L’armée israélienne aurait commencé à résilier progressivement les contrats de location de véhicules électriques (VE) de fabrication chinoise utilisés par les officiers supérieurs, en raison de l’inquiétude croissante concernant la possibilité que les capteurs et autres logiciels de ces voitures fournissent à Pékin des informations sur les activités militaires les plus sensibles d’Israël.
Cette décision fait suite à l’interdiction, plus tôt cette année, par Tsahal, de toute entrée de voitures chinoises sur les bases militaires, l’armée invoquant la crainte que les caméras et les systèmes connectés de ces véhicules puissent être utilisés à des fins de collecte de renseignements.
Selon des informations publiées en novembre dans la revue financière Calcalist et le quotidien Israel Hayom, l’armée a également rappelé environ 700 véhicules, principalement des hybrides rechargeables Chery Tiggo 8 Pro de fabrication chinoise, qui avaient été fournis depuis 2022 à des lieutenants-colonels et des colonels ayant une famille nombreuse.
Ces mesures prises par l’armée pour se distancier des voitures de fabrication chinoise, qui sont devenues courantes dans les rues israéliennes au cours des deux dernières décennies, soulignent les inquiétudes grandissantes en Occident quant au fait que les technologies intégrées dans les voitures et autres appareils pourraient être utilisées pour transmettre des données sensibles à Pékin, ou pourraient inclure des mécanismes secrets permettant aux opérateurs chinois de contrôler l’appareil à distance.
« Tout objet connecté, en particulier les véhicules électriques, peut servir de plateforme de collecte potentielle contrôlée et utilisée par le gouvernement chinois », a averti Assaf Orion, chercheur senior à l’Institut d’études sur la sécurité nationale (INSS), spécialisé dans la Chine.
Le terme « IoT » désigne la gamme en pleine expansion d’appareils « intelligents » désormais connectés à Internet, des enceintes aux réfrigérateurs.
Le rappel signalé concerne les véhicules distribués par le biais du système de location centralisé de Tsahal, supervisé par le Directorat de la Logistique et des Technologies, qui lance tous les deux ou trois ans des appels d’offres publics pour déterminer les modèles attribués aux officiers de différents grades.
Depuis le dernier appel d’offres en 2023, les commandants de compagnie ont généralement reçu des crossovers compacts comme la Peugeot 2008, tandis que les lieutenants-colonels et les colonels ont reçu différents types d’hybrides rechargeables, comme la Kia Niro ou la Chery Tiggo 8 Pro. Les généraux de brigade reçoivent depuis longtemps des modèles haut de gamme comme la Škoda Superb, fabriquée en République tchèque.
Les officiers ne sont pas propriétaires des véhicules, qui sont régulièrement remplacés par l’armée, mais ils peuvent les utiliser à des fins militaires et personnelles.
Chery, l’un des plus grands exportateurs automobiles chinois, a fait son entrée sur le marché israélien en 2022 dans le cadre d’une expansion mondiale agressive. Avec d’autres constructeurs automobiles chinois, comme BYD, Geely et Xpeng, Chery a rapidement remodelé le marché des véhicules particuliers neufs en Israël, où la Chine a dépassé l’Europe cette année au rang de premier fournisseur.
Selon des données publiées en novembre par l’Association israélienne des véhicules importés, la Chine représentait 34,1 % de toutes les immatriculations de voitures particulières neuves au troisième trimestre 2025, contre respectivement 28,7 % et 22,8 % au deuxième trimestre et au même trimestre l’an dernier. Les voitures chinoises dominent en particulier le secteur des véhicules électriques.
La faille de Pékin
La multiplication rapide des VE chinois en Israël reflète des tendances économiques plus larges, a déclaré Orion, qui dirige le Centre des politiques Israël-Chine de l’INSS.
Depuis l’établissement de relations diplomatiques entre les deux pays en 1992, les échanges commerciaux ont considérablement augmenté, en particulier dans les secteurs liés à la technologie.
« Depuis lors, on constate une croissance… Le volume des échanges commerciaux est globalement en hausse, y compris dans le domaine des véhicules électriques », a-t-il déclaré au Times of Israel.
