — soit la deuxième part la plus élevée de l’OCDE. Le secteur privé pèse 77 % du total des dépenses en R&D de la Corée, dont près de la moitié est assurée par les 10 premiers chaebols. Le soutien étatique a également été clé dans le rattrapage technologique dans la phase d’amorçage, en termes d’appui technique et financier, ou en facilitant les accords de transferts technologiques avec des entreprises occidentales (1).

La Corée du Sud hérite de ce rattrapage technologique un modèle d’innovation essentiellement incrémental : 89 % de la R&D coréenne est orientée vers l’amélioration de produits ou de processus industriels existants (2), plutôt que vers le développement de nouvelles technologies.

Certes, les groupes coréens ont récemment démontré leur capacité à investir de nouveaux secteurs, mais par une approche davantage axée sur l’optimisation industrielle que l’innovation technologique. Prenons par exemple les biotechnologies : fondée en 2011, la filiale santé de Samsung, Samsung Biologics, a développé en une dizaine d’années la plus grande capacité de production pharmaceutique au monde (3). Ce bond spectaculaire a été rendu possible par une spécialisation dans le façonnage, c’est-à-dire dans la sous-traitance de la production de médicaments pour le compte de laboratoires internationaux, permettant de miser sur une capacité d’industrialisation à grande échelle (construction d’usines en un temps record, forte automatisation) sans avoir à prendre en charge les couts de développement de nouvelles thérapies (recherche, essais cliniques).

Si l’on se tourne vers les services numériques, la Corée du Sud s’est démarquée par sa capacité à constituer des acteurs nationaux comme Kakao, Naver ou Coupang, qui ont su résister aux GAFAM sur le marché local (messagerie, moteur de recherche, cartographie, e-commerce). Mais la réussite de ces acteurs est davantage liée à une adaptation aux spécificités du marché coréen qu’à une technologie particulièrement différenciable, situation qui limite la capacité de ces groupes à s’internationaliser.

Multiplication des défis mondiaux

Ce modèle d’innovation est de plus en plus remis en question par l’évolution du paysage technologique mondial, à commencer par le rattrapage de la Chine. La concurrence chinoise n’est pas un phénomène nouveau pour la Corée du Sud mais, jusqu’à récemment, le pays avait su s’adapter en progressant vers des applications plus avancées pour rester compétitive. C’est ainsi que, face à la montée inexorable des chantiers navals chinois, les acteurs coréens se sont spécialisés dans les navires à forte valeur ajoutée, pour devenir aujourd’hui leaders des navires de transport de gaz naturel.

Mais ce rattrapage technologique chinois a aujourd’hui atteint une cadence très élevée, appuyée sur la stratégie Made in China. Cette situation réduit l’écart de compétitivité entre les deux pays (4), rend les deux économies davantage concurrentes et contribue au déclin des produits coréens en Chine : la part de marché des smartphones Samsung en Chine est passée en dix ans de 20 % à moins de 1 %. Si les semi-conducteurs sont à ce stade épargnés, en raison d’une avance technologique encore substantielle, les fabricants coréens Samsung et SK font aujourd’hui face à une rapide montée en puissance de concurrents chinois.

Positionnement des chaebols dans les classements mondiaux


La capacité de la Corée du Sud à investir les technologies émergentes, comme l’intelligence artificielle (IA), revêt donc un intérêt économique majeur, qui s’ajoute aux nombreux enjeux stratégiques afférents à la maitrise de telles technologies (données personnelles, sécurité, santé publique, environnement). Or, une autoévaluation menée par le gouvernement coréen (5) montre que plus une technologie est émergente sur le plan mondial, plus la Corée du Sud s’estime en retard technologiquement, les entreprises ayant été réticentes à investir dans une technologie en l’absence de certitudes sur ses applications commerciales et ses marchés futurs.

Dans le domaine de l’IA, malgré quelques démarches prometteuses par Naver, Kakao ou LG, aucun modèle de langage coréen ne s’est encore imposé dans les classements mondiaux. Certes, la Corée du Sud occupe une place centrale dans ce domaine, en produisant les semi-conducteurs nécessaires au fonctionnement des serveurs d’IA. Mais le pays estime qu’il ne peut s’appuyer sur un unique maillon dans un secteur aussi stratégique, d’autant que le récent succès de DeepSeek remet en doute la nécessité pour les modèles d’IA de faire appel à des semi-conducteurs de grande puissance. S’agissant du quantique, le gouvernement coréen reconnait là aussi un retard, s’estimant à 63 % du niveau technologique américain et européen (6).

Dans un premier temps, les chaebols semblent privilégier le rachat d’entreprises technologiques étrangères pour monter en compétence. Mais cette logique fait face aux montants potentiellement faramineux que supposerait le rachat d’entreprises ayant fait leurs preuves technologiquement et commercialement, ainsi qu’à la mise en place par plusieurs pays de dispositifs limitant ce type d’acquisitions dans des secteurs stratégiques.

