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samedi 26 août 2023

Les renseignements américains estiment que la contre-offensive ukrainienne échouera

 

L’armée ukrainienne veut reprendre la ville de Melitopol pour couper le pont terrestre qui relie la Russie à la Crimée. Une mission irréalisable pour le renseignement américain qui pense que les défenses russes sont trop redoutables.

Alors que les alliés de Kiev se veulent rassurants devant le ralentissement de la contre-offensive ukrainienne, les services secrets de Washington sont radicalement plus pessimistes. Des agents du renseignement américain ont affirmé au Washington Post que l’armée de Volodimir Zelenski n’atteindra pas son objectif principal : la ville de Melitopol. Cette dernière est tombée dans les mains de l’armée de Moscou le 1er mars 2022 et a depuis été annexée à la fédération de Russie.

Melitopol est une priorité absolue dans le plan de reconquête des forces ukrainiennes. Cette ville située dans le sud-est du pays est un hub logistique important pour les troupes russes. En effet, la cité se trouve à l'intersection de deux autoroutes importantes et d'une ligne de chemin de fer qui permettent à la Russie d'acheminer du personnel et du matériel militaire de la péninsule vers d'autres territoires annexés dans le sud de l'Ukraine. Kiev veut donc récupérer cette ville pour couper le pont terrestre qui relie les territoires russes et ceux du Donbass à la Crimée.

Pour justifier cette sombre prédiction, les services secrets américains ont décrit les formidables compétences de l’armée de Vladimir Poutine en matière de guerre défensive. Les troupes russes ont eu de nombreux mois pour se préparer à cette contre-offensive. D’après des images satellites, l’armée russe a établi un vaste système de fossés antichars, de tranchées, d’obstacles en tous genres mais a également enterré un nombre faramineux de mines anti-blindés et antipersonnel.

Un champ de mines plus vaste que plusieurs pays entiers

Selon les rapports officiels, 250.000 kilomètres carrés du territoire ukrainien ont été minés. À titre de comparaison, c’est plus vaste que l’intégralité de la Roumanie, pays voisin de l’Ukraine (238.000 kilomètres carrés). Ces champs de mines denses obligent les troupes ukrainiennes à abandonner leurs chars occidentaux et à entreprendre le travail fastidieux et dangereux de déminage sur des zones de 15 kilomètres de largeur. "Il n'est plus possible de faire quoi que ce soit avec un simple tank, car le champ de mines est trop profond et, tôt ou tard, il s'arrêtera et sera détruit par des tirs concentrés", a précisé Valeri Zaloujni, le commandant en chef de l’armée ukrainienne lors d’une entrevue avec le Washington Post.

La ville de Mélitopol se situe à 220 kilomètres de Donetsk et à 115 kilomètres de la Crimée Google Maps


Les forces ukrainiennes, qui se dirigent vers Melitopol depuis la ville de Rabotino, située à plus de 80 kilomètres de là, ne devraient donc pas être en mesure de beaucoup progresser. Selon Rob Lee, analyste militaire au Foreign Policy Research Institute, le chemin vers Melitopol est extrêmement difficile et il sera même compliqué de reprendre des villes plus proches telles que Tokmak. "La Russie dispose de trois lignes de défense principales, suivies de villes fortifiées. Il ne s'agit pas seulement de savoir si l'Ukraine peut en franchir une ou deux, mais si elle peut les franchir toutes les trois et disposer de suffisamment de forces pour ensuite prendre des villes”, a-t-il encore détaillé au Washington Post.

Toujours selon le quotidien, ces perspectives pessimistes, communiquées à certains républicains et démocrates du Capitole, ont déjà donné lieu à de nombreuses disputes dans le cadre de réunions à huis clos. Des républicains se montrent réticents face à la demande du Président Biden de débloquer 19 milliards d’euros supplémentaires pour l'aide à l'Ukraine, compte tenu des faibles résultats de la contre-offensive. D'autres républicains ont reproché à l'administration Biden de ne pas avoir envoyé plus tôt des armes plus puissantes à l'Ukraine.

Les cinq erreurs de la contre-offensive ukrainienne

Troupes dispersées

Les stratèges américains estiment que les troupes ukrainiennes sont trop dispersées et doivent se concentrer le long du front principal dans le sud. Le «New York Times» s'est entretenu avec plusieurs officiels occidentaux au sujet de l'avancée stagnante des forces armées ukrainiennes, dont leur objectif est la reconquête des territoires occupés par la Russie.

Pour ces experts, qui ne peuvent pas s'exprimer officiellement au nom de leurs gouvernements et souhaitent rester anonymes, l'objectif principal de la contre-offensive est de couper les lignes de ravitaillement russes au sud. Ils cherchent également à couper la Russie de la voie terrestre vers la péninsule annexée de Crimée. Les stratèges occidentaux recommandent donc à l'Ukraine de se concentrer sur une avancée en direction de Melitopol et de percer les lignes de défense russes au sud, malgré les lourdes pertes attendues.