« En d’autres termes, la Chine est un partenaire commercial important, en particulier en tant qu’exportateur. »
La Chine est aujourd’hui l’une des principales sources d’importations d’Israël, avec un commerce qui a atteint un pic de 16,3 milliards de dollars en 2023. Les véhicules, les équipements électriques et industriels ainsi que les plastiques figurent parmi les principaux produits importés.
Bien qu’impliqués dans de grands projets d’infrastructure israéliens, tels que le tramway de Tel Aviv, la plupart des investissements et acquisitions chinois en Israël entre 2002 et 2020 ont concerné le secteur technologique, selon Orion.
En 2017, le Premier ministre Benjamin Netanyahu s’est rendu en Chine et son gouvernement a signé le Partenariat global innovant Chine-Israël, qui donne la priorité à la coopération entre les deux pays dans les domaines de l’innovation et des sciences.
Cependant, malgré cette bonne entente commerciale, l’expert a souligné que l’exposition croissante d’Israël à la technologie chinoise comportait des risques réels. Il a notamment fait remarquer que l’empreinte grandissante de Pékin sur le marché civil israélien des technologies n’était pas uniquement d’ordre économique. Pour la Chine, les technologies riches en données sont des atouts stratégiques, et pas seulement des biens commerciaux.
« La législation chinoise impose aux entreprises chinoises, à travers diverses lois, de partager avec l’État toutes les données dont elles disposent », a expliqué Orion.
C’est pourquoi, selon lui, Israël devrait envisager de rappeler « tous les véhicules électriques, qui constituent, de fait, une plateforme informatisée multi-capteurs reliée [à la Chine] ».
« Ne considérez pas cela comme une voiture qui vous emmène d’un point A à un point B, mais plutôt comme un téléphone », a-t-il insisté.
Glenn Chafetz, directeur du « 2430 Group », une organisation à but non lucratif qui étudie l’espionnage d’État visant le secteur privé américain, abonde dans ce sens et avertit que l’ampleur des activités de renseignement chinoises est sans précédent.
« De manière générale, à l’échelle mondiale, l’ampleur de l’espionnage commercial et global mené par la Chine est sans précédent dans l’histoire », a-t-il déclaré.
« Elle dispose des capacités, des ressources et de la pénétration commerciale les plus importantes de tous les pays qui se sont livrés à des activités d’espionnage. »
« La Chine fait preuve d’une grande voracité dans ses efforts de renseignement. Je pense qu’elle n’épargne aucun pays dans ses activités de recouvrement », a poursuivi Chafetz.
« Israël serait une cible au même titre que n’importe qui d’autre. »
Les VE, a-t-il ajouté, constituent « une plateforme de collecte presque parfaite » en raison de leur mobilité, de leurs capteurs et de leur capacité à collecter des données.
« Avec Tsahal, les identités des personnes présentes dans les voitures et tous les endroits où elles se sont rendues sont connues, ce qui constitue une source d’informations extrêmement utile », a-t-il expliqué.
« Savoir où se trouvent les hauts gradés à tout moment est une mine d’or pour la collecte de renseignements. »
Il a également mis en garde contre les enregistrements audio et vidéo de conversations sensibles à l’intérieur des véhicules.
La petite taille de l’État d’Israël « facilite » l’espionnage par rapport aux pays plus grands.
« Quand on compare les États-Unis et Israël en termes d’échelle, on constate que les chiffres sont plus petits et que la collecte d’informations est plus facile sur une zone géographique plus réduite. »
Outre les secrets militaires sensibles, il existe également le risque d’exposer des technologies brevetées confidentielles ou la propriété intellectuelle à un pays régulièrement accusé de s’approprier les innovations de pointe d’autres pays.
Israël est « une source intéressante pour les technologies dont la Chine a besoin », a averti Nir Ben Moshe, ancien chef de la sécurité au ministère de la Défense, en 2022, affirmant que l’establishment de la Défense et l’armée israélienne étaient « probablement une cible » pour les services de renseignement chinois.
Ben Moshe a souligné que le plan quinquennal de la Chine pour 2021-2025 et l’initiative « Made in China 2025 » mettent l’accent sur l’indépendance technologique et le leadership mondial dans des secteurs tels que les technologies de l’information, les réseaux 5G, les VE, les énergies vertes et la robotique.
