mardi 9 décembre 2025

Le ministère des Armées veut exploiter les données satellitaires commerciales pour surveiller la Très Haute Altitude

 



Comprise entre la fin de l’espace aérien contrôlé [20 km] et le début de l’espace extra-atmosphérique [100 km], la Très Haute Altitude [THA] est une zone qui est en passe de devenir un nouveau domaine de conflictualité à cause d’un cadre juridique censé la réglementer imprécis, faute de consensus sur ses limites.

« C’est un Far West que nous devons absolument investir », résume le général Jérôme Bellanger, le chef d’état-major de l’armée de l’Air & de l’Espace [CEMAAE]. Et cela pour deux raisons : si la THA peut offrir plusieurs avantages dans les domaines du renseignement, de la guerre électronique ou encore des télécommunications, grâce à l’utilisation d’aérostats, elle est aussi une source de menaces pour les mêmes raisons. L’affaire du ballon chinois qui a survolé les États-Unis, en 2023, en est la démonstration.

Aussi, la stratégie pour la THA que le ministère des Armées a récemment dévoilée repose sur trois piliers : « détecter », « intercepter » et « opérer ».

S’agissant du volet « intercepter », l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE] a démontré qu’elle était capable de détruire une cible évoluant dans la THA en abattant des ballons stratosphériques avec des missiles air-air MICA tirés par un Rafale et un Mirage 2000-5.

« S’agissant de la neutralisation, l’essai réalisé sur Rafale-Mirage 2000 pour abattre un ballon situé à une altitude de 20 kilomètres, voire au-delà, a été réussi. Nous ferons un nouveau test, avec un autre type de missile, en janvier. Sachez qu’il y a, sur nos plots de posture permanente de sûreté aérienne [PPSA], des missiles modifiés qui peuvent éventuellement neutraliser des ballons détectés un peu plus haut », a d’ailleurs confié le général Bellanger aux sénateurs de la commission des Affaires étrangères et de la Défense, en octobre dernier.

Seulement, pour « intercepter », encore faut-il pouvoir « détecter ». D’où la relance du développement du radar transhorizon Nostradamus.

Selon l’Office national d’études et de recherches aérospatiales [ONERA], ce radar, dont les antennes occupent une surface de 12 hectares dans l’enceinte de l’ancienne base aérienne de Dreux-Louvilliers, sera capable de détecter tout objet volant [même furtifs] à une distance comprise entre 500/800 et 2 500/3 000 km, sur 360 degrés.

« Compte tenu de la prolifération des menaces, il est indispensable d’être capable de détecter, d’identifier et d’intercepter dans la très haute altitude. Le radar transhorizon Nostradamus devient ainsi l’un des maillons du dispositif d’alerte avancée que nous souhaitons souverain et pour lequel un investissement en sur-marche de 60 millions d’euros permettra de passer à l’échelle », a expliqué le CEMAAE, lors d’un récente audition à l’Assemblée nationale.

Sauf que, comme l’a souligné Emmanuel Chiva, l’ex-Délégué général pour l’armement, Nostradamos « ne peut pas tout détecter à lui tout seul, notamment parce qu’il est dépendant des conditions atmosphériques ». Aussi faut-il développer des capacités complémentaires, comme des radars UHF, par exemple. Mais pas seulement.

En effet, la semaine dernière, l’Agence de l’innovation de défense [AID] a fait savoir qu’elle venait de lancer le projet d’accélération d’innovation Stratowatch, en partenariat avec l’AAE et avec l’entreprise Kayrros, spécialiste de l’analyse de données satellitaires grâce à l’intelligence artificielle [IA].

Il s’agit ainsi de « renforcer la capacité nationale de détection des objets qui opèrent en très haute altitude grâce à l’exploitation de données satellitaires ouvertes et commerciales », a indiqué l’AID.

« En mobilisant l’expertise de Kayrros […], le projet vise à démontrer que des capteurs civils peuvent contribuer efficacement à la surveillance de la THA encore peu maîtrisée. En exploitant l’intelligence artificielle et des données satellitaires en sources ouvertes, il permet d’expérimenter une nouvelle solution, complémentaire des dispositifs souverains de surveillance et conforme à l’ambition du ministère : être présent dès aujourd’hui dans un espace qui structurera les équilibres de demain », a expliqué l’AID.

L’objectif est de détecter, de caractériser et de suivre quasiment en temps réel des ballons stratosphériques. Voire d’autres objets évoluant dans la THA, comme les avions solaires.

« À moyen terme, Kayrros pourrait fournir, avec des délais très courts et des conditions de performance et de coûts très compétitives, de nouvelles applications géospatiales duales pour le ministère des Armées, en fonction de ses besoins », a conclu l’AID.

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