Le FBI, jadis considéré comme gardien de la loi, est accusé de violer la vie privée de ses propres concitoyens par une utilisation abusive de la loi FISA. Yannick Chatelain analyse les dérives persistantes du service et appelle à un réexamen critique des méthodes de surveillance.
Que les pays se dotent de méthodes et d’outils pour espionner les puissances étrangères « ennemies », voire les pays « alliés », on est jamais trop prudent ; qu’ils puissent même envisager d’utiliser ces méthodes et outils pour espionner des citoyens étrangers, des personnalités publiques comme des journalistes, des politiques, des opposants… à mon avis cela choquerait à peine l’opinion publique internationale, hormis naturellement la diplomatie du ou des pays cibles, qui s’insurgeraient, cela va de soi.
Cependant, que les services de renseignements d’une nation retournent leurs outils d’espionnage destinés à la surveillance étrangère contre leur propre peuple, c’est là une tout autre affaire ; d’autant plus si ces pratiques peuvent s’opérer quasi légalement, sans en référer à aucune autorité judiciaire, sans le moindre mandat !
C’est là que « l’affaire 702 » que je vais évoquer interroge sur la réalité du respect des valeurs de nos démocraties puisqu’elle émane d’un pays qui se targue de figurer parmi les plus grandes démocraties du monde… Avec au cœur de ce nouveau dérapage attentatoire à la vie privée le « sulfureux » et mondialement renommé Federal Bureau of Investigation (FBI).
L’objet de cet article n’est certainement pas de dresser une liste exhaustive des affaires dans lesquelles les pratiques du FBI ont été remises en cause, mais de faire un focus sur les affaires qui ont concerné la surveillance illégale des citoyens américains.
Il ne s’agit pas non plus de m’acharner sur le FBI, l’anti-américanisme primaire. Je souhaite plutôt ériger le FBI en une sorte d’étude de cas, que les lecteurs comprennent qu’il n’est pas de services de renseignements sans failles, fut-ce des services de renseignement de démocraties.
Du BOI au FBI… un peu d’histoire
L’ancêtre du FBI, le « Bureau of Investigation » (BOI) a été créé le 26 juillet 1908 par le Français Charles Joseph Bonaparte, petit-neveu de Napoléon Ier et procureur général des États-Unis sous la présidence de Théodore Roosevelt.
Sa mission première : lutter contre le crime organisé. On ne peut pas aborder l’histoire du BOI rebaptisé United States Bureau of Investigation en 1932, puis FBI en 1935, sans évoquer J. Edgar Hoover, un homme qui se révélera être la clé de voûte de cette institution emblématique, dont la devise est : Fidelity, Bravery, and Integrity, soit en français « Fidélité, Bravoure, et Intégrité ».
Par-delà cette devise utilisant habilement des mots pour former le sigle FBI, permettez que j’émette quelque doute pour le dernier : l’intégrité de ce service.
Edgar Hoover fut nommé directeur du BOI le 10 mai 1924, à l’âge de 29 ans. Il demeura en poste jusqu’à sa mort en 1972… Sous sa direction, qui durera 48 ans, et celle de ses successeurs, le service – tout du moins des membres de ce service – se sont retrouvés de façon récurrente au cœur de scandales d’État, pour avoir outrepassé leurs prérogatives et violé les droits des citoyens américains sous couvert de mener à bien leur mission.
Parmi les scandales les plus prégnants ayant entaché l’image du BOI, devenu FBI, la plus ancienne, mais également la plus longue et la plus grave est indéniablement l’affaire Cointelpro, qui commencera en 1956, pour prendre fin en 1971. Bien que datant de plus de soixante-dix ans, elle n’est pas sans rappeler l’affaire Snowden.
Enfin, j’évoquerai la plus récente dérive, qui pourrait être baptisée « l’affaire de l’article 702 », révélée dans un rapport inquiétant remis en juillet 2023 au Congrès par le comité consultatif du président (PIAB) et son conseil de surveillance du renseignement (IOB).
Ce rapport accablant fait état de dérives persistantes du turbulent FBI, usant et abusant de l’article 702 du Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA), une loi du Congrès des États-Unis datant de 1978 « décrivant les procédures des surveillances physiques et électroniques, ainsi que la collecte d’informations sur des puissances étrangères, soit directement, soit par l’échange d’informations avec d’autres puissances étrangères ».
Cette loi sera amendée à plusieurs reprises depuis les attentats du 11 septembre 2001, et cet article, dont le FBI a usé et abusé bien au-delà de ses autorisations, a conduit le comité consultatif à demander au Congrès la mise en place urgente de nouveaux (énièmes) garde-fous.
1956 – 1971 : l’affaire COINTELPRO
De l’année 1956 jusqu’à l’année 1971 le FBI a initié un programme secret, qui sera révélé au grand public en 1971, et intitulé COINTELPRO pour Counter Intelligence Program.
Ce programme était destiné à surveiller, infiltrer, déstabiliser un certain nombre de mouvements considérés par le pouvoir comme radicaux.
Il ratissait large : des groupes de l’extrême gauche révolutionnaire comme le Weather Underground, le Black Panther Party, le Parti communiste des États-Unis d’Amérique ; les militants du Mouvement afro-américain des droits civiques : mouvement Black Power, Conférence du leadership chrétien du Sud, des Amérindiens de l’American Indian Movement ; mais aussi d’éminentes personnalités, comme Léonard Peltier, Jean Seberg, et Martin Luther King.
Certains historiens et observateurs de l’époque affirment que, dans le cadre de ce programme, des dizaines d’Afro-Américains ont été purement et simplement éliminés.
Le programme ciblait également les groupes de l’extrême droite conservatrice, réactionnaire et nationaliste, comme le Ku Klux Klan ou le Parti nazi américain.
Ce programme aurait vraisemblablement continué sans le cambriolage des locaux du FBI en 1971 par la Citizens’ Commission to Investigate the FBI, un groupe d’activistes opérant aux États-Unis. La finalité de ce cambriolage était de récupérer des documents confidentiels…
Le scandale COINTERPRO était alors sur le point d’éclater.
Par-delà les dénégations du pouvoir alors en place, ce programme totalement illégal finira par être enfin officiellement reconnu et révélé au grand public par la Commission d’enquête sénatoriale Church ou Commission Church durant ses travaux de 1975 à 1976, « provoquant l’instauration de nombreux garde-fous démocratiques par la suite. »
Notons que ce groupe d’activistes n’avait jamais été retrouvé, jusqu’à ce que cinq des huit membres décident en 2014, soit 43 ans plus tard, de sortir de l’ombre et de raconter leur histoire.
- Que l’utilisation par le FBI des bases de données créées par l’article 702 soit limitée aux enquêtes portant sur le renseignement étranger – la même norme que celle utilisée par les autres agences de renseignement ayant accès à ces données.
- Que l’utilisation de l’article 702 par le FBI soit limitée aux seules fins de renseignement étranger et que le personnel du FBI reçoive une formation supplémentaire sur ce qu’implique le renseignement étranger.