Selon lui, les capacités avancées d’Israël dans les domaines de la technologie, de la cybersécurité, de la médecine, de l’agriculture, etc., en font une source précieuse d’innovation pour la Chine, ce qui fait de l’establishment de la Défense et de Tsahal des cibles potentielles, notamment par le biais de partenariats commerciaux ou technologiques.
« Tous les pays du monde doivent se demander comment commercer avec la Chine tout en préservant leurs intérêts en matière de sécurité nationale », a déclaré Orion.
Une menace accrue
Israël n’est pas le seul pays à réévaluer son exposition aux technologies chinoises. À travers l’Occident, les gouvernements prennent des mesures pour restreindre les VE, les appareils connectés et autres systèmes chinois riches en données, craignant que Pékin ne les utilise pour collecter des informations sensibles ou obtenir un avantage stratégique.
En février, sous l’administration de l’ancien président américain Joe Biden, les États-Unis ont lancé une vaste initiative visant à réduire les risques pour la sécurité nationale posés par les véhicules connectés fabriqués en Chine.
La Maison Blanche avait alors annoncé son intention d’élaborer une réglementation interdisant de fait les véhicules électriques chinois, invoquant la crainte que les systèmes de véhicules connectés « permettent de collecter des informations sur des zones géographiques ou des infrastructures critiques ».
L’Europe est confrontée à des préoccupations similaires. Le Danemark et la Norvège, par exemple, ont récemment fait l’objet d’un examen minutieux en raison d’une faille qui a permis l’intégration de bus électriques fabriqués en Chine dans leurs flottes de transports publics, malgré des restrictions plus larges sur la participation chinoise dans les infrastructures critiques.
Les responsables de la sécurité nationale de ces deux pays ont reconnu que ces bus, équipés de caméras de surveillance, de modules GPS et de systèmes télématiques, pouvaient en théorie transmettre des données opérationnelles à des entreprises chinoises soumises aux lois de Pékin en matière de renseignement. Cette controverse a suscité des appels à travers toute la Scandinavie en faveur de l’harmonisation des directives relatives à l’achat de technologies chinoises.
À Oslo, « Project Lion Cage » a passé deux ans à étudier la manière dont les véhicules connectés, en particulier ceux fabriqués en Chine, pourraient être utilisés à des fins d’espionnage ou d’opérations secrètes.
Project Lion Cage est une analyse prospective de scénarii qui examine comment la technologie connectée du quotidien – tels que les VE et les systèmes IoT – pourrait être exploitée lors de futures crises de sécurité.
Conduite par Tor Indstoy, spécialiste de la cybersécurité, cette analyse porte sur des tests de pénétration réalisés sur sa propre voiture familiale de fabrication chinoise. Il a découvert qu’environ 90 % des données générées par les VE sont transmises à des serveurs situés en Chine, où qu’ils se trouvent. Cette découverte a alarmé les experts européens en matière de sécurité et met en évidence la menace que représentent les flux de données non contrôlés.
La Chine a d’ailleurs pris des mesures restrictives à l’encontre des voitures connectées fabriquées à l’étranger. En 2021, l’accès aux complexes militaires et aux zones résidentielles chinoises a été interdit aux véhicules Tesla américains, par crainte que leurs caméras embarquées ne collectent des informations sensibles.
Depuis, un nombre croissant d’organisations liées au gouvernement chinois, d’autorités locales, d’exploitants d’autoroutes et de centres d’exposition ont discrètement interdit l’accès à certaines zones aux véhicules Tesla.
Selon Orion, le comportement de la Chine est un indicateur révélateur des capacités de ces systèmes.
« Cela reflète ce que [la Chine] sait pouvoir exploiter », a-t-il expliqué.
« Ces restrictions montrent non seulement ce qu’ils pensent de Tesla et de ce que cela peut représenter pour leur sécurité, mais aussi ce que [la Chine] peut déduire de ce qu’ils [eux-mêmes] font avec les voitures d’autres personnes. »
Des engins de mort
Alors que la plupart des discussions autour des VE fabriqués en Chine se concentrent sur la collecte de données, les experts avertissent que les capacités physiques de ces voitures connectées pourraient représenter une menace encore plus inquiétante, en raison de la possibilité de les contrôler à distance.