Un autre facteur de vulnérabilité du modèle technologique coréen est lié aux tensions actuelles entre les États-Unis et la Chine, qui bousculent l’organisation mondiale de la production des chaebols. C’est notamment le cas des mesures américaines à l’encontre de la Chine dans les semi-conducteurs, Samsung et SK exportant la moitié de leurs semi-conducteurs vers la Chine, tout en fabriquant en Chine environ le quart de leur production mondiale. On retrouve cette situation dans le domaine des batteries, les groupes coréens étant fortement impactés par les limitations d’approvisionnements en minéraux critiques chinois mises en place par les États-Unis. Au global, selon le Fonds monétaire international (FMI), la Corée du Sud serait le pays le plus exposé à un découplage économique entre la Chine et les pays de l’OCDE (7).

À court terme, les entreprises coréennes ont misé sur un développement aux États-Unis : elles ont annoncé pas moins de 110 milliards d’euros d’investissement dans ce pays au cours des quatre dernières années, dont la majorité dans les semi-conducteurs et les batteries, s’appuyant sur les subventions proposées dans le cadre du CHIPS Act et de l’Inflation Reduction Act. En parallèle, ces mêmes groupes ont négocié auprès de l’administration Biden des dérogations pour maintenir leurs opérations en Chine et leurs approvisionnements chinois.

Cette stratégie pourrait être remise en question par l’administration Trump, propice à des durcissements vis-à-vis de la Chine et à des revirements sur le soutien financier accordé aux projets industriels des chaebols. À long terme, bien qu’elles continuent de voir la Chine comme un marché incontournable, les entreprises coréennes sont conscientes qu’elles pourront de moins en moins s’appuyer sur ce partenaire dans les technologies avancées.

Une reprise en main du modèle d’innovation

Face à ces défis, la Corée du Sud a engagé plusieurs actions, à commencer par la préservation à court terme de son patrimoine technologique. Le pays a ainsi renforcé son arsenal de sécurité économique (filtrage des investissements étrangers, prévention des fuites technologiques), pour faire face à la recrudescence des cas de vols de technologies, majoritairement liés à la Chine (8). Toujours dans un esprit de souveraineté, le gouvernement a récemment axé sa stratégie industrielle sur le maintien de la production sur le sol coréen des filières stratégiques, avec notamment un projet de cluster de semi-conducteurs de près de 500 milliards d’euros. Cette stratégie met un accent particulier sur la localisation d’étapes de production complémentaires aux maillons technologiques déjà maitrisés (par exemple les composants pour batteries, les matériaux pour les semi-conducteurs, les machines-outils).

Le deuxième axe consiste à créer les conditions d’une plus grande présence dans les technologies de rupture. Le gouvernement coréen tente de pallier l’aversion au risque des groupes coréens, avec notamment 20 milliards d’euros de soutien public à la R&D dans 12 technologies émergentes, dont l’IA, le quantique ou encore le spatial, pour les cinq prochaines années (9). L’État souhaite aussi cultiver un tissu de start-up innovantes, l’accaparement de la R&D par quelques grandes entreprises faisant courir le risque qu’un virage technologique manqué par une entreprise puisse nuire à l’ensemble de la capacité d’innovation du pays (ce que l’OCDE surnomme « scénario finnois » en référence au virage raté du smartphone par Nokia) (10). Les grands groupes montrent aussi des signes de changement, comme Samsung qui a récemment présenté ses excuses pour avoir perdu du terrain en matière d’IA avant de remanier en profondeur ses équipes dirigeantes.

Un dernier axe est celui de la diversification des partenariats technologiques, en vue de limiter la dépendance aux États-Unis et à la Chine. Cette démarche a notamment été un des moteurs du rapprochement entre la Corée du Sud et le Japon, à l’œuvre depuis deux ans, et qui a donné lieu à quelques annonces significatives comme l’ouverture d’un nouveau centre en R&D de Samsung à Yokohama. L’Europe est aussi une piste explorée par la Corée du Sud, à la faveur de son accession en 2025 au statut de membre associé d’Horizon Europe. L’expertise française en matière d’IA, de quantique et de spatial est en particulier très bien perçue par les groupes coréens, source de coopérations et de débouchés industriels et commerciaux pour le savoir-faire français.

Auto-évaluation de la compétitivité technologique de la Corée dans les industries stratégiques

La réussite de ces transformations est soumise à de nombreuses incertitudes, parmi lesquelles la situation politique en Corée du Sud, qui pourrait se traduire par des élections anticipées, et bien évidemment les perturbations pouvant découler du contexte international. Il ne faut cependant pas sous-estimer la capacité de mobilisation de ce pays face à l’adversité, comme après la guerre de Corée ou lors de la crise asiatique des années 1990. Les défis structurels de la Corée peuvent aussi être source d’opportunités, à commencer par sa crise démographique. Les pertes de productivité dues au déclin de la population active sont en effet de nature à décupler les effets économiques de l’IA, notamment en termes d’automatisation, dans un pays qui se distingue déjà par le plus fort taux au monde de robotisation, de pénétration d’Internet et de couverture 5G.