Pendant ce temps, la Russie renforce la difficulté: Les troupes du président Vladimir Poutine font pression dans le nord-est du pays en direction de la ville de Kupyansk. Celle-ci est revenue à l'Ukraine en août 2022. Va-t-elle à nouveau tomber entre les mains de la Russie?

Le ministre ukrainien de la Défense Oleksiy Reznikov a récemment déclaré, selon la plateforme ukrainienne Ukrinform, que les Russes attaquaient fortement cette zone afin de réduire la capacité des forces de défense ukrainiennes. «Ils espèrent que nous allons redéployer les forces du sud et réagir en conséquence», a-t-il précisé.

Concentration sur la région autour de Bakhmout

La conquête de Bakhmout par les Russes en mai dernier a été un coup bas pour l'Ukraine. Pour le gouvernement de Volodymyr Zelensky, la reconquête de la ville détruite, située à peu près à mi-chemin entre la mer d'Azov et la frontière russe au nord, semble donc être une priorité.

Selon les fonctionnaires occidentaux interrogés par le «New York Times», les commandants ukrainiens ont réparti leurs troupes à parts à peu près égales entre le front à l'est et celui au sud. Par conséquent, il y aurait plus de troupes ukrainiennes près de Bakhmout et d'autres villes à l'est que dans la zone stratégiquement plus importante au sud, d'où sont lancées des offensives en direction de Melitopol et de Berdiansk pour couper la route terrestre vers la Crimée aux Russes.

Des lignes de défense russes sous-estimées

La contre-offensive ukrainienne dure depuis près de trois mois. Mais les résultats sont extrêmement modestes. Les forces ukrainiennes ne sont pas parvenues à reprendre la ville de Bakhmout et n'ont pas réussi à couper la route terrestre vers la Crimée aux troupes russes.

Certes, l'armée ukrainienne est apparemment sur le point de prendre le contrôle de Robotyne, un village situé au sud-est de la ville de Zaporijjia. Mais même si elle y parvient, elle reste encore à environ 90 kilomètres de Melitopol.

C'est une évidence: les soldats ukrainiens ont du mal à percer les lignes de défense russes. Dans l'oblast de Zaporijjia, les Russes ont généralement creusé trois tranchées défensives l'une derrière l'autre au sud du Dniepr et plus à l'est.

Vers le nord, elles sont protégées par des champs de mines. Un démineur a récemment déclaré au «Spiegel»: «Les Russes savent tout simplement très bien poser des mines.» Le général ukrainien Valeri Zaloujny a récemment déclaré au «Washington Post» qu'il n'était plus possible d'opérer avec des chars «parce que les champs de mines sont tout simplement trop profonds».

Désavantage en termes de troupes et d'équipement

Il n'existe pas de chiffres précis sur les pertes des deux côtés. Mais les Russes sont supérieurs aux Ukrainiens tant en termes de soldats disponibles que de ravitaillement en matériel de guerre. Le nombre de jeunes hommes pouvant être envoyés à la guerre est plus rapidement épuisé en Ukraine, où la population est bien plus faible.

De plus, le pays est sous perfusion de l'Occident en matière d'armement. Les partenaires de l'Ukraine sont certes disposés à lui fournir toujours plus d'armes, mais ils doivent en même temps éviter de se désarmer eux-mêmes.

Pour conquérir le village de Robotyne, l'Ukraine a dernièrement envoyé la 82e brigade d'attaque aérienne sur le front. Elle compte 2000 hommes et est équipée du meilleur matériel de l'OTAN. Selon «Forbes», la 82e brigade d'attaque aérienne et la 46e brigade, qui sera également déployée, sont les dernières brigades que l'état-major ukrainien gardait encore en réserve.

Il semblerait que l'Ukraine ait commencé à déplacer certaines de ses troupes de combat les plus expérimentées de l'est vers le sud. Mais même les unités les plus expérimentées ont été réorganisées à plusieurs reprises après avoir subi de lourdes pertes. «Ces unités s'appuient sur un cadre de commandants expérimentés qui se réduit comme peau de chagrin. Certaines sections sont composées en grande partie de soldats qui ont été blessés et qui sont retournés au combat», écrit le «New York Times».

Rythme insuffisant

Au vu du rythme de la contre-offensive jusqu'à présent, il paraît peu probable que les forces ukrainiennes atteignent la ville de Melitopol avant l'arrivée de l'hiver. Il ne reste plus que quatre à six semaines aux troupes avant que les pluies ne forcent une pause dans la contre-offensive.

En août déjà, l'Ukraine avait dû reporter au moins une opération offensive en raison des pluies. Le général américain Mark A. Milley: «Les conditions de terrain sont toujours un facteur essentiel pour les opérations militaires.»

Le temps humide n'arrêtera probablement pas les combats, mais si l'Ukraine perce les lignes russes dans les semaines à venir, la boue pourrait rendre plus difficile la capitalisation de ce succès. Les deux derniers mois de la contre-offensive ont été «longs, sanglants et lents», selon Mark A. Milley. «Cela a duré plus longtemps que ce que l'Ukraine avait prévu.»

Georg Nopper

blick.ch