Chafetz a souligné que l’utilisation de véhicules électriques comme armes n’appartient plus au domaine de la science-fiction, mais constitue désormais un scénario réaliste rendu possible par les technologies existantes.
« Ce n’est pas une chimère – si beaucoup ont du mal à y croire, la technologie existe bel et bien », a-t-il déclaré.
Selon Chafetz, si un acteur hostile parvenait à prendre le contrôle d’une flotte de véhicules à distance, les conséquences pourraient être désastreuses. Les VE pourraient être réutilisés comme relais de communication mobiles, permettant la mise en place de réseaux secrets à l’intérieur d’un État rival ; ils pourraient être réquisitionnés pour bloquer des jonctions routières cruciales, paralysant ainsi les interventions d’urgence ou les voies d’approvisionnement ; et dans le pire des scénarii, leurs batteries lithium-ion pourraient être déclenchées pour s’enflammer.
« En théorie, des engins incendiaires télécommandés peuvent être disséminés dans tout un pays avec lequel vous pourriez être en conflit », a-t-il prédit.
Orion a convenu que la menace d’attaques physiques à distance – allant de la mise à feu d’une batterie à l’orchestration de perturbations de masse – n’est pas hypothétique, mais technologiquement réalisable.
Israël en a fait la démonstration – bien qu’avec des moyens plus rudimentaires – lors de l’Opération « Beeper and Walkie-Attack » menée en septembre 2024 contre le Hezbollah, au cours de laquelle Jérusalem a simultanément déclenché à distance des milliers de petites bombes dissimulées dans des dispositifs apparemment inoffensifs, semant le chaos dans les rangs du groupe terroriste chiite libanais.
« Ces menaces sont réelles… La question est de savoir quelle est la probabilité qu’elles soient mises à exécution », a-t-il noté.
S’il considère qu’Israël est une cible peu probable, il a toutefois averti que d’autres régions pourraient être beaucoup plus vulnérables.
« À cet égard, je pense qu’Israël ne figure pas en tête de liste des cibles de la Chine. Je dirais que Taïwan est un terrain plus propice pour tester ces théories », a-t-il indiqué, faisant référence à la pression militaire croissante exercée par Pékin sur l’île ces derniers mois.
Malgré des relations généralement chaleureuses, les Israéliens restent toutefois prudents envers la Chine. Une enquête réalisée en 2024 par l’INSS a révélé que 54 % des personnes interrogées considéraient Pékin comme hostile ou peu amical, et que 26 % d’entre elles affirmaient que leur perception s’était détériorée depuis le pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre 2023.
Beaucoup en Israël considèrent que la Chine est officieusement alignée sur la Russie, l’Iran et d’autres adversaires de l’Occident.
Deux semaines seulement après l’assaut barbare et sanglant du 7-Octobre, le président chinois Xi Jinping a appelé à un cessez-le-feu permanent. De plus, si les déclarations de Pékin ont généralement montré une préférence pour la position « palestinienne », la Chine a conservé un rôle relativement mineur dans la diplomatie régionale.
Jusqu’à présent, l’activité de la Chine en Israël s’est principalement concentrée sur la collecte intensive de données plutôt que sur des opérations perturbatrices, mais certains craignent que la situation ne change.
« Je n’achèterais aucun appareil connecté fabriqué ou contrôlé en Chine », a affirmé Chafetz sans détour.
« Dans une certaine mesure, le train est déjà parti… Mais cela ne signifie pas pour autant que nous devons baisser les bras. »
Orion a souligné que, jusqu’à présent, la réponse d’Israël à la menace chinoise potentielle avait été mesurée.
Le rappel des véhicules chinois entrepris par Tsahal est une mesure ciblée visant à protéger spécifiquement les sites militaires, et non une interdiction générale des VE chinois comme aux États-Unis. Il a souligné qu’Israël évite généralement les restrictions générales, bien qu’il ait limité ses exportations de matériel de défense vers la Chine depuis 2005 et, plus récemment, bloqué la participation chinoise aux infrastructures 5G.
Cependant, même s’il existe une certaine méfiance, ces deux pays ne sont pas des adversaires.
« Israël a déjà suffisamment d’ennemis », a ironisé Orion.
« Espérons donc que la Chine ne viendra pas s’ajouter à la liste. »