Notes

(1) Voir notamment : Jaeyong Song, « Technological Catching-Up of Korea and Taiwan In the Global Semiconductor Industry: A Study of Modes of Technology Sourcing », Discussion Paper n°15, Columbia Business School, décembre 2000 (https://​rebrand​.ly/​y​v​s​v​11r).

(2) Science and Technology Policy Institute, « Enquête sur l’innovation en Corée », 2022 (https://​rebrand​.ly/​q​7​d​0​7nd).

(3) Mirae Asset Securities Research, 2024 (https://​rebrand​.ly/​3​d​4​95f).

(4) Jung Min Han, Jeong-Hyun Kim, « The Recent Slump in South Korea’s Exports to China: Analysis of Causes and Implications », Korea Institute for Industrial Economics and Trade (KIET), décembre 2023 (https://​rebrand​.ly/​r​e​c​e​n​t​s​l​u​m​p​b​e​c​9db).

(5) Ministère des Sciences et des Technologies de l’information et de la communication, octobre 2022 (https://​rebrand​.ly/​9​k​2​z​llq).

(6) Ibid., juin 2023 (https://​rebrand​.ly/​s​7​1​e​igu).

(7) Fonds monétaire international (FMI), « Perspectives régionales – Moyen-Orient et Asie centrale : gagner en résilience et promouvoir une croissance inclusive », octobre 2023 (https://​www​.imf​.org/​f​r​/​P​u​b​l​i​c​a​t​i​o​n​s​/​R​E​O​/​M​E​C​A​/​I​s​s​u​e​s​/​2​0​2​3​/​1​0​/​1​2​/​r​e​g​i​o​n​a​l​-​e​c​o​n​o​m​i​c​-​o​u​t​l​o​o​k​-​m​c​d​-​o​c​t​o​b​e​r​-​2​023).

(8) Moon Kwang-min, «  還還 僻 晦獎\» [« Délocalisation de la technologie des semi-conducteurs et des écrans », Maeil Business Daily, 25 novembre 2024 (https://​www​.mk​.co​.kr/​n​e​w​s​/​s​o​c​i​e​t​y​/​1​1​1​7​7​584).

(9) Ministère des Sciences et des Technologies de l’information et de la communication, 27 aout 2024 (https://​rebrand​.ly/​e​n​g​b​b​s​3​0​c​8c9).

(10) OECD, « OECD Reviews of Innovation Policy: Korea 2023 », octobre 2023, p. 39 (https://​rebrand​.ly/​o​e​c​d​r​e​v​i​e​w​s​5​e​b​532).

Christophe Bonneau

areion24.news

Un « espion européen » arrêté par les services de renseignements iraniens

 

Sa nationalité n’a pas été mentionnée par les Gardiens de la révolution, l’armée idéologique du régime des mollahs. Un ressortissant européen présenté comme un « espion » a été arrêté en Iran, a rapporté vendredi l’agence de presse iranienne Tasnim, au huitième jour de la guerre entre la République islamique et Israël.

« Un citoyen européen qui souhaitait espionner des zones sensibles du pays » a été arrêté dans le sud-ouest du pays, a indiqué Tasnim sans préciser la date d’arrestation. « Il s’était rendu dans le pays en tant que touriste au moment de l’attaque brutale du régime sioniste », poursuit-elle en référence à Israël.

L’agence Mehr reprend cette information citant un communiqué des Gardiens de la Révolution, dont le chef des renseignements, Mohammad Kazemi a été tué dimanche avec deux autres généraux dans une frappe israélienne. Ce sont les services de la province du Kohguilouyeh-et-Bouyer-Ahmad qui sont à l’origine de l’arrestation.

Téhéran arrête régulièrement des individus présentés comme des espions et avait accusé Israël, avant même le début du conflit, d’être à l’origine d’assassinats ciblés ou de sabotages en lien avec son programme nucléaire.

Plusieurs personnes accusées d’espionnage au profit d’Israël ont également été exécutées ces dernières semaines en Iran. Depuis le début de la guerre le 13 juin, plusieurs autres ont été arrêtées dans le pays.

Une monnaie d’échange

L’Iran, qui détient plusieurs ressortissants occidentaux ou binationaux, est accusé par leurs soutiens, des ONG et des chancelleries occidentales, de s’en servir comme monnaie d’échange.

Au moins sept ressortissants français ont été détenus simultanément en Iran ces dernières années. Deux autres le sont toujours.

Cécile Kohler et son compagnon Jacques Paris, arrêtés lors d’un voyage touristique en 2022, sont accusés par Téhéran d’espionnage, ce que conteste leur entourage.

leparisien